Tonnerre
France : 2013
Titre original : Tonnerre
Réalisateur : Guillaume Brac
Scénario : Guillaume Brac, Hélène Ruault, Catherine Paillé
Acteurs : Vincent Macaigne, Solène Rigot, Bernard Ménez, Jonas Bloquet
Distribution : Wild Bunch Distribution
Durée : 1 h 40
Genre : Comédie Dramatique
Date de sortie : 29 janvier 2014
4/5
En l’espace de quelques mois, le comédien Vincent Macaigne aura contribué à mettre en lumière 4 réalisateurs français d’une génération nouvelle qui cherche à s’écarter d’un certain type de cinéma, parfois médiocre, parfois de qualité mais, en tout cas, formaté pour la télévision. C’est ainsi que ce sont succédé sur nos écrans La fille du 14 juillet d’ Antonin Peretjatko, La Bataille de Solférino de Justine Triet, 2 automnes 3 hivers de Sébastien Betbeder et Tonnerre de Guillaume Brac. Ce dernier s’était fait remarquer il y a un an avec la sortie couplée du moyen métrage Un Monde sans femme et du court métrage Le Naufragé, deux films ayant déjà Vincent Macaigne en tête d’affiche.
Synopsis :
Un rocker trop sentimental, une jeune femme indécise, un vieux père fantasque. Dans la petite ville de Tonnerre, les joies de l’amour ne durent qu’un temps. Une disparition aussi soudaine qu’inexpliquée et voici que la passion cède place à l’obsession.
Deux films pour le prix d’un
Maxime, la bonne trentaine, est un auteur compositeur de chansons plutôt rock qui, n’arrivant pas à travailler ses compositions dans l’agitation parisienne, est venu passer quelques jours à Tonnerre, chez son père. Un matin, ce dernier, en tenue de cycliste, vient le réveiller : Mélodie, une jeune journaliste, est arrivée plus tôt que prévu pour interviewer la « star » locale. Nous voilà partis, tout au moins dans un premier temps, pour une comédie romantique pleine de charme, de poésie et d’humour. En effet, la rencontre de Maxime et de Mélodie se traduit chez le premier par un phénomène couramment appelé coup de foudre, renforcé par le fait qu’il est à un âge où on commence à regarder sa propre jeunesse dans le rétroviseur : une relation avec une jeune femme de 20 ans pourrait lui permettre de retrancher, dans son esprit, plusieurs années au compteur. Dans ce contexte, il est évident que Maxime va tout faire pour conquérir la belle. On apprend vite que Mélodie sort d’une histoire d’amour avec un jeune footballeur de son âge. Elle est fragile, peu sûre d’elle. C’est ainsi qu’elle affirme à Maxime qu’elle ne réussira jamais rien, qu’elle se sent inférieure, la meilleure preuve étant que, inscrite à un concours de jeunes journalistes, elle n’y est finalement pas allé, pensant qu’il y en avait plein de candidats meilleurs qu’elle. Dans toute cette première partie, Guillaume Brac propose au spectateur un certain nombre de scènes assez réjouissantes. Par exemple celle du chien, Cannibale, au caractère plutôt morose mais qui marque un intérêt certain lorsqu’on lui déclame une poésie d’Alfred de Musset ; celle, splendide, où Maxime va assister au cours de danse de Mélodie, lui, dehors sous la neige, elle qui danse avec les autres au son de la magnifique chanson mexicaine, « La Llorona », qu’on entend à peine. Pas de doute, les choses évoluent favorablement pour Maxime qui réussit à entraîner Mélodie dans une escapade dans un Morvan hivernal, donc enneigé : ski de fond, ballade romantique en barque, nuit dans un chalet dont ils ont forcé la porte. Et puis, un jour, Mélodie annonce à Maxime qu’elle doit partir pour 3 jours. Plus de nouvelles de sa part dans les jours qui suivent son départ. Que cache-t-elle ? Comment va réagir Maxime ?
Deux hommes et une femme, un fils et son père
Commencé dans un registre proche des films de Rivette ou de Rozier, Tonnerre vire tendance thriller et film noir à mi parcours : un changement de ton aussi brutal est plutôt rare dans le cinéma hexagonal. Outre le fait d’être très bien réussi, ce changement de ton est parfaitement justifié par le fait que le film raconte l’amour fou d’un homme à l’équilibre quelque peu instable que l’objet de son amour laisse dans l’ignorance de ce qui se passe en elle. Sans excuser le comportement qui va être le sien dans la deuxième partie du film, cela suffit à l’expliquer. A la sortie du film, une question peut tarauder le spectateur : ai-je assisté à un film misogyne ou, au contraire, à un film féministe ? Et s’il était les deux à la fois, misogyne lorsqu’il montre une femme perturbée et versatile, féministe lorsqu’elle se plaint, à juste titre, d’être manipulée, utilisée par les hommes, de ne pas avoir d’espace de liberté. D’autant plus féministe que l’on finira par voir et entendre Mélodie se libérer de l’emprise qu’avaient les hommes sur elle dans une scène très surprenante et très forte. S’il traite avant tout de l’histoire d’une jeune femme coincée entre deux amours, Tonnerre n’oublie pas de nous montrer les relations entre Maxime et son père : deux générations différentes ; le fils qui reproche à son père le comportement qu’il a eu lorsqu’il est parti avec une jeunette de 25 ans alors que sa femme souffrait d’un cancer ; le père qui reproche à son fils de n’être venu voir sa mère que 3 fois lors de son long séjour à l’hôpital. Ils se croient très différents l’un de l’autre, ils se comportent en fait de façon très similaire, éternels adolescents attirés tous les deux par des femmes beaucoup plus jeunes qu’eux.
Un style très personnel
Guillaume Brac a une façon très personnelle de construire un film. C’est ainsi que, très souvent, les scènes sont longues, donnent même l’impression d’être trop longues et, au moment où elles se terminent, on se dit qu’il a eu raison de ne pas couper avant, que la scène a tout juste la durée idéale.Sans doute est-ce grâce à ce sens du timing queTonnerre fait partie de ces films qui « sonnent vrai » : Situation, dialogues, comportement psychologique des personnages, rien n’apparaît forcé ou caricatural. Bien entendu, le réalisateur est pour beaucoup dans ce sentiment de vérité, mais il faut reconnaître qu’il a été bien soutenu par ses comédiens. En premier lieu, bien sûr, Vincent Macaigne, avec ce mélange assez étonnant de fragilité et de violence qu’on avait déjà observé dans La Bataille de Solférino. L’acteur et le réalisateur se connaissent depuis longtemps et le rôle de Maxime a été écrit pourVincent Macaigne. Pour jouer son père, Guillaume Brac s’est tourné vers Bernard Menez : tout sauf une coïncidence quand on se souvient que Jacques Rozier, à qui on a comparé Guillaume Brac à la sortie d’Un Monde Sans Femme, a fait appel à ce comédien pour 2 de ces films. Solène Rigot, qui joue Mélodie, on l’avait découverte dans 17 filles il y a 2 ans et on vient de la voir dans Lulu femme nue. Quant à Ivan, le jeune footballeur, son rôle est tenu par Jonas Bloquet dont on avait fait la connaissance il y a 5 ans dans Élève libre de Joachim Lafosse. Face à ces comédiens de métier, Guillaume Brac a choisi de mettre en scène des comédiens non professionnels, originaires, comme lui, de la région de Tonnerre. Parmi eux, Hervé Dampt, un ami de plus de 10 ans et dont le rôle revêt une importance particulière : c’est en montrant un revolver à Maxime qu’il permet au film de passer de la comédie romantique au film noir. Un autre « personnage » s’avère également important dans le film, bien qu’on ne le voit jamais : le chanteur Timothée Régnier, alias Rover. Dès l’ébauche du scénario, Guillaume Brac souhaitait que Maxime soit un artiste, afin, disait-il, « d’aborder la question des rapports entre ce que l’on vit et ce que l’on crée ». Pourquoi pas un rocker, et un rocker ne chantant pas en français, afin de contrebalancer le caractère « France profonde » de son film. La pochette de l’album de Rover l’a conduit vers ce dernier qui a accepté de composer la musique, les chansons et de prêter sa voix à Maxime lorsqu’on l’entend chanter.
Résumé
Même si, en cherchant la petite bête, on peut regretter un petit quart d’heure pendant lequel l’intérêt s’émousse en fin de première partie, Tonnerre installe sans conteste Guillaume Brac parmi les réalisateurs les plus prometteurs du cinéma français. Il excelle à peindre une atmosphère, il sait incruster des détails très justes au milieu d’un tableau global, il passe sans problème d’un genre à l’autre : en résumé, on sent qu’il y a chez lui les germes d’un grand réalisateur.
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