Est-ce que Idris Elba décrochera un jour le rôle de James Bond ? Avec chaque nouveau report pour cause de pandémie de la sortie de Mourir peut attendre, les cinquièmes et a priori dernières aventures de Daniel Craig dans la peau de l’agent mythique, cela devient de moins en moins probable. Sans doute las d’espérer l’hypothétique coup de fil des producteurs de l’univers 007, Elba est allé voir ailleurs. Sa stratégie de la diversion n’a pas forcément porté ses fruits, comme le prouve Bastille Day, un film d’action sorti au mauvais moment et surtout animé par un propos incroyablement incendiaire. En effet, souvenez-vous de ce long week-end de fête nationale en 2016, qui aurait dû marquer le coup d’envoi d’une saison d’été reposante et qui était devenu au contraire la source d’un traumatisme collectif en raison de l’attentat sanglant sur la promenade des Anglais à Nice.
Rien que le fait qu’on se sent désormais obligé de préciser de quelle attaque terroriste sur la Côte d’Azur il s’agit montre que ni la menace, ni la psychose se sont estompées depuis. Même quatre ans après sa sortie au très mauvais timing, le troisième et jusqu’à présent dernier long-métrage de cinéma de James Watkins souffre donc de son traitement cavalier de sujets bien trop brûlants pour former la base à l’idéologie trouble d’un film d’action lambda. Car le but principal de ce récit vaguement haletant est de divertir à la manière d’un James Bond au rabais. Plutôt que de viser les sommets du genre, avec ses intrigues internationales aux multiples rebondissements et aux gadgets sophistiqués, la narration préfère lorgner du côté du cinéma plus brut, rendu tant soit peu populaire par Luc Besson et Pierre Morel. Sans surprise, c’est ce dernier qui aurait apparemment été pressenti un temps pour réaliser ce film-ci.
L’image que donne Bastille Day – encore disponible pendant quelques heures sur le replay d’OCS – de Paris se conforme ainsi aux cartes postales atrocement réductrices que les spectacles tonitruants avec Liam Neeson ou encore John Travolta envoyaient de la capitale française au public mondial. Pour commencer, il y a quelque chose de fâcheusement irritant dans ces intrigues qui croient que seuls les services secrets étrangers soient assez performants pour mettre de l’ordre dans le chaos français. Dans le cas présent, les personnages locaux paraissent au mieux tels des faire-valoir pour les deux vedettes aux caractéristiques américaines tout à fait complémentaires.
Cela vaut autant pour Charlotte Le Bon en révolutionnaire pleurnicharde que pour José Garcia à la maîtrise de la langue anglaise surprenante pour le haut fonctionnaire qu’il interprète sans le moindre état d’âme. Parmi les seconds rôles, seul Eriq Ebouaney tente d’incarner réellement son personnage. Cette entreprise honorable est cependant minée par le peu de temps que son revendeur de Barbès à l’aura paternelle apparaît à l’écran.
Or, l’aspect le plus irresponsable du film est son amalgame explosif de tout ce qui a fait bouillonner la société française ces dernières années. Quelle idée en effet d’agencer une intrigue policière des plus conventionnelles autour des thèmes sensibles, hier comme aujourd’hui, des attentats, des violences policières et de toutes sortes de fanatismes radicaux ? Le pire, c’est que ni la mise en scène, ni le scénario n’aient quoique ce soit d’éclairant à contribuer à ces plaies vives de notre époque, si ce n’est que tout ira bien grâce à l’intervention d’un Oncle Sam moderne ! La bonne blague !
Au moins, le jeu déterminé de Idris Elba dégage la force virile, calme et rassurante, dont il détient le secret dans la plupart de ses films. Son tandem héroïque avec Richard Madden s’en voit certes déséquilibré, puisque l’emploi de ce dernier en voleur à la tire aux combines magistrales manque cruellement de profondeur. Mais dans l’ensemble, la capacité de l’agent Briar de mener à bien chaque mission qui lui est confiée, quitte à causer quelques dommages collatéraux, fait office ici de repère à peu près fiable dans un marasme idéologique des plus douteux.
Le manque de succès commercial de Bastille Day ne s’explique en toute probabilité pas uniquement par le moment malheureux de sa sortie. Son approche opportuniste de thèmes sociaux bien trop sérieux pour alimenter si superficiellement une intrigue policière convenue n’améliore en rien la qualité de cette dernière. A classer donc parmi les Taken et autres From Paris with Love, ces œuvres écœurantes par la désinvolture avec laquelle elles se servent du décor socialement ambigu de Paris pour illustrer bêtement leur surenchère prévisible de l’action, voire de la violence gratuite.