Italie, 1957
Titre original : Un eroe dei nostri tempi
Réalisateur : Mario Monicelli
Scénario : Rodolfo Sonego et Mario Monicelli
Acteurs : Alberto Sordi, Franca Valeri, Giovanna Ralli
Distribution : Les Films du Camélia
Durée : 1h28
Genre : Comédie
Date de sortie : 26 août 2015 (Reprise)
Note : 3/5
Qu’il est loin le temps où le cinéma italien faisait preuve d’une vitalité telle que les pépites filmiques y tombaient presque à un rythme hebdomadaire ! Même si quelques distributeurs téméraires comme Bellissima Films s’évertuent à nous faire découvrir en France une sélection du cinéma italien actuel, force est de constater que la grande époque des années 1950 et ’60 est définitivement révolue. L’un des principaux vecteurs de cette longue période de réussites incomparables était alors la comédie à l’italienne, qui s’attaquait à des sujets assez universels pour faire rire les spectateurs du monde entier devant les écrans de cinéma. Les préjugés les plus tenaces sur la culture italienne doivent leur survie dans la mémoire collective à ces films jubilatoires, qui ne se faisaient guère d’illusions sur l’exemplarité de l’âme des Italiens. Car les meilleurs d’entre eux dressaient un portrait au vitriol de ces faux machos, égoïstes et lâches, dont l’exploit douteux consiste à faire tourner en rond la société italienne depuis des décennies. Comme ce film-ci, issu des débuts de l’illustre carrière du réalisateur Mario Monicelli, qui ne se gêne pas pour tourner en dérision la montagne de névroses qui rend la vie du protagoniste infernale.
Synopsis : Alberto Menichetti fait tout pour éviter les ennuis. Il prend toutes les précautions imaginables pour conjurer le mauvais sort et se prévaloir d’une éventuelle mise en examen par la police pour un crime qu’il n’aurait pas commis. Son état d’esprit hautement prudent l’oblige même à noter ses moindres activités dans son agenda, au cas où il serait un jour obligé de justifier son emploi du temps. Avec une attitude aussi peureuse, Alberto peine à trouver des amis. Vivant encore avec ses tantes et portant des pulls en plein été, par peur de s’enrhumer, il aurait pourtant envie d’avoir une affaire soit avec Marcella, la très jeune assistante de la coiffeuse du quartier, soit avec sa supérieure Vedova De Ritis, une veuve qui attend depuis des années le transfert du corps de son mari. Tous ces beaux projets risquent cependant de tomber à l’eau, lorsque Alberto est mêlé malgré lui à une sinistre histoire de poseurs de bombes.
Tirez sur le sanglier
Un héros de notre temps a beau avoir été tourné il y a près de soixante ans, les observations malicieuses auxquelles il procède par rapport à la société dans laquelle le personnage principal évolue tant bien que mal ont préservé toute leur pertinence jusqu’à ce jour. En premier, les conditions de travail avec ce système de micros machiavélique, qui permet au patron d’épier par voie sonore ses employés et de les rappeler immédiatement à l’ordre en cas d’abus. La résistance face à cette surveillance omniprésente est aussi molle que l’éthique professionnelle de Alberto Menichetti, dont on voit en fait comme seuls emplois le nettoyage du bureau de sa supérieure et l’essayage d’un nouveau modèle de chapeau. Mario Monicelli n’a jamais été un réalisateur militant en faveur d’une quelconque cause sociale. Il a par contre su explorer comme personne d’autre les nombreuses failles de la mentalité italienne, ce doux bordel latin dont on n’arrive de s’affranchir que grâce à un talent hors normes pour la débrouillardise. Le hic – qui est en même temps le garant d’un humour hautement divertissant –, c’est que le protagoniste de ce film-ci a au contraire le don de se fourvoyer par maladresse dans des situations improbables, qui confirment au demeurant les appréhensions qu’il cultive à l’égard de l’autorité sous toutes ses formes.
Une mesquinerie irrécupérable
L’ironie du titre est donc d’emblée manifeste, à moins de supposer que chaque époque a les idoles qu’elle mérite et que, par conséquent, les fourberies de Alberto ne sont que le reflet à peine déformé d’une société qui court à sa perte. Toujours est-il que la narration réussit admirablement à rendre attachant cet homme faible, voire méprisable. L’interprétation finement modulée de Alberto Sordi est également pour beaucoup dans la richesse de ce personnage qui n’aurait pu être qu’une vilaine caricature. Ce n’est pas pour autant qu’il tire la couverture à lui, puisque la nature du récit penche plutôt vers une forme chorale, où les personnages secondaires seraient les déclencheurs opportuns des phobies du héros. Et des aversions, il en a tellement que sa fragilité psychologique extrême ne laisse supposer aucune mesquinerie de sa part. Ce qui n’empêche pas ses proches de se défouler indirectement sur lui ou tout au moins de tirer impudemment avantage de sa petite nature. Dans le cinéma américain qui n’aime qu’une seule et unique catégorie de héros, ce genre de prémisse aurait donné lieu à une comédie débile au ton avilissant. Dans l’Italie de la grande époque, elle nous réserve une petite perle cinématographique, où les déboires successifs du protagoniste en disent plus long sur l’état d’esprit global d’un pays que sur les névroses d’un individu isolé.
Conclusion
Eh oui, il est loin le temps du cinéma italien à l’éclat resplendissant. Mais grâce aux reprises regulières de classiques plus ou moins méconnus, nous jouissons du privilège de pouvoir nous rappeler encore et encore cette grande époque de Mario Monicelli, Alberto Sordi et tant d’autres. Un héros de notre temps en est l’exemple parfait : il s’agit d’une comédie légère et pétillante, quoique animée d’une étincelle de malice qui confère un niveau de dérision supplémentaire à l’intrigue dépourvue de temps morts.