Puisque l’hiver commence doucement à arriver en France, quoi de mieux que de se réchauffer avec quelques pépites du cinéma nordique ? Malgré son titre à double entente et son décor abondamment enneigé, Refroidis se distingue par son efficacité chaud bouillante, saupoudrée de surcroît d’une couche conséquente d’ironie macabre. Le thème éprouvé du père vengeur, aussi déterminé que solitaire, y trouve un traitement hautement jouissif. Il le devient surtout grâce à l’avalanche de meurtres en toutes sortes, qui est déclenchée à partir de la quête implacable du protagoniste endeuillé. Et le titre norvégien original – Kraftidioten, une sorte de crétin puissance dix – , et son pendant international – In Order of Disappearance, c’est-à-dire dans l’ordre de la disparition – sont alors programme dans ce compte à rebours au sens plutôt abstrait de justice.
On a beau redouter une simplification abusive du concept dans le remake américain, tourné cinq ans plus tard également par Hans Petter Moland sous le titre Sang froid avec Liam Neeson dans le rôle interprété si stoïquement ici par Stellan Skarsgård, il fonctionne à merveille dans ce film-ci. La surenchère de la violence n’y est jamais plus qu’un élément parmi d’autres de l’engrenage narratif, menant à la perte de quasiment tous les personnages, un faire-part de décès sobre à la fois. Il n’y a aucune morale toute faite à en tirer, juste le regard acerbe sur une fatalité meurtrière. De quoi dénoter forcément dans un pays aussi froidement fonctionnel que la Norvège.
A moins que le maintien en état praticable des routes sans cesse bloquées par la neige ne relève de la même conscience sociale aiguë que le nettoyage involontaire de la région de la pègre qui y répandait impunément sa poudre blanche …
Cela commence tel un sinistre drame familial, voire comme une relecture à peine mise à jour de la formule rendue populaire dans les années 1970 par Un justicier dans la ville de Michael Winner. Le fils du citoyen modèle Nils Dickman meurt dans des circonstances suspectes. Or, seul le père cultive un faible doute à ce sujet. La police classe immédiatement l’affaire comme une overdose de plus dans ce pays au penchant dépressif marqué. Et sa femme se mure dans un mutisme, qui contribuera au déclin de son couple. Elle ne tarde pas à s’en aller, sans faire de bruit, ni laisser d’explication autre qu’une feuille vierge. Le symbole parfait d’une union incapable de faire ensemble son deuil. Bref, il n’y a plus rien d’autre à faire que de se soûler et de se tirer une balle en pleine tête.
Bien entendu, cette impasse existentielle n’est guère le point final prématuré de l’intrigue de Refroidis, mais son point de départ vigoureux. Dickman trouve in extremis la confirmation de sa théorie criminelle sur la mort de son fils. Dès lors, il se met à traquer les hommes qu’il en considère responsables. Aussi méthodique cette recherche soit-elle, le personnage principal ne devient pas non plus du jour au lendemain un tueur avisé, dépourvu d’états d’âme. Le jeu nuancé de Skarsgård, ainsi que son mode opératoire plutôt modeste et même à force bêtement répétitif, nous laissent d’emblée douter de l’issue heureuse de sa croisade contre le crime organisé. Très progressivement, le récit ouvre alors son champ dramatique, pour notre plus grand bonheur d’amateurs d’humour noir.
Au plus tard quand le méchant supposé de l’histoire est dépeint comme un végétalien forcené, sans merci envers ses hommes, mais presque soumis face aux menaces légales de la mère de son enfant, il devient clair que le septième long-métrage de Hans Petter Moland a au moins autant vocation à divertir malicieusement qu’à dresser le portrait au vitriol des petits travers norvégiens. La notion du choc des cultures y est en effet omniprésente.
Entre le personnage principal, sollicité en vue d’une carrière de politicien local grâce à ses vaillants efforts d’intégration, jusqu’au clan de gangsters serbes qui deviendront la troisième force du triangle suprême de l’autodestruction. En passant par un tueur à gages d’origine asiatique à ses dépens peu familier du raisonnement glacial de ses interlocuteurs et la copine du frère de Dickman. Celle-ci se voit contrainte de quitter la scène comme toutes ces pauvres femmes, qui n’ont pas réussi à remettre leur compagnon sur le droit chemin, trimballant tristement sa valise à travers le cimetière enseveli sous la neige.
Même quand le décompte des cadavres risque de s’emballer, le récit demeure admirablement maîtrisé. L’arrivée au bout d’une heure de film de Bruno Ganz en vieux patriarche de la mafia serbe recentre en fait l’intrigue sur la figure tragique de la perte du fils. Ce n’est pas pour autant que la tension retombe ou que le ton du film s’assombrit, bien au contraire. Jusqu’à l’ultime chute caustique de Refroidis – rattrapé à la dernière minute sur le replay d’OCS, mais sans doute disponible également ailleurs – , cette perle du cinéma norvégien garde un niveau (très) élevé de dérision tranquillement philosophe.