Vu sur OCS : Jar City

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© 2006 Blue Eyes Productions / Degeto Film / Nordisk Film / Bavaria Pictures / Memento Films Tous droits réservés

Dans le cinéma islandais, on aime surtout les comédies à l’humour caustique. Même si la production filmique de ce petit pays au nord de l’Europe n’est guère abondante, on aurait toutefois tort de la réduire à ce genre-là. Car les bons petits thrillers sombres et nihilistes y étaient déjà monnaie courante, avant que la série des Millénium ne les rende mondialement populaires à la fin des années 2000. Jar City est de ceux-là. Cette enquête policière autour d’un meurtre mystérieux s’inscrit dans la sobriété du cinéma nordique, tout en orchestrant une intensité singulière. En effet, les bifurcations de l’intrigue vont parfois un peu trop loin. Mais la mise en scène de Baltasar Kormakur arrive à faire évoluer les différents niveaux temporels du récit, sans jamais tomber dans l’effet de style tapageur.

Le cinquième long-métrage du réalisateur, parti depuis tenter sa chance à Hollywood, porte une attention équivalente à la description du travail peu héroïque des policiers et à celle du quotidien privé assez terne de l’inspecteur Erlendur. Contrairement à d’autres films qui nous proviennent à intervalles irréguliers d’Islande, celui-ci ne cherche point à mettre en avant l’aspect mi-pittoresque, mi-sauvage de l’île. L’option de la déroute existentielle, caractérisée par un laisser-aller généralisé à coups de beuveries sans fin, n’y a pas non plus été retenue. Non, le ton du film se distingue par une indifférence froide de la part des personnages, contre laquelle la narration a trouvé les moyens formels adéquats.

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Jar City raconte trois histoires en une. D’abord, celle d’un père de famille, chercheur en opérations futuristes de modification génétique, qui doit pourtant assister impuissant au calvaire de sa fille, atteinte d’un cancer rare. Puis, celle du meurtre d’un homme solitaire, dont l’enquête méthodique de l’équipe de Erlendur révèle le passé à la limite de la criminalité. Et enfin, uniquement évoqué par la parole et jamais par les images d’un retour en arrière convenu, le premier point de croisement de ces deux fils narratifs dans les années 1970. A cette structure dramatique somme toute classique du polar, le réalisateur sait néanmoins conférer une force fascinante.

Nullement intéressé par quelque variation sur le manichéisme que ce soit, le scénario ne donne aucunement dans la surenchère du spectaculaire. Le point de vue de la caméra a même tendance à adopter la perspective divine, lorsque elle parcourt les paysages désolés autour de Reykjavik. La mise à distance visuelle du spectateur fait indubitablement son petit effet ici, huit ans avant que cette figure de style ne soit employée à satiété dans une autre histoire de flics, plus chaleureuse en apparence seulement : La isla minima de Alberto Rodriguez. Au détail près que le récit de ce film-ci demeure très proche des petits tracas de ses personnages, au lieu d’en faire les symboles extravagants d’un équilibre social en pleine déroute.

© 2006 Blue Eyes Productions / Degeto Film / Nordisk Film / Bavaria Pictures / Memento Films Tous droits réservés

Ainsi, le protagoniste appartient à cette infime minorité parmi les fonctionnaires de police, tels qu’ils sont vus par la fiction, à ne tirer aucune gloire, ni satisfaction personnelle de son travail. Grâce à l’interprétation sans faille de Ingvar Sigurdsson, revu récemment dans Un jour si blanc de Hlynur Palmason, cet homme court sans succès après la réussite dans tous les domaines de sa vie. Au commissariat, il est plus tributaire de l’avancement chahuté d’événements en dehors de son contrôle que d’un éventuel coup de génie pour résoudre cette affaire, qui a l’air de ne lui faire ni chaud, ni froid la plupart du temps. Et chez lui, dans son appartement modeste au dernier étage d’une tour de logements sociaux, où il se délecte de cette drôle de délicatesse islandaise qu’est la tête de mouton, il doit assurer le rôle délicat et moralement impossible de père d’une fille adulte toxicomane.

Ce bagage social tout de même considérable, Jar City – qui est encore disponible sur le replay d’OCS jusqu’à après-demain soir – l’intègre sans la moindre exagération névrotique dans son flux narratif. Son pragmatisme appréciable lui permet de préserver une certaine forme de réalisme, là où des films plus tendancieux auraient sans doute cherché à tirer profit du décor anonyme et des crimes crapuleux qui servent de base à l’intrigue. Ici, au contraire, rien ne vient sérieusement perturber la conscience professionnelle de l’inspecteur. Ce dernier est donc successivement capable de repousser l’intrusion dans sa sphère privée de deux connaissances camées de sa fille, puis d’appeler les secours pour venir prêter assistance à l’un des assaillants à qui il a pété le genou sans le moindre état d’âme !

Ce qui nous paraît être l’exemple parfait de la mentalité islandaise dans toute sa magnifique contradiction.

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