« Arrêtez de vous embrasser » qu’ils disent dans les annonces de mise en garde publique contre la propagation du coronavirus. Au train où vont les choses, on est en droit de se demander, si cette stratégie de la distanciation sociale maximale finira par nous rendre tout contact physique au moins un peu suspect … En 1974, le monde était bien différent du nôtre, évidemment. Les étudiants fumaient en plein examen de médecine, quand ils ne se bastonnaient pas en pleine rue, sans doute en hommage à leurs aînés qui faisaient la même chose au même endroit, dans le Quartier latin de Paris en mai ’68. On voyageait déjà de façon plutôt anodine entre la France et l’Angleterre, mais en traversant la Manche en aéroglisseur. Et on n’hésitait guère à se donner des baffes, en guise de dernier ressort d’une éducation pas plus éclairée hier qu’aujourd’hui ou bien entre amants, pas encore complètement sortis de la puberté.
Bref, La Gifle ne lésine pas sur des éléments qui risquent en théorie de rendre le deuxième film de Claude Pinoteau désespérément démodé. Pourtant, on oserait même l’hypothèse qu’il s’est bonifié avec le temps, tant une compréhension profonde de l’âme humaine – en somme inconstante, imparfaite et irrationnelle – y prévaut au fil d’une intrigue rocambolesque, quoique pas du tout aussi écervelée qu’il ne paraît !
Entre légèreté et gravité, l’éternel conflit entre générations y est étudié avec beaucoup de lucidité et très peu de méchanceté. L’exploit du scénario, appuyé par une mise en scène des plus solides, est de faire cohabiter ce mélange délicat entre la comédie et la tragédie dans chaque séquence, voire – et c’est à ce niveau-là que nous ne pouvons rester qu’admiratifs face à ce classique de la comédie populaire française – dans pratiquement chaque personnage. Des rôles périphériques sans grande importance y existent certes, dont le seul avantage est d’y reconnaître de futurs grands noms faire leurs débuts, comme Nathalie Baye et Richard Berry. Mais ceux qui comptent vraiment en termes de complexité et d’intensité de l’histoire disposent tous d’un trait d’originalité particulièrement appréciable.
Cela vaut autant pour le futur bouffon du cinéma français Francis Perrin en prétendant survolté et immature, qui dégage un petit air bordélique à la Jean-Pierre Léaud, que pour Nicole Courcel en maîtresse infiniment plus mûre. Elle se montre tellement réfléchie, d’ailleurs, qu’elle permet sans broncher, mais avec quelques regards qui expriment une incroyable tristesse, à sa relation de s’éteindre doucement. Quant à Annie Girardot, elle était une telle vedette dans les années ’70 qu’elle a pu se permettre de faire sa première apparition au bout d’une heure de film. Son impact est alors d’autant plus grand en tant qu’absente majeure de la relation bancale entre un père et sa fille adolescente.
Car le véritable morceau de bravoure de La Gifle, ce sont toujours les rapports tumultueux entre le professeur de géographie Jean Douléan et sa fille Isabelle, une étudiante en première année de médecine, pas trop convaincue de son cursus et même convaincue de rien du tout, vu la vitesse avec laquelle elle change d’envie, de copain et d’imperméable. Comme le veut la légende, c’est le rôle qui a définitivement lancé la carrière de Isabelle Adjani. Et effectivement, elle personnifie avec une grâce incroyable tout ce qui rend les adolescents si désinvoltes et par conséquent si agaçants aux yeux des générations qui leur ont précédé.
Notre coup de cœur principal de ce récit si joliment truffé de rendez-vous manqués et de déplacements proches du vagabondage existentiels, c’est toutefois l’interprétation magistrale de Lino Ventura en père débordé à force d’élever seul sa progéniture imprévisible. Son jeu si fin n’a à aucun moment recours aux poncifs de la crise de la quarantaine, comme le besoin de changer de cap, une fois qu’on s’est discrètement employé à mener sa vie présente dans l’impasse. Au contraire, son personnage sait garder une formidable part de fragilité et de vivacité qui le rend hautement touchant, alors qu’il a dû paraître bien ennuyeux sur le papier.
Il est hélas désormais presque trop tard pour déguster cette comédie dramatique exquise sur le replay d’OCS. Puisque ce n’est pas non plus le genre de film à ne jamais refaire surface sur les chaînes publiques ou ailleurs, on vous conseille de le voir – ou plus probablement de le revoir – afin de vous plonger à la fois dans une époque aux aspects de plus en plus nostalgiques et, surtout, pour en apprécier le traitement mi-nuancé, mi-exubérant du moment difficile où les enfants quittent le nid familial. Une distribution de premier ordre et une mise en scène d’une précision impressionnante ont réussi à faire de cette prémisse guère prometteuse un divertissement de haut vol. En effet, ce dernier ne se montre jamais trop occupé à préparer le prochain revirement pour ne pas sonder en même temps les aspects plus sérieux d’un tel quiproquo affectif !