Que faire quand les cinémas sont fermés dans tout le pays à cause du confinement et quand on a néanmoins envie de préserver un semblant de pratique cinématographique ? Eh bien, faute de choix, on se rabat sur les services de vidéo en ligne. Ce qui peut ressembler à un pis-aller en termes de confort de visionnage et d’expérience collective devra hélas suffire pour les semaines, voire les mois à venir. Et encore, soyons tant soit peu reconnaissants que cette catastrophe sanitaire soit survenue à une époque, où les offres sur le marché français en ligne abondent. Après quelques fâcheux relâchements de bonne volonté dans le passé, qui nous avaient conduits à un abrutissement tout relatif, dû à une surconsommation de films médiocres sur Netflix, on tentera de faire mieux et surtout de façon plus productive pendant ces longues journées à venir de suspension de notre rythme quotidien habituel.
Vous trouverez donc à intervalles irréguliers de brèves chroniques sur les films que nous avons vus de la sorte. Par peur de nous décourager d’emblée, ces textes ne prendront pas la forme de nos critiques habituelles, rédigées et retravaillées à outrance, mais plutôt de réflexions informelles sur ce que nous venons de regarder dans le confort cossu – non, mieux vaut être sincère ! – , dans l’exiguïté claustrophobe de notre cher domicile parisien. Notre partenaire officieux dans cette entreprise de maintien d’une vie culturelle à distance est la plateforme de vidéo en ligne d’Orange, OCS, qui, contrairement à la plupart de ses concurrents directs, permet de voir pour combien de temps les films de son catalogue resteront encore en ligne.
Commençons donc par Les Galettes de Pont-Aven, une comédie française sortie en 1975, qui est sauvée autant par sa frivolité que par la lucidité avec laquelle le réalisateur Joël Séria y étudie les rapports de genre. Car, quitte à oublier un instant les craintes apocalyptiques que la menace virale fait peser sur nous, à l’époque d’une prise de conscience salutaire à l’égard des droits et du rôle des femmes dans notre société, il n’est pas du tout sûr que le regard à première vue fortement machiste du personnage principal soit encore acceptable aujourd’hui ! Le commis voyageur en parapluies que Jean-Pierre Marielle y campe avec une aisance majestueuse est en effet ce que l’on appellerait de nos jours un obsédé du cul, littéralement, un pervers pitoyable qui cherche à atténuer les frustrations de son existence petite-bourgeoise en courant après toutes les femmes qui veulent bien céder à son charme.
Et curieusement – puisque l’aura de sex-symbol de Marielle n’était guère courue d’avance, mais fonctionne étonnamment bien ici – , elles sont assez nombreuses, depuis une Andréa Ferréol qui se laisse pas prier longtemps avant de se trémousser devant les yeux ébahis du peintre amateur, jusqu’à la plus jeune et innocente Jeanne Goupil, pour qui ce pauvre Henri finit par courir dans la dernière séquence tel un coq sans tête sur la plage pour servir les clients de son stand de crêpes et de pommes d’amour. Entre les deux extrêmes de la conquête inattendue et celle qui brise définitivement toutes les conventions de la tromperie joviale, le protagoniste aura accompli un véritable parcours du combattant de l’homme qui ne pense qu’au sexe.
L’aspect érotique du film, plus réaliste que dans d’autres œuvres de la même période, qui s’adonnaient de manière flasque à des grivoiseries dépourvues de quelque ambition scénaristique que ce soit, s’assombrit ainsi progressivement, au fur et à mesure que le jeu de voyeur amusé devient plus sérieux. Par ailleurs, Henri n’est pas non plus un queutard incorrigible, puisqu’il n’apprécie visiblement pas être pour une fois le sujet du désir passablement malsain, lorsque la sœur de l’illuminé religieux que Claude Piéplu interprète avec une certaine sobriété l’épie en train de faire sa toilette. De toute façon, ses galipettes trouveront une fin prématurée, dès qu’il pense avoir trouvé le plus beau derrière du monde. Or, c’est à partir de ce moment-là que les emmerdes commencent réellement pour lui, selon une logique dramatique diablement ironique.
En somme, si Les Galettes de Pont-Aven est bel et bien un film de son temps, où l’alcoolisme, le tabagisme et l’obsession sexuelle ne faisaient pas encore partie des interdictions inscrites au catalogue du politiquement correct, il n’en demeure pas moins séduisant par l’humour narquois avec lequel il observe la dégringolade affective et sociale d’un bon bougre, sans autre prétention que celle d’assouvir ses besoins libidineux les plus essentiels. C’est avant tout un rôle en or pour Jean-Pierre Marielle, qui y alterne magistralement entre l’extase et l’humiliation, entre les rouages de séduction usés, qui font pourtant toujours leur petit effet, et la sensibilité touchante d’un homme qui ne peut faire autrement que mettre à nu ses fantasmes les moins avouables, en les partageant maladroitement.