Un homme d’affaires…
Le cinéaste le plus politique du cinéma français des années 70 avec Costa-Gavras effectue un flashback sur sa carrière, en privilégiant l’anecdote au décorticage séquentiel. Un choix assumé qui fait la force de son bouquin au générique impressionnant. Une autre manière de découvrir le cinéma par un homme qui ne pratique pas la langue de bois.
Dans son formidable « Roman du cinéma français » paru il y a deux ans aux Editions du Rocher, Dominique Borde accordait à Yves Boisset un demi chapitre partagé avec Costa-Gavras. Interrogé sur ce choix assez surprenant, il répondait que Boisset avait le mérite de se documenter pour écrire ses scénarios et d’oser aborder des sujets brulants, ce qui justifiait de le considérer comme un cinéaste important.
Après une décade prodigieuse parsemée de films ayant cartonné au box-office (« L’Attentat », « La femme flic », « Le juge Fayard dit le Shérif », « Dupont Lajoie ») et à la « faveur » d’un contrôle fiscal signé Charasse pour qu’il se taise et que ses producteurs le laissent définitivement tomber, le cinéaste a du se tourner vers autre chose (documentaire, téléfilm). Le cinéma perdait assurément une de ses têtes fortes, arrangeant ainsi les milieux politiques trempés (voire submergés) dans des magouilles en tous genres.
Dreyfus, Salengro, Selznec et les autres
Il faut dire que Boisset avait frappé fort en réalisant un film sur l’affaire Ben Barka alors qu’elle n’était pas encore totalement classée (« L’Attentat »). Il dénonça les réseaux pédophiles bien avant l’heure avec « La femme flic ». On le vit s’attaquer à l’affaire qui coûta la vie au juge Renaud avec Dewaere en vedette (« Le Juge Fayard dit le Shérif »). Puis après son éviction des grands écrans, l’affaire Dreyfus, le destin de Roger Salengro, l’affaire Selznec sur le petit écran et avec d’énormes audimats à la clé…
Dans son ouvrage « La vie est un choix », le cinéaste revient sur les péripéties qui émaillèrent les préparations puis les tournages de tous ses films. Loin des autobiographies habituelles, ce bouquin va surtout parler de cinéma. A l’inverse d’un Lelouch, dont la vie privée est étroitement liée à la carrière cinématographique, Boisset scinde habilement les deux et prend le parti de ne jamais parler de lui qu’en tant qu’homme et amoureux de cinéma. Pas d’analyse poussive ni d’exégèse mais de l’anecdote, cette « fleur épineuse » comme disait Colette. Des piques, il va y en avoir, bien sûr. Mais ces péripéties dépassent leur stade intrinsèque et s’inscrivent dans un processus créatif de premier ordre. Comme si le cinéma de Boisset se nourrissait de ces incroyables péripéties qui rendraient vert le plus chevronné des scénaristes.
Le générique est impressionnant : Lino Ventura (dans un bordel de luxe : un must !), Patrick Dewaere (les pages les plus émouvantes du livre), Vittorio de Sica, Stanley Kubrick, Louis Ferdinand Céline, Jean Carmet, François Mitterrand, un débutant déjà grande gueule du nom de Gérard Depardieu… Les démêlés avec les flics et les militaires (une constante chez cet antimilitariste dont le livre de chevet est le chef d’œuvre d’Yves Gibeau « Allons zenfants » qu’il adaptera en 1980), les menaces de mort, les situations rocambolesques de tournage vont constituer la quintessence de cet ouvrage souvent très drôle, parfois caustique, toujours d’une grande sincérité. Une occasion de découvrir l’envers (et l’enfer) du décor avec un cinéaste qui ne mâche pas ses mots. Un bouquin qui ne pratique pas la langue de bois mais bien la langue de Boisset…
Aux édition Plon