Une coproduction entre l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne sur les tribulations d’un vendeur d’armes suédois en pleine guerre civile au Mexique : ce western spaghetti a tout ce qu’il faut pour faire honneur à son genre, un véritable bouillon d’influences du côté du cinéma transalpin au cours des années 1960 et ’70. Compañeros est représentatif à bien d’autres égards de ce fleuron temporaire du cinéma italien, ne serait-ce qu’à cause de sa distribution hétérogène, qui voit une vedette américaine sur le déclin comme Jack Palance côtoyer une actrice allemande, Iris Berben, toujours très présente ces temps-ci sur le circuit people de nos voisins d’outre-Rhin, bien qu’elle n’ait jamais acquis quelque renommée internationale que ce soit. Avant tout, le film de Sergio Corbucci constitue un très solide condensé de la relecture italienne du western, le mythe américain par excellence, à savoir une aventure épique, pleine de violence et d’amitiés viriles qui bordent à la rivalité satirique ou l’inverse, avec une partition immédiatement reconnaissable signée Ennio Morricone en fond sonore.
On se croirait en effet d’emblée ramené aux westerns qui ont bercé notre jeunesse, où les héros plus grands que nature affrontaient avec ruse et courage des méchants aux traits guère moins caricaturaux. La première séquence du film est plutôt symptomatique de cette course à la référence, puisque les deux personnages principaux s’y affrontent lors d’un duel dans une gare déserte, au langage cinématographique plus ou moins éhontément pompé à l’introduction magistrale de Il était une fois dans l’Ouest de Sergio Leone. Le retour en arrière qui s’opère ensuite est moins platement explicatif qu’un nouveau départ vers une autre référence, cette fois-ci au lourd fardeau que le peuple mexicain devait porter autrefois par la faute de dirigeants corrompus au possible. Mais puisque la conscience sociale de Compañeros ne va aucunement aussi loin que celle du film du même nom de Alvaro Brechner, sorti en France il y a un an, la prochaine transgression ne se fait pas longtemps attendre.
Dès lors, il est question du parcours improbable de Vasco, un immigré d’origine basque, pas très futé selon l’avis de son principal adversaire / compagnon de route Yodlaf Peterson – le Scandinave précité – , qui se voit pourtant confier quelques responsabilités opportunistes de conquête d’une ville acquise à l’enseignement d’un professeur pacifiste. Autant Fernando Rey apporte un peu de calme et de sobriété dans le rôle de ce petit grain de sable faisant grincer le mécanisme capitaliste des grandes puissances autour de la frontière entre le Mexique et les États-Unis, autant Tomas Milian excelle dans l’emploi du cabotin sans besoin particulier d’allégeance, qui ne change jamais de béret, mais qui ne se laisse jamais prier longtemps pour retourner sa veste. La même instabilité morale se manifeste auprès du personnage de Franco Nero, un beau parleur hors pair, même dans les situations les plus périlleuses. Qu’il se tire toujours à peu près d’affaire, alors qu’une horde de révolutionnaires à cheval fonce sur sa tête, la seule partie de son corps au dessus du sol, ou qu’il garde difficilement la balance sur un tonneau, à moitié étranglé sous le regard impassible d’un faucon, il le doit à sa capacité d’adaptation curieusement superficielle.
Pour le meilleur et pour le pire, le récit se conforme à cette instabilité, voire à l’imprévisibilité d’un homme sans convictions. Le risque majeur est alors de divaguer au gré des opportunités d’incorporer un passage obligé du western en plus dans une intrigue, qui en contient déjà un nombre conséquent. La mise en scène s’en préserve au prix de quelques ellipses narratives tout de même un peu grossières, d’autant plus qu’elles contribuent au morcellement du fil dramatique, au lieu de le rendre plus organique. Qu’à cela ne tienne, Compañeros reflète parfaitement les différentes facettes du western spaghetti, quitte à laisser la conformité habile à un florilège de formules éprouvées prendre le dessus sur quelque originalité que ce soit. A regarder d’urgence sur le replay d’OCS, duquel il disparaîtra d’ici quelques heures, ou sinon, plus tranquillement, lors des huit diffusions matinales sur la chaîne d’Orange, dédiée aux perles trop longtemps ignorées du cinéma classique !