Un silence
France, Belgique, Luxembourg : 2023
Titre original : –
Réalisation : Joachim Lafosse
Scénario : Joachim Lafosse, Thomas van Zuylen
Acteurs : Daniel Auteuil, Emmanuelle Devos, Matthieu Galoux
Éditeur : Blaq Out
Genre : Drame
Durée : 1h35
Date de sortie cinéma : 10 janvier 2024
Date de sortie DVD : 22 mai 2024
Silencieuse depuis 25 ans, Astrid, la femme d’un célèbre avocat, voit son équilibre familial s’effondrer lorsque ses enfants se mettent en quête de justice…
Le film
[3,5/5]
Avec des films tels que Nue propriété, L’Économie du couple, Continuer et Les Intranquilles, le cinéaste belge Joachim Lafosse avait déjà su, au fil des années, démontrer au public tout l’intérêt qu’il portait aux problèmes familiaux. Dans un entretien articulé par le Ministère de la Communauté Française de Belgique / Wallonie-Bruxelles en 2010, il avait déclaré s’intéresser à « la sphère privée et ses limites », précisant vouloir filmer « ce qu’on ne montre pas : les moments où l’on se dispute, où il y a des bagarres, des tensions. »
Avec son récit centré sur une famille qui se déchire littéralement de l’intérieur, Un Silence s’inscrit non seulement dans cette perspective, mais permet également au réalisateur et coscénariste d’aborder une page sombre de la Belgique contemporaine : l’affaire Hissel. On rappellera que Victor Hissel, l’ancien avocat de familles de victimes de Marc Dutroux, avait été mis en cause en 2007 pour détention d’images pédopornographiques, ce qui lui avait valu de se voir poignardé à plusieurs reprises par son propre fils en 2009.
Vous l’aurez compris : si vous cherchez un film pour vous vider la tête et vous en payer une bonne tranche, Un Silence ne sera pas forcément le choix le plus avisé. Comme à son habitude, Joachim Lafosse n’hésite pas à y dépeindre les aspects les plus destructeurs de nos relations familiales, en mettant en scène une femme, Astrid (Emmanuelle Devos), obligée de faire face aux effets du silence qu’elle a gardé pendant des années, tout en endossant de plein fouet la honte et la culpabilité. L’atmosphère est lourde : dès les premières scènes du film, on ressent presque physiquement les tensions au sein de la famille, et le fait que la cohabitation entre ces différents personnages semble impossible.
Pour autant, au cœur de cette bourgeoisie de province mise en scène par Un Silence, le silence a toujours remplacé les cris et les disputes, et la distance qui se creuse entre les personnages se fait ici par le biais de l’éloignement des corps, dans des pièces séparées au cœur de la grande maison familiale magnifiquement éclairée par Jean-François Hensgens, qui utilise l’espace pour suggérer et cacher tout à la fois. Mine de rien, cette grande demeure partagée a un rôle dramatique important au cœur du récit, et trouve un contrepoint lors des nombreuses scènes de discussions en voiture qui émaillent le film, et qui apparaissent comme autant de synonymes d’étouffement.
La narration d’Un Silence se retient d’exposer frontalement son propos jusqu’au milieu du film, quand une partie des secrets – et des péchés – du père (Daniel Auteuil) ressurgissent du passé et viennent à la connaissance de son fils adoptif, Raphaël (Matthieu Galoux). Ce personnage jouera un rôle de catalyseur, et ajoutera une dimension supplémentaire à une histoire aussi puissante que dérangeante. Astrid, le personnage principal, a choisi d’ignorer ces secrets honteux auxquels elle a été exposée, et s’est convaincue qu’ils étaient les signes d’une faiblesse passagère de la part de son mari, d’une « maladie » qui a été traitée et dont il ne faut plus parler.
François, le personnage incarné par Daniel Auteuil dans Un Silence est, en effet, un malade, un pervers narcissique aimant à exercer son pouvoir sur plus faible que lui, et se plaisant à s’auto-désigner comme un bouc émissaire pour les journalistes qui squattent jour et nuit autour de sa maison. Ne désirant pas lui trouver la moindre excuse, ne cherchant pas à expliquer ses actes, Joachim Lafosse choisit sciemment de laisser le personnage en retrait, montrant néanmoins le contraste entre le François « public », puissant et sûr de lui, et le François « privé », impuissant et accro à la pédopornographie.
Les trois points d’ancrage de la narration, c’est-à-dire Astrid, Raphaël et François, composent le cœur d’Un Silence, et c’est la confrontation de leurs personnalités qui fera avancer l’intrigue, au grès de leurs déambulations dans l’espace immense de la maison familiale. La procédure judiciaire (qui n’apparaît qu’à la fin du film) n’intéresse pas réellement Joachim Lafosse, qui se concentre sur ce petit noyau de personnages, séparés par les événements mais également par les choix de musiques, qui les caractérisent avec soin grâce à l’utilisation de thèmes et d’instruments de musique différents. L’atmosphère sourde – presque glauque par moments – et les révélations délivrées au compte-goutte permettent au cinéaste d’imprégner un certain rythme, presque hypnotique, au métrage.
Le DVD
[4/5]
Le DVD d’Un Silence vient de sortir sous les couleurs de Blaq Out. Le transfert du film de Joachim Lafosse est à l’image des galettes auxquelles nous a habitué l’éditeur depuis quelques années. Bien rôdé à l’encodage en définition standard, Blaq Out nous offre une image superbe, en dépit d’une image généralement très sombre : la définition est exemplaire, sans le moindre problème de compression ou autre pétouille technique, et compose de façon habile avec les limites d’un encodage en définition standard.
Côté son, le film est mixé en Dolby Digital 5.1, et l’ensemble nous propose une restitution acoustique « d’ambiance » relativement immersive, avec un bon dynamisme général. On notera par ailleurs que Blaq Out n’oublie pas les cinéphiles qui visionnent leurs films à domicile sans utiliser de Home Cinema ou de barre de son : l’éditeur nous propose également un mixage Dolby Digital 2.0, qui s’avérera plus cohérent et équilibré si vous visionnez Un Silence sur un simple téléviseur.
Du côté des suppléments, on trouvera tout d’abord un entretien avec Joachim Lafosse (29 minutes), qui reviendra sur sa découverte du fait divers de l’affaire Hissel : le drame du fils, et la découverte du silence de la mère… La fragilité de cette femme l’a attiré. Parallèlement, il reviendra sur la question des « points de vue » différents au cœur du film, qui justifient une véritable batterie de collaborateurs à l’écriture du scénario. Il évoquera également le choix des acteurs : si Emmanuelle Devos était le premier choix de Joachim Lafosse, en revanche, il avait envoyé le scénario du film à cinq ou six acteurs qui l’avaient refusé avant de l’adresser à Daniel Auteuil. Il terminera en revenant sur le choix du décor de la maison ainsi que sur l’époque post #MeToo, notamment par le biais de la réception des événements relatés par le film, très différente en 2009 à la sortie d’Élève libre.
On terminera le tour des suppléments avec deux séquences commentées par le réalisateur : celle de l’entretien téléphonique entre Astrid et Pierre, ancienne victime de son mari (3 minutes), et celle de la découverte de la maison familiale (2 minutes).