A première vue, Gérard Jugnot est le maître incontesté de la ringardise dans le cinéma français. Dès son premier film en tant que réalisateur, Pinot simple flic disponible en ce moment sur le replay de Ciné +, il s’est en effet employé à cultiver l’image d’un bonhomme bien franchouillard comme il faut. Son gardien de la paix, qui sème la pagaille où qu’il passe en patrouille dans le 13ème arrondissement de Paris, y cherche à colporter une image dangereusement complaisante de la police nationale. Car en dépit de ses maladresses récurrentes et de ses méthodes peu orthodoxes, le personnage principal finira quand même avec les félicitations de ses supérieurs, à condition que les fonctionnaires de la poste soient plus fiables que ceux du ministère de l’intérieur.
Comme l’indique indirectement la dédicace au début du film, la vocation de ce dernier est de démontrer, à son niveau modeste, que le cœur de la police bat toujours pour la justice, peu importe les dysfonctionnements dont elle peut être accusée. Sans appartenir au genre douteux de la propagande larvée, cette comédie globalement plaisante et certainement nostalgique n’hésite à aucun moment de choisir son camp. L’équipe de police au sein de laquelle travaille Pinot a beau être peu efficace, voire carrément bancale dans ses procédures sans queue, ni tête, sa raison d’être et sa justification d’emploi de la force ne sont jamais sérieusement mises en question.
Le ton du film se situe davantage du côté d’une douce naïveté. Celle-ci voit d’ores et déjà les tensions sociales à venir pointer leur nez, tels que les trafics de drogue omniprésents et le manque de respect croissant envers les hommes en uniforme. Mais la narration pense encore pouvoir y faire face avec un humour passablement absurde.
Absurde et, malgré les apparences, discrètement subtil. Car derrière ses grands airs de flic exemplaire, Pinot accumule joyeusement les défauts. Timide et accablé par un mélange hasardeux pour sa profession entre la lâcheté et la bêtise, il ne dispose en fait d’aucun des traits de caractère qui distinguent habituellement ses confrères à l’écran. Vous savez, ces héros téméraires, désabusés au delà du nihilisme et néanmoins prêts à tout pour mener à bien leur enquête. Même quand ils savent pertinemment qu’elle ne modifiera en rien le déséquilibre entre le bien et le mal en milieu urbain.
Le protagoniste de ce film-ci ne voit par contre pas aussi loin. Tout ce qui lui importe, c’est de sauver sa peau. Surtout dans les situations périlleuses qui découlent de son statut à cheval entre le milieu préservé et incroyablement oisif du poste de police et le monde extérieur, peuplé d’individus en guerre contre tout ce que Pinot et ses collègues représentent.
Pourtant, au fur et à mesure que le personnage principal relativise son code déontologique, il gagne en courage, au détriment de son avancement hiérarchique. Simple flic il est, simple flic il restera. Quitte à défroquer un pauvre clochard en pleine nuit, à voler des stupéfiants au commissariat et à tomber pour une gamine, dont l’une des qualités dramatiques principales est qu’elle est mineure. Il faut croire que trente-cinq ans avant le mouvement #metoo, une telle liaison paraissait envisageable au cinéma, même dans son état pas pleinement assumé. D’autres éléments qui datent sérieusement le film sont des blagues assez sexistes et racistes, y compris une sur les DOM-TOM, par laquelle Pascal Légitimus, alors aux débuts de sa carrière, est visé.
Mais là aussi, le propos de Jugnot demeure contre toute attente nuancé. Ainsi, la chute d’une boutade sur le nom du protagoniste, écorché par tout son voisinage avec plus ou moins de malice, a de quoi surprendre. Après avoir été à répétition la victime de ce manque de considération et d’attention envers l’autre, Pinot s’en rend lui-même coupable, quand il croise la concierge, originaire des Balkans, dont il ne maîtrise pas non plus le patronyme.
Ce sont de tels détails qui nous donnent l’espoir que le cinéma de Gérard Jugnot est moins grossièrement populiste qu’il ne paraît. Alors oui, au bout d’une heure et demie de film sans écart formel notable, la vanité stylistique est quand même au rendez-vous, à travers le dispositif du film dans le film : la caméra recule pour montrer l’équipe de tournage aux ordres de son réalisateur débutant, qui trouve que c’était bon jusque là. Et au lieu de simplement présenter ses acteurs – très solides mais relativement peu connus, à l’exception de Pierre Mondy et de Jean-Claude Brialy – avant le générique de fin, la mise en scène a également cru bon d’y inclure une sorte de sélection des scènes les plus amusantes.
Mais sinon, Pinot simple flic est en tous points conforme à ce qu’on allait voir au cours des dix films suivants réalisés par Gérard Jugnot jusqu’à ce jour. A savoir un divertissement beaucoup moins démagogue que finement conscient de l’époque à laquelle il a été produit et des enjeux sociaux qui sous-tendent cette dernière.