Une part d’ombre
Belgique, Suisse, France, 2017
Titre original : –
Réalisateur : Samuel Tilman
Scénario : Samuel Tilman
Acteurs : Fabrizio Rongione, Natacha Régnier, Yoann Blanc, Erika Sainte
Distribution : Destiny Films
Durée : 1h34
Genre : Thriller
Date de sortie : 22 mai 2019
Note : 3/5
Il l’a fait ou pas ? Cette question basique de culpabilité n’est pas la seule à animer ce premier film belge, présenté en compétition à l’Arras Film Festival. Car Une part d’ombre s’intéresse avant tout aux facteurs environnants, qui engendrent une mise sur le banc des accusés du suspect bien en amont des procédures judiciaires. La réaction de son entourage, qui bascule sans prévenir de l’amusement à la suspicion, se charge ainsi d’une condamnation sociale au préalable, à laquelle le verdict final ne pourra plus changer grand-chose. Cet assassinat implacable d’une réputation, le réalisateur Samuel Tilman le filme avec une sobriété joliment glacée, qui laisse planer le doute quant aux véritables motivations de ce père de famille, devenu du jour au lendemain le bouc émissaire idéal de son microcosme. Grâce à l’interprétation imposante de Fabrizio Rongione, le portrait de cet homme traqué par le regard désapprobateur des autres reste saisissant, surtout du côté de la face cachée d’une personnalité sinon entièrement conforme aux convenances. Meurtrier, voleur, adultère ou menteur ? Toutes les accusations paraissent recevables ici, dans une opération de démontage systématique des apparences de laquelle ni le protagoniste, ni le spectateur ne sortiront moralement indemnes.
Synopsis : A la fin des vacances qu’il a passées avec sa famille et ses amis dans un chalet dans les Vosges, le professeur David fait un dernier footing dans la forêt. Il en revient comme si de rien n’était, mais le jour suivant, la police française trouve le corps d’une femme près du chemin qu’il avait emprunté. Retourné depuis chez lui en Belgique, David est d’abord interrogé comme simple témoin, puisqu’il avait échangé quelques mots avec la victime peu de temps avant le crime. Faute d’autres pistes exploitables, l’enquête se focalise rapidement sur lui et déterre toute une partie de la vie privée de cet homme ordinaire, qui se trouve alors simultanément traqué par la police et l’opinion publique.
Au mauvais endroit, au mauvais moment
David est un séducteur né : il s’amuse à l’improviste avec sa femme dans une remise, son pas vigoureux foule les chemins boueux des moyennes montagnes françaises et il blague pareillement avec ses potes et ses enfants. Or, cette première impression d’un homme parfait n’est qu’un leurre, le point de départ nécessaire pour procéder ensuite au démontage impitoyable de cette mascarade bourgeoise. Puisque le hasard de l’emploi du temps festivalier a voulu que nous découvrions Une part d’ombre dans la salle du Cinémovida baptisée Claude Chabrol, il y a des influences assez nettes du maître du polar corrosif dans ce fait divers déroutant. L’écart qui s’y creuse entre une normalité de façade et des ressentiments moins avouables au fur et à mesure que le protagoniste perd ses appuis moraux et sociaux garantit en effet au film au moins un deuxième niveau de lecture, plus ambigu que ne l’est l’interrogation sur laquelle s’était ouvert notre texte. Pendant que l’enquête stagne, à cause du manque de moyens des forces de l’ordre officielles et peut-être aussi parce que David chasse des fantômes qu’il est le seul à voir dans son désespoir de l’innocent injustement accusé, les signes d’un crime probablement encore plus fourbe se multiplient. Il ne s’agit pas ici pour la narration dense, mais rarement tentée par le coup de théâtre tonitruant, de resserrer artificiellement l’étau autour de l’auteur présumé du meurtre crapuleux, mais au contraire de souligner en quelque sorte que tout le monde peut s’avérer suspect devant le tribunal du consensus moral, dès qu’on fouille avec un peu trop de zèle dans son linge sale.
L’innocent aux mains sales
Face à cet homme, qui se démet autant de son propre chef de ses fonctions qu’il est poussé vers la sortie par ses proches, c’est surtout son épouse qui adopte le rôle peu enviable d’instance morale, à laquelle David devra se laisser mesurer. Natacha Régnier trouve une fois de plus un rôle en or grâce à cette femme, qui ne sait plus trop quoi penser de son mari et, pire encore, de sa vie à partir d’un certain moment. Elle se laisse alors flotter au gré des révélations compromettantes, toujours prête à donner une deuxième chance à celui qu’elle aime malgré tout, mais en même temps hautement influençable et sensible, dès que David clame son innocence avec un peu trop de véhémence ou qu’il reproche à ses amis leur hypocrisie insoutenable. A cette impression de plus en plus réelle et cinglante d’exclusion, elle n’est point le remède miracle, comme le montre habilement la mise en place du dernier plan du film. Auparavant, il y a déjà eu d’autres instances de mise à l’écart sans appel, légèrement trop explicite lorsque David rentre plus tôt que prévu chez son ami Noël et tombe sur la bande d’amis réunie au grand complet et que le réalisateur l’exclut alors complètement du cadre. De même, le montage à la toute fin de Une part d’ombre, qui met des images sans équivoque sur la responsabilité partielle du protagoniste doit paraître presque contre-productif dans le contexte d’un film, qui avait su orchestrer jusque là un aménagement plutôt passionnant du doute.
Conclusion
C’est visiblement du côté de la compétition qu’il faut aller chercher les meilleurs films de la 18ème édition de l’Arras Film Festival ! Cette production belge est ainsi bien plus qu’un thriller passe-partout, grâce à la place de choix qu’elle accorde à la destruction minutieuse de la réputation d’un homme respectable. C’est moins la question de la culpabilité qui importe ici que l’ambiguïté des allégeances envers un meurtrier supposé. Fabrizio Rongione confère à ce dernier une aura des plus troublantes, à mi-chemin entre la fragilité de la bête apeurée et un calcul beaucoup moins charmant.