La glorieuse tradition du cinéma « bis » n’a jamais été très développée à l’intérieur des frontières françaises. Néanmoins, à la faveur de quelques productions internationales (franco-italiennes surtout), le cinéma français s’est laissé aller, durant l’insouciance pop des années 60, à quelques titres flirtant volontiers avec le cinéma de genre tendance populaire. Outre les films de cape et d’épée et autres romances historiques qui faisaient la joie des cinémas de quartier, on a en effet vu naitre pendant cette décennie une poignée de films d’aventures ou d’espionnage très orientés « action et petites pépées ». Sous l’influence couplée des premiers James Bond et des « fumetti » (bandes dessinées populaires italiennes) qui inondaient le marché du divertissement à l’époque, on a donc vu fleurir sur grand écran les aventures de Coplan, OSS 117 ou autres espions ou aventuriers au sourire Ultra Brite, qui sauvaient le monde ou cherchaient des trésors perdus dans des films dont les titres développaient volontiers un impact catchy et second degré, et qui proposaient péripéties à gogo, ambiance pop, méchants de pacotille et décors baroques.
Fantomas (1964) et Le gentleman de Cocody (1965) s’inscrivent dans cette mouvance d’un cinéma populaire chaleureux et sans complexes. Étrangement, l’histoire du cinéma n’en aura retenu qu’un seul : à force de rediffusions à la télé, Fantomas est devenu un petit classique du divertissement à l’Européenne, tandis que Le gentleman de Cocody, qui avait pourtant réuni plus de deux millions de spectateurs dans les salles françaises en 1965, est retombé dans l’oubli. On espère que sa ressortie en Blu-ray chez Gaumont suffira à remettre en lumière ce petit trésor de film d’aventures bon enfant…
Fantomas
France, Italie : 1964
Titre original : –
Réalisateur : André Hunebelle
Scénario : Jean Halin
Acteurs : Jean Marais, Louis de Funès, Mylène Demongeot
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h44
Genre : Policier, Comédie
Date de sortie cinéma : 4 novembre 1964
Date de sortie Blu-ray : 22 juin 2016
Un mystérieux personnage commet vols et crimes sous le nom de Fantomas. Le journaliste Fandor saisit cette occasion pour écrire un article à sensation, prétendant avoir rencontré le « monstre ». Accompagné du commissaire Juve, il découvre que pour réaliser ses méfaits, Fantomas utilise de multiples masques qui lui permettent de revêtir n’importe quelle identité…
Le gentleman de Cocody
France, Italie : 1965
Titre original : –
Réalisateur : Christian-Jaque
Scénario : Christian-Jaque, Jacques Emmanuel…
Acteurs : Jean Marais, Liselotte Pulver, Philippe Clay
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h24
Genre : Aventures
Date de sortie cinéma : 2 avril 1965
Date de sortie Blu-ray : 22 juin 2016
En Côte d’Ivoire, au fin fond de la forêt équatoriale, un diplomate accompagne une ravissante chasseuse de papillons. Celle-ci est en fait le chef d’un gang qui recherche l’épave d’un avion contenant une fabuleuse cargaison de diamants, fruits de plusieurs années de larcins commis par les « Fils de la Panthère ». Ainsi, la chasse au trésor va se transformer en une poursuite infernale entre les deux bandes et la police…
Le succès de Fantomas au box-office français tient de l’heureux concours de circonstances, de la réunion de personnalités qui étaient toutes là pile au bon endroit et au bon moment. André Hunebelle et Jean Marais n’en étaient pas à leur première collaboration, puisqu’ils avaient déjà remporté de francs succès populaires avec Le bossu (1959) et Le capitan (1960). L’ambiance du scénario écrit par Jean Halin d’après les romans de Pierre Souvestre et Marcel Allain prend une direction pile dans l’air du temps de l’époque (espionnage en mode 60’s, bases secrètes, méchant grandiloquent et sadique voulant dominer le monde), et c’est avec plaisir que Jean Marais envisage de jouer dans le film, étant donné qu’il était très attaché au personnage d’OSS 117, qu’il aurait souhaité incarner à l’écran. A l’origine, c’est André Bourvil qui devait incarner le commissaire Juve, recréant le trio gagnant des deux films de cape et d’épée du tournant des années 60, mais il se désistera au dernier moment. Au grand dam de Jean Marais, c’est Louis De Funès qui reprendra le rôle au pied levé. S’il n’était pas tout à fait un inconnu à l’époque, De Funès n’était pas en 1964 la « star » qu’il allait devenir après Fantomas. C’est ce film là qui lui a fait « rencontrer » le grand public, et de personnage secondaire dans le premier épisode, il vampiriserait par la suite la franchise en devenant le « vrai » héros de la saga Fantomas.
Le succès de Fantomas est immédiat, avec plus de quatre millions de spectateurs en France : la bande d’acteurs, composée de Jean Marais, De Funès mais également Mylène Demongeot ou encore Jacques Dynam remettra le couvert l’année suivante dans la suite du film. Bien sûr, dans cette mouture inaugurale, le personnage principal est tenu par Jean Marais et son double diabolique Fantomas, le cruel au masque bleu ; un peu malmené par la critique à sa sortie, le film est pourtant un exemple de comédie policière efficace, et deviendra très rapidement un grand succès populaire, dans l’hexagone mais également en Italie.
Si Fantomas est devenu un classique immédiat, Le gentleman de Cocody est, plus de cinquante ans après sa sortie en France, complètement retombé dans l’oubli. Tourné en 1965, le film de Christian-Jaque capitalise sur le succès du film de Hunebelle, et sur le regain de popularité de Jean Marais. Pour autant, Le gentleman de Cocody est d’avantage comparable aux films d’espionnage et d’aventures alors en vogue en Europe. Si le petit nom de l’agent OSS 117 était Hubert Bonisseur de La Bath, le patronyme de ce Gentleman est quant à lui Jean-Luc Hervé de la Tommeraye, qui tel un Bob Morane en Côte d’Ivoire, va se voir confronté à une société secrète dans un festival de poursuites, de gags et de cascades en mode bande dessinée, très proche de l’esprit des films à succès de Philippe de Broca, et en particulier de L’homme de Rio (1964). Jean Marais est plus âgé mais aussi bondissant que Bébel, assurant lui-même ses cascades coordonnées par l’inévitable Remy Julienne. Le film développe un charme très bon enfant, et nous propose qui plus est un « vrai » personnage féminin, incarné par Liselotte Pulver et bien éloigné du rôle de simple « potiche » de celui campé par Mylène Demongeot dans Fantomas.
Sorti en France six semaines après Goldfinger, Le gentleman de Cocody dépasse les deux millions de spectateurs en France, et cartonnera également en Italie et en Allemagne. Revu aujourd’hui, le film de Christian-Jaque surprend toujours par sa facture technique impeccable et ses cascades étonnantes ; le mot de la fin balancé face caméra par Jean Marais aura également de quoi étonner le spectateur. Tout juste pourra-t-on lui reprocher un rythme un poil hasardeux, heureusement rattrapé par une durée très courte (1h24 !) qui en feront un divertissement familial idéal pour un samedi soir en mode « exotique ».
Les Blu-ray
[4,5/5]
Disponibles chez Gaumont au sein de la quinzième vague de sa collection Blu-ray Découverte, Fantomas et Le gentleman de Cocody s’offrent donc un lifting HD sur galette Blu-ray, que l’éditeur propose au prix tout doux de 12,99€. Bien sûr, les plus observateurs feront remarquer que le film d’André Hunebelle était déjà disponible en Haute Définition : c’est exact, MAIS (car il y a un mais) Gaumont a la très bonne idée de rattraper l’erreur commise sur le Blu-ray édité en 2010 en nous proposant de retrouver cette fois l’excellent documentaire rétrospectif Fantomas 70 dans la section suppléments. Un documentaire formidable, riche en intervenants divers et dont la particularité est de contourner avec talent toute notion de langue de bois : les différents acteurs s’y expriment avec franchise, même si la franchise leur vaut de tailler de beaux costards à Louis de Funès et André Hunebelle. Indispensable !
Du côté des masters, et aussi bien côté image que côté son, l’éditeur nous propose des éditions de très bonne tenue ; les deux films sont présentés dans leurs format d’origine respectés, en 1080p. L’éditeur a certes peut-être eu la main un peu légère sur le réducteur de bruit (manque de textures franches, visages un poil « cireux »), mais l’ensemble est tout à fait recommandable et préserve globalement la granulation d’origine, avec de belles couleurs bien éclatantes. Le mixage audio est proposé en DTS-HD Master Audio mono d’origine, dans les deux cas parfaitement clair, net et précis.
Côté suppléments, la galette du Gentleman de Cocody nous propose quant à elle un court entretien avec Michel Wyn portant sur la carrière de Christian-Jaque (l’idée forte de l’intervenant étant que le cinéaste était un « boulimique » de cinéma, et qu’en tant que tel, sa filmographie comporte forcément des hauts et des bas) et la très amusante bande-annonce d’origine, qui nous donne à voir, sur la musique jazz de la BO de Fantomas, quelques cascades « ratées » exécutées par Jean Marais.
Tests Blu-ray : Jean Marais en mode « Bis »: Fantomas (1964) et Le gentleman de Cocody (1965) s’inscrivent da… https://t.co/NCNWd2IRtn