Critique : The Bacchus Lady

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The Bacchus Lady

Corée du Sud, 2016
Titre original : Jug-yeo-ju-neun Yeo-ja
Réalisateur : E J-Yong
Scénario : E J-Yong
Acteurs : Youn Yuh-jung, Chon Moo-song, Yoon Kye-sang, An A-zu
Distribution : ASC Distribution
Durée : 1h51
Genre : Drame de vieillesse
Date de sortie : 1er août 2018

Note : 3/5

Une dame âgée, socialement démunie, qui recueille un enfant abandonné, guère mieux loti qu’elle : cela pourrait être le point de départ d’un mélodrame touchant, d’autant plus sirupeux et prévisible qu’on l’a déjà vu d’innombrables fois. Ce film coréen, présenté il y a deux ans au Festival de Berlin dans la section Panorama, se défait toutefois rapidement de cette prémisse peu originale pour emprunter des chemins moins consensuels. Car même si The Bacchus Lady s’imprègne d’un contexte social que l’on voit plutôt rarement dans le cadre du cinéma de genre coréen, il opte avant tout pour une forme de mélancolie joliment morbide. Le personnage principal y fait moins figure de point focal de toute la misère qu’accable un pays pris dans l’étau du vieillissement de sa population que de petit grain de sable, sans méchanceté aucune, faisant face aux problèmes qui se présentent à lui avec un pragmatisme au fond tragique. Pendant que l’espoir de voir surgir une issue optimiste aux divers dilemmes qui ponctuent le quotidien de cette prostituée indubitablement sur le déclin s’amenuise, le récit adopte un ton de plus en plus sombre, porté par ces thèmes phares de la fin de vie que sont la solitude et la mort. Malgré de rares éléments radieux, il s’agit donc d’un film profondément humain dans son expression filmique d’une tristesse sans subterfuge.

Synopsis : Le temps où So-young était la prostituée la plus recherchée d’une base militaire américaine est loin. A présent, elle tire les derniers bénéfices de cette gloire passée en vantant ses services à ses clients dans un parc, aux côtés d’autres dames Bacchus qui se prostituent pour arrondir leurs fins de mois. De passage chez le médecin pour un traitement de maladie sexuellement transmissible, So-young devient le témoin de l’agression du docteur par son ancienne maîtresse. Elle s’occupe alors du fils de cette dernière, avec lequel la communication s’avère toutefois compliquée à cause de ses origines étrangères. Avec l’aide de ses voisins, elle se débrouille néanmoins pour prendre en charge le jeune Min-ho. En parallèle, So-young voit son environnement professionnel se dégrader, en raison de ses anciens amants grabataires.

Les grands-mères ont toujours leurs raisons

L’instinct maternel sous-tend avec persévérance l’intrigue du film de E J-Yong. Il se manifeste de façon plus ou moins subtile chez So-young, à qui l’interprétation discrètement imposante de Youn Yuh-jung confère une chaleur ambiguë, constamment minée par la posture soumise et les traits fatigués de cette femme à l’humeur morose. Ce qui ne signifie nullement que vous ne verrez qu’une rengaine de lamentations et autres manifestations d’une réalité misérabiliste dans The Bacchus Lady. Pour cela, la narration se montre beaucoup trop sensible aux aspects absurdes de cette existence en bas de l’échelle sociale, dont la seule et ultime fierté paraît résider encore dans des passes bien faites. Ainsi, ce ne sont pas uniquement les rencontres toujours un peu glauques dans des chambres d’hôtel anonymes qui gardent un air de comédie de mœurs sarcastique, mais également le contexte global de la vie du personnage principal, intégré jusqu’à un certain point dans un voisinage haut en couleur. Sauf que ce microcosme des ostracisés finira tôt ou tard par ne plus faire illusion, aussi parce que les aléas cruels de la vieillesse finissent par rattraper cette (grand-)mère de substitution un peu revêche. Celle-ci se mue alors, petit à petit et selon un cercle vicieux qui finira par avoir sa peau, en ange de la mort.

Contre la froideur à l’américaine

L’aspect le plus saisissant dans ce changement de rôle irréversible nous paraît alors la nonchalance avec laquelle So-young semble l’accepter. Car après tout, quelle différence sur l’échelle variable du réconfort y a-t-il entre donner le gîte et le couvert à l’orphelin, assouvir les besoins libidineux des vieillards ou bien les soulager de façon définitive du joug que représente la perte des facultés physiques et affectives propre à l’âge ? Il persiste certes une certaine réticence dans tout ce que fait la prostituée au cœur en or, à moins qu’elle ne soit simplement désabusée par tous les vices et les sévices qu’elle a dû voir dans ses plus de quarante ans à faire le trottoir. Mais en même temps – et en dépit de ses nombreuses maladresses qui la rendent encore plus attachante –, elle fait preuve d’une détermination sans faille dans l’exécution de ses plans machiavéliques, une fois qu’elle est mise devant le fait accompli. Que le scénario ne cherche à aucun moment à déterminer précisément sa place dans le maillage social coréen, voire qu’il s’abstient de tout jugement moral à l’égard d’un personnage investi de la débrouillardise du désespoir compte par conséquent parmi ses qualités indéniables.

Conclusion

La saveur de ce film coréen ne se situe pas tout à fait là où on l’attendait. Après la brève utopie d’une famille recomposée de laissés-pour-compte, solidaires dans leurs galères respectives, The Bacchus Lady s’emploie en effet à explorer un terrain thématique moins marqué par le volontarisme. Du courage, il en fallait sans doute à cette femme, qui ne peut plus s’appuyer que sur son corps décati pour subvenir à ses besoins élémentaires, afin d’accomplir sa série macabre de coups de pouce au destin. Mais la beauté désespérée du geste se joint ici à une tristesse indicible, inhérente à tout ce que le cinéma mondial nous a présenté de plus réaliste et donc de mieux jusqu’à présent, en termes de drames de vieillesse dépourvus de complaisance.

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