They shot the Piano Player
Espagne, France, Pays-Bas : 2023
Titre original : Dispararon al pianista
Réalisation : Fernando Trueba, Javier Mariscal
Scénario : Fernando Trueba
Acteurs (VO) : Jeff Goldblum, Tony Ramos, Abel Ayala
Éditeur : Blaq Out
Durée : 1h40
Genre : Animation, Documentaire
Date de sortie cinéma : 31 janvier 2024
Date de sortie DVD : 17 septembre 2024
Un journaliste de musique new-yorkais mène l’enquête sur la disparition, à la veille du coup d’État en Argentine, de Francisco Tenório Jr, pianiste brésilien virtuose. Tout en célébrant le jazz et la Bossa Nova, le film capture une période éphémère de liberté créatrice, à un tournant de l’histoire de l’Amérique Latine dans les années 60 et 70, juste avant que le continent ne tombe sous le joug des régimes totalitaires…
Le film
[3,5/5]
Connus pour le film d’animation Chico & Rita, sorti sur les écrans du monde entier en 2011, Fernando Trueba et Javier Mariscal ont à nouveau collaboré l’année dernière sur They shot the Piano Player, un film d’animation pour le moins ambitieux puisqu’il nous raconte, sur le mode du documentaire, comment le meurtre du pianiste Francisco Tenorio Jr. en 1976 a marqué la fin d’une ère artistique. Visuellement très réussi et d’une beauté assez remarquable, le film nécessitera cela dit quelques efforts de la part du spectateur : on entend par là que pour apprécier ce documentaire animé à sa juste valeur, il vaut mieux avoir des bases solides concernant l’histoire de la Bossa Nova, doublée d’une connaissance aigüe de la géopolitique sud-américaine des années 60/70.
On vous conseille donc de potasser sérieusement ces deux sujets avant de vous lancer dans l’aventure They shot the Piano Player, en survolant les pages qui leur sont consacrés Wikipédia, sous peine de ne devoir le faire pendant le film, et par conséquent de ne pas pouvoir apprécier à sa juste valeur le feu d’artifices de formes et de couleurs que nous propose le nouveau long-métrage de Fernando Trueba et Javier Mariscal. La passion et la rigueur déployées par les deux cinéastes afin de mettre en images l’histoire tragique de Tenorio sont manifestes. La façon dont ils articulent la narration de They shot the Piano Player afin de mettre en exergue leur thèse est tout aussi remarquable : les différents entretiens recueillis et illustrés au cours du film démontrent parfaitement à quel point le meurtre du pianiste a symbolisé la fin de la liberté artistique de l’ère de la Bossa Nova, et a coïncidé avec la montée en puissance des dictatures militaires qui se sont emparées, dans le sang, d’une grande partie de l’Amérique du Sud (Brésil, Argentine…).
Tout cela pour dire que l’on a parfaitement compris l’ambition de They shot the Piano Player, et qu’un tel projet est évidemment à soutenir. Mais d’une façon assez paradoxale, le fait d’avoir opté pour un style animé plein de couleurs et de détails tend clairement à mettre une distance entre le public et ce qui lui est raconté : le style chiadé et magnifique de l’animation tend régulièrement à distraire le spectateur, ce qui aura tendance à obscurcir ces vérités dérangeantes que le film essaie d’éclairer. On perd ainsi souvent de vue l’importance (historique, politique, sociologique) de ce qui nous est raconté, pour simplement se régaler de la beauté des images. La sobriété visuelle d’un film tel que Persepolis, qui plus est en noir et blanc, permettait au spectateur de se plonger dans les souvenirs de Marjane Satrapi d’une façon beaucoup plus efficace. Ici, la surcharge visuelle brouille les lignes et dévie finalement They shot the Piano Player de son objectif premier.
Dans l’absolu, le film de Fernando Trueba et Javier Mariscal aurait sans doute eu plus d’impact sous la forme d’une série TV, qui aurait permis à ses auteurs de s’attarder davantage sur certains aspects ici survolés un peu trop rapidement. On aurait aimé en savoir plus sur l’engouement mondial autour de la Bossa Nova, qui ne bénéficie ici que d’une évocation rapide au début du film, sans explication sur l’exportation de cette musique. On aurait également pu davantage insister sur les origines et les arcanes de l’Opération Condor, cette campagne d’assassinats conduite, avec le soutien tacite des États-Unis, par les services secrets du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay. On aurait aimé creuser un peu sur Alfredo Artiz alias « l’Ange blond de la Mort », et sur ses meurtres commandités par l’État. Dans l’absolu, il est également permis de penser que They shot the Piano Player aurait également eu plus d’impact s’il ne s’agissait pas d’un film d’animation. Car comme on l’a déjà dit un peu plus haut, la beauté de ce qui nous est montré, et les petits détails de l’animation (un oiseau par-ci, un chien par-là) ont tendance à nous distraire de ce que disent les personnes interrogées par le personnage principal – ce qui, malheureusement, ne rend pas vraiment service à l’importance de cette histoire.
Le DVD
[4/5]
Si la qualité de l’animation déployée par les équipes de Fernando Trueba et Javier Mariscal aurait assurément mérité un encodage en Haute-Définition, la carrière dans les salles de They shot the Piano Player en a décidé autrement. C’est chez Blaq Out que débarque donc aujourd’hui le film en vidéo, au format DVD uniquement, mais il nous faudra d’entrée admettre que l’on est en présence d’un DVD assez épatant, jouant habilement avec les limites du support SD pour nous proposer une expérience de visionnage vraiment optimale. Le master est littéralement impeccable, et s’adapte parfaitement à l’animation du film : définition et couleurs sont superbes et assez irréprochables, et l’ensemble affiche un pep’s remarquable. Côté enceintes, le film s’impose dans un mixage Dolby Digital 5.1 très dynamique, avec une spatialisation qui explose littéralement lors des passages musicaux. On notera également la présence d’un mixage stéréo en Dolby Digital 2.0, anecdotique mais probablement plus clair si vous ne bénéficiez pas de Home Cinema et visionnez le DVD de They shot the Piano Player le plus simplement du monde sur votre téléviseur.
Du côté des suppléments, on trouvera plusieurs modules assez passionnants, en commençant par un intéressant making of (34 minutes) dans lequel Fernando Trueba reviendra en détail sur la genèse du projet, ainsi que sur les entretiens qu’il a menés au fil des vingt dernières années et que l’on retrouve au cœur du film. Javier Mariscal défendra quant à lui le choix de l’animation. On poursuivra ensuite par un entretien avec Fernando Trueba et Javier Mariscal (18 minutes), qui permettra aux deux initiateurs du projet de revenir sur le concept de « documentaire animé » et de faire le tri entre le documentaire et la fiction ai cœur du film. On enchaînera ensuite avec un module spécifiquement dédié à l’animation du film (14 minutes), et on terminera par une galerie de photos du vrai Francisco Tenorio Jr (3 minutes).