Vu sur Netflix : « Hollywood »

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© 2020 Ryan Murphy Productions / Netflix Tous droits réservés

L’évolution des mœurs n’a jamais été linéaire ou prévisible. Elle avance à son propre rythme. Parfois, elle a même tendance à régresser. Ou bien, par temps de crise, elle stagne en attendant des jours meilleurs, plus propices à rendre la vie en société plus plaisante pour tout le monde. Quoiqu’il en soit, la modification de nos modes de vie et l’ouverture progressive des esprits n’est que très rarement le fruit du travail d’une seule personne ou d’un petit groupe d’activistes. Et, encore plus certain, les grandes instances de l’opinion par voie médiatique, comme Hollywood, en sont au mieux les témoins, mais jamais les précurseurs.

Contrairement à ce que George Clooney avait voulu faire croire dans son discours de remerciements à la cérémonie des Oscars en 2006. L’acteur de Syriana de Stephen Gaghan y avait exprimé sa fierté d’appartenir à une communauté ayant récompensé l’actrice afro-américaine Hattie McDaniel, alors que pareille mise en valeur raciale n’était pas du tout de rigueur à l’époque aux États-Unis. Au détail près que le cas de l’actrice de Autant en emporte le vent de Victor Fleming était plus l’exception qui confirmait la règle que le début prometteur d’un véritable changement du statu quo. Au moins ce détail-là de l’Histoire d’Hollywood, la mini-série du même nom, conçue par Ryan Murphy et disponible sur Netflix, l’a laissé à peu près intact.

Car pour le reste, « Hollywood » s’emploie à récrire de fond en comble les années d’après-guerre dans une industrie en proie à des bouleversements majeurs. Sauf que dans l’univers de la fiction selon Murphy, les patrons des grands studios ne devaient pas se battre contre la fin de leur règne sur tous les maillons de la chaîne de production, l’arrivée inévitable de la concurrence du petit écran ou le combat idéologique pour l’âme de l’Amérique, mené de façon fanatique par le sénateur McCarthy et sa chasse aux éléments communistes planqués parmi l’intelligentsia artistique de la côte Ouest. Non, sans négliger entièrement le lien avec la réalité historique, le récit met tout en œuvre pour créer un univers parallèle. Des croisades sociales largement ultérieures y auraient d’ores et déjà amélioré les conditions de vie et de travail des femmes, des minorités raciales et des homosexuels.

© 2020 Ryan Murphy Productions / Netflix Tous droits réservés

Dans ce meilleur des mondes, dont on attend toujours l’avènement même soixante-dix ans plus tard, ce ne serait plus l’argent qui décide de tout, mais la conviction de faire du bien en faveur de toutes ces classes sociales si longtemps opprimées par le discours dominant. Bien évidemment, au début, c’est le vieux Hollywood avec toute sa duplicité, ses coups foireux et son hiérarchie imprenable qui domine. On se croirait alors dans une version d’emblée édulcorée – l’esthétique aseptisée de la plateforme de vidéo en ligne oblige – de « Hollywood Babylone », le célèbre livre de Kenneth Anger dans lequel il passait en revue tous les péchés du temple du cinéma américain.

En effet, si l’on recherche en vain la moindre référence aux drogues dans les sept épisodes de la mini-série, les ébats sexuels sous toutes leurs formes n’y manqueront pas. Le catalogue des vices s’arrête par contre quasiment là, le propos hautement volontariste du récit ne laissant guère de place à une vision plus glauque du milieu. A l’exception de l’agent passablement pervers Henry Wilson – interprété avec une dose considérable de narcissisme par Jim Parsons – , les personnages paraissent animés par une incroyable volonté altruiste, quitte à devoir passer par quelques expériences proches de la révélation avant de se rendre compte que l’union progressiste fait la force. Tous ensemble, ils œuvrent dès lors à produire le film fictif Meg. C’est grâce à ce mélodrame de la pire espèce que ses créateurs, issus de toutes sortes de minorités, pourraient prendre leur revanche sur un système moral répressif et prétendre à le rediriger dans la bonne direction supposée.

Quelque part dans les près de six heures de « Hollywood », il y aurait eu matière à une parodie cinglante du mythe du cinéma et de tout ce qu’il représente. L’emphase dont la plupart des interprétations font preuve empêche hélas le ton à prendre du recul par rapport à son discours uchronique. Alors oui, certains rares rayons de légèreté, comme Dylan McDermott en gérant de station-service spécialisée en d’autres types de service et Rob Reiner en magnat de la vieille école, assurent un degré de divertissement indéniable à l’intrigue. Mais globalement, le spectateur ne peut se soustraire à l’appui narratif par lequel Ryan Murphy et ses associés soulignent les avantages de ce paradis illusoire des droits de l’homme avant l’heure.

© 2020 Ryan Murphy Productions / Netflix Tous droits réservés

Le positionnement historique de cette production Netflix est en effet des plus ambigus. D’un côté, elle orchestre plutôt astucieusement le choc entre ce qui a été et ce qui aurait pu être. Et de l’autre, elle nous rappelle à quel point le chemin sera encore long avant d’arriver à un semblant d’égalité des chances et des représentations dans le modèle hollywoodien. Hélas, sur les deux tableaux complémentaires, elle n’évite pas toujours de tomber dans une sorte de propagande bienveillante, un optimisme aux yeux bleus à qui rien, ni personne n’est censé résister, au lieu de creuser plus en profondeur les raisons pour lesquelles pareil sursaut civique était inimaginable à cette époque-là.

Néanmoins, dans toute sa peinture rose bonbon d’une période historique indubitablement plus grise et sombre, « Hollywood » nous permet d’imaginer au moins en rêve où le monde serait aujourd’hui, si les événements abracadabrants qui rythment le récit avaient réellement eu lieu. En termes d’égalité hommes / femmes, Sherry Lansing n’aurait pas été la première femme présidente de Paramount Pictures dans les années 1990. De même, le discours féministe au sens large aurait pu prendre un essor précoce dès les années 1950, une décennie au contraire marquée par un retour accablant de valeurs traditionnelles. Et pour une meilleure reconnaissance des minorités raciales, le sort de l’actrice sino-américaine Anna May Wong aurait pu servir d’exemple brillant à un juste retour des choses, plutôt que d’être une triste anecdote sur le racisme impitoyable à Hollywood, au même niveau que les parcours muselés de Lena Horne et Dorothy Dandridge.

Enfin, sans surprise, le cheval de bataille qui semble le plus tenir à cœur à Ryan Murphy est celui de l’homosexualité. Outre le fait qu’au moins la moitié des personnages masculins est gays, ce qui ressemble tout de même fort à un cliché tenace sur Hollywood, ce sont également eux qui ont droit aux séquences les plus poignantes. Tandis que le pauvre Rock Hudson sert de modèle à un portrait guère flatteur, digne d’un simple d’esprit dépourvu du charme désarmant qui avait été le capital de séduction majeur de l’acteur, c’est en lui que se focalise l’écart pénible entre la réalité et la fiction. Dans la première, il a mené une existence de vedette internationale férocement resté dans le placard, jusqu’à sa mort tragique du sida en 1985. Alors qu’ici, son avenir professionnel peu prometteur serait amplement compensé par l’amour qu’il file en parfaite transparence avec son compagnon scénariste.

En tant que baume au cœur de toutes les minorités malmenées dans leur vie privée et publique, « Hollywood » tient donc ses promesses. C’est sa relecture sociale de la fin des années 1940, qui nous paraît déjà plus problématique. Elle est animée par la volonté effrénée de voir le progrès arriver dans un contexte ne s’y prêtant toujours pas actuellement, au moins en partie.

© 2020 Ryan Murphy Productions / Netflix Tous droits réservés

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