Quand on fait la longue liste des films qui ont marqué l’illustre carrière de Jean-Paul Belmondo, Le Casse n’y figure pas forcément. Cela relève pourtant du bon sens cinéphile de l’inclure dedans de toute urgence ! Mettons cet oubli impardonnable sur le compte d’une disponibilité assez hasardeuse de ce film de gangster de haut vol. Il s’avère désormais très facile de le rattraper, grâce à son édition par L’Atelier d’images en novembre 2017, chroniquée alors sur notre site par l’infatigable Mickaël ici, ou bien pendant un mois sur le replay de la plateforme par abonnement OCS ou lors de l’une de ses six diffusions sur la chaîne Géants d’ici le 1er mai. Autant d’occasions d’admirer un film de gangster d’une force et d’une élégance irréprochables, qui a depuis fait école : dans l’immédiat, à travers une course poursuite en voiture au moins aussi spectaculaire que celle dans French Connection de William Friedkin, sorti la même année, ainsi que sur la durée, puisque l’on peut trouver des références à ces nombreux morceaux de bravoure dans tout film de genre qui se respecte.
Après un générique joliment stylisé et rythmé sur le thème musical entêtant de Ennio Morricone, l’intrigue de Le Casse s’ouvre sur le crime auquel il doit son titre. Chaque plan et chaque geste y sont savamment millimétrés, avec en prime un petit coup de rafraîchissement du matériel pour les méthodes anciennes des cambrioleurs. En quelque sorte, il s’agit là de l’un des derniers hourras des gentlemen gangsters, avant que la profession ne devienne un cimetière de carrières éteintes, puis dépoussiérée des décennies plus tard par Steven Soderbergh et la bande de Danny Ocean. La profonde connaissance du cinéma de divertissement de la part du réalisateur Henri Verneuil se manifeste cependant dès cette première partie du film, qui aurait pu n’être qu’un exercice de style au suspense magistral. L’apparition de l’inspecteur Zacharia, interprété avec un charme malicieux de premier ordre par Omar Sharif, ouvre en effet la voie à un jeu du chat et de la souris qui tiendra en haleine les personnages tout au long d’une histoire rocambolesque.
Rarement, le stéréotype héroïque que Belmondo s’est taillé sur mesure entre les années 1960 et ’80 – c’est-à-dire un beau parleur, grand sportif et baratineur qui enchaîne les conquêtes féminines comme les défaites de ses entreprises particulières dans chaque film et qui ne s’en émeut guère – a trouvé un adversaire aussi coriace et tordu que ce commissaire grec, un pourri de chez pourri et pourtant un fin stratège et tireur. Tandis que les autres membres de sa bande font essentiellement de la figuration, solide certes mais pas vraiment à la hauteur de comédiens en vogue à l’époque comme Robert Hossein et Renato Salvatori, Omar Sharif excelle au niveau d’un méchant machiavélique qui aurait légitimement sa place dans l’univers de James Bond, y compris en termes de fin tragique. Cependant, bien avant que les poules n’aient des dents en émeraude, son personnage incarne une partie adverse des plus ingénieuses, toujours présente au bon endroit au mauvais moment afin de contrecarrer le plan du chef de gang charismatique Azad.
La véritable vedette de Le Casse reste néanmoins Belmondo, au cœur de la plupart des cascades époustouflantes. Il laisse certes sa place derrière le volant à l’équipe expérimentée de Rémy Julienne lors de cette chasse en voiture mémorable – et tant mieux, puisque les quelques plans en image composite à son début ne font nullement illusion – , mais la plupart des autres prouesses physiques attestent de son investissement inconditionnel. Ses drôles de façons de prendre le bus et de dégringoler une colline avec une cargaison de cailloux, ainsi que ses acrobaties parfois réduites à de simples grimaces de réaction face à un spectacle coquin sont pour beaucoup dans le niveau de divertissement extrêmement élevé du film.
A tel point qu’on serait presque prêt à pardonner le seul véritable faux pas machiste du film et au demeurant celui qui le vieillit le plus : les gifles assénées au personnage interprété avec un érotisme rayonnant par Dyan Cannon au rythme de la lumière dans son appartement, gérée par un interrupteur sonore. Ce que le scénario, sinon d’une fluidité sans reproche, gagne à ce moment-là en modernité éphémère à cause du gadget technique, il le perd au multiple avec ce gag désagréablement sexiste. Nous espérons que notre pinaillage sur une question malgré tout pas sans importance ne vous empêchera pas de donner sa chance à cette aventure de gangster, qui aurait dû faire date dans l’Histoire du cinéma en général et dans la filmographie de Jean-Paul Belmondo en particulier !