Comment le monde a changé en près de trente ans, depuis les auditions tumultueuses en octobre 1991 autour de la nomination du juge Clarence Thomas à la cour suprême des États-Unis. Mais est-ce vraiment le cas ? En regardant le téléfilm Confirmation, produit par HBO et disponible sur le replay d’OCS, on a surtout eu une sensation peu agréable de déjà-vu. Car en seulement quatre ans, l’Histoire sociale, morale et même médiatique semble s’être engagée dans le cercle vicieux d’une terrible répétition des erreurs du passé.
Ce qu’étaient les révélations de Anita Hill et les procédures laborieuses entreprises par le sénat américain afin de trouver la vérité dans ce scandale peu glorieux dans les années ’90, nous l’avons d’ores et déjà vécu à nouveau depuis la première diffusion du film en avril 2016, à travers le mouvement #MeToo et la nomination du juge Brett Kavanaugh. Avec comme repère constant nullement rassurant dans ce bordel politique à longue haleine l’ancien vice-président Joe Biden, à l’époque un sénateur aussi influent que dépassé par la situation, qui est désormais le seul et unique espoir du peuple américain pour éviter un deuxième mandat du fou furieux qui occupe actuellement la Maison blanche !
C’est ce lien direct et a priori pas du tout prémédité avec l’actualité tristement brûlante, qui rend le film de Rick Famuyiwa si pertinent. Même pour un public français qui ne suivrait pas de près les manœuvres tordues au sein des institutions américaines. A la limite, tout ce que le réalisateur, remarqué l’année précédente pour son film Dope présenté à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes, aura à faire, c’est de suivre de près ce chapitre historique riche en rebondissements. Et c’est ce qu’il a fait essentiellement, en mélangeant avec adresse le matériel d’archives, disponible en abondance à cette époque de la naissance des chaînes d’info en continu, et la partie recréée par la fiction.
La qualité notable de la narration consiste alors à ne pas trop clairement prendre position au cours de cette descente dans les bas-fonds au parfum nauséabond de la politique politicienne à Washington. Ainsi, le récit fait consciemment l’impasse sur des instants de répit ou de victoire supposée. Il capte au contraire le malaise grandissant, qui tétanisait pendant un week-end d’automne le monde et la classe politique d’outre-Atlantique, au fur et à mesure que les fronts partisans s’étaient endurcis. Beaucoup d’éléments de l’intrigue permettent de mieux comprendre le piètre état dans lequel la démocratie américaine se trouve à l’heure actuelle. Or, il aurait été compliqué de préméditer pareille ressemblance inquiétante, alors que le président Obama terminait tranquillement son parcours plutôt exemplaire à la tête du gouvernement.
Cette dissection sans merci d’un épisode tout à fait honteux de l’Histoire américaine récente bénéficie donc du caractère intrinsèquement scandaleux des événements. Puisqu’il n’y avait nullement besoin de forcer le trait face à un tel spectacle du cirque politique et médiatique, les interprétations ont été mises sur la même longueur d’onde de la sobriété, néanmoins effarée par ce que les personnages ont dû subir. Tandis que, en règle générale, nous ne sommes guère des admirateurs du jeu de Kerry Washington, elle excelle ici dans l’évocation de l’impossibilité de la part de la victime présumée de faire entendre sa voix dans le brouhaha des demi-vérités qui empeste Washington. Son adversaire principal, Wendell Pierce dans le rôle du candidat accusé de harcèlement, fait de même preuve d’une indignation sourde, savamment contenue.
Les nombreux seconds rôles méritent le même niveau d’appréciation, quoique à un degré légèrement inférieur. A commencer par Greg Kinnear en Joe Biden incapable de gérer cette débâcle annoncée – ça promet pour la suite à partir de novembre prochain, ou pas … – et Jeffrey Wright en avocat de la victime, incapable à son tour de tourner à son avantage la compréhension lucide du chaos qui se déroule devant ses yeux. Enfin, peut-être le rôle le plus emblématique dans toute cette affaire, dont plus personne ne se souvient, mais qui mériterait largement de servir d’avertissement salutaire à la classe politique et aux électeurs d’aujourd’hui, est celui de Jennifer Hudson dans l’un des rares projets de qualité depuis ses débuts prometteurs dans Dreamgirls de Bill Condon, presque dix ans plus tôt.
Car plus encore que Anita Hill, Angela Wright constitue le symbole parfait de la parole de femme pathologiquement dédaignée par l’ordre patriarcal. Un ordre qui règne sur le monde depuis la nuit des temps et qui n’est aucunement prêt à rogner sur son pouvoir. On vous invite donc à considérer ce téléfilm révélateur comme une mise en garde, sensiblement plus amère que douce, sur ce qui nous attend du côté des États-Unis à une échéance plus ou moins brève et, surtout, à apprendre de son Histoire qui nous a amenés vers ce marasme politique et moral en apparence inextricable.