Critique : Viva

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Viva

Irlande, Cuba, 2015
Titre original : Viva
Réalisateur : Paddy Breathnach
Scénario : Mark O’Halloran
Acteurs : Hector Medina, Jorge Perugorria, Luis Alberto Garcia
Distribution : ARP Sélection
Durée : 1h40
Genre : Drame
Date de sortie : 6 juillet 2016

Note : 3/5

Jusqu’à présent, le film à thématique gaie le plus marquant à sortir de la production cubaine moribonde était Fresa y chocolate de Juan Carlos Tabio et Tomas Gutierrez Alea. Or, au début des années 1990, la situation n’était pas du tout la même, ni du côté politique avec la résistance contre l’écroulement des antagonismes propres à la Guerre froide brandie à l’époque par Fidel Castro tel une ultime convulsion contre le cours inévitable de l’Histoire, ni en termes de mœurs puisque le cinéma gay vivait alors un âge d’or par le biais de l’accession à une nouvelle visibilité, jamais démentie depuis. Un quart de siècle plus tard, rien n’est plus comme avant, puisque l’économie de l’île caribéenne s’ouvre, voire se soumet, à une vitesse galopante au grand voisin américain et que l’identification en tant qu’homosexuel relève d’une banalité qui ne choque plus personne. Pas facile donc pour un film récent de se distinguer dans un tel contexte, surtout avec une date de sortie en plein été, après le passage des différentes marches des fiertés, et avec un métissage de la production entre l’Ireland et Cuba qui pourrait faire douter de la pureté de l’approche culturelle. De surcroît, Viva n’est point avare en clichés sur la misère affective et matérielle de la communauté des travestis à La Havane. Et puis, contre toute attente, le film de Paddy Breathnach réussit brillamment à nous toucher, à balayer toutes les conventions d’un revers de main nonchalant pour mieux se concentrer sur la dimension humaine de ses personnages !

Synopsis : Depuis la mort de sa mère, le jeune Jésus vit seul dans son appartement délabré dans un quartier populaire de La Havane. Il gagne un peu d’argent en coiffant les vieilles dames dans son entourage et il s’occupe des perruques pour un spectacle de travestis dans le bar de l’imposante Mama. Lorsque l’un des artistes se fait la malle, Jésus tente sa chance en montant pour la première fois sur scène. Après des débuts difficiles, il commence à trouver sa place au sein de la troupe, jusqu’à ce que son père Angel, un ancien boxeur qu’il n’a pas vu depuis très longtemps, refasse surface. Ce dernier, mal à l’aise avec l’orientation sexuelle de son fils, refuse qu’il s’exhibe en public.

Mon père ce salaud

Le scénario de Viva fait preuve d’un talent admirable pour duper les attentes. Tandis que la plupart des films gays s’évertuent jusqu’à ce jour à suivre le protagoniste, mal compris par ses proches et mal dans sa peau de jeune pédé, au fil d’un cheminement salutaire d’affirmation de soi, celui-ci met davantage l’accent sur la relation conflictuelle avec le père. Ainsi, Jésus n’a rien du travesti caricatural, flamboyant et fragile, qui déteste tous ceux qui s’opposeraient à son épanouissement personnel. C’est au contraire un jeune homme pragmatique, conciliant et diplomate, qui sait néanmoins ce qu’il veut et qui est pleinement conscient de ses capacités et de ses ambitions existentielles. Ces dernières sont sérieusement mises en question par l’arrivée du père, une brute sur le déclin qui s’incruste dans le but apparent de rendre la vie de sa progéniture infernale. Evidemment, le ton de la narration est bien trop nuancé pour faire déraper le récit vers un conte misérabiliste. Il s’emploie plutôt à accentuer, sans aucun manichéisme, le dilemme entre la cohésion et l’éclatement inhérent à chaque famille, aussi dysfonctionnelle soit-elle.

Sur scène ou sur le ring, même combat

Car à bien y regarder, la quête du père est quasiment la même que celle de son fils, au détail près qu’ils se trouvent aux extrémités opposées de la vie d’adulte. En raison de l’incompatibilité criante entre les deux milieux qu’ils fréquentent, leur point de conversion est alors le cercle familial, ou ce qu’il en reste au bout de souvenirs ternis par l’alcool, la maladie et un sentiment douloureux d’abandon de la part du fils, qui a dû reconstruire son identité par ses propres moyens. Chacun vit sa vie selon ses envies. C’est peut-être justement cette intransigeance réciproque qui permet à Angel et Jésus de trouver une sorte de terrain d’entente, loin des poncifs habituels, qui considèrent les différences irréconciliables comme la seule voie viable d’un point de vue dramatique. Ici, ce n’est pas la revendication obstinée de la différence qui est mise en avant, mais une vie en communauté parfois bordélique, parfois blessante, quoique toujours empreinte d’une forme d’optimisme qui permet de progresser à petits pas. En cela, Viva se démarque sensiblement des films gays lambda, qui restent trop souvent concentrés sur les batailles usantes d’une minorité sur le chemin de la tolérance durement acquise, au lieu d’observer des destins de personnages gays qui ne se définissent pas exclusivement par leur appartenance à telle ou telle communauté.

Conclusion

Un peu de passion latine, un peu de distance irlandaise, le tout associé à un type d’histoire qui nous ferait normalement grincer des dents à cause du nombre conséquent de clichés qu’elle comporte. Et pourtant, Viva peut sereinement prétendre à être un film majeur au sein du cinéma gay, grâce à la fois à son regard lucide sur la discrimination larvée dans des pays en proie à une précarité matérielle prononcée et à sa capacité d’élargir l’horizon généralement trop nombriliste des contes d’affirmation homosexuelle vers une parabole familiale à valeur universelle.

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