Test DVD : Queimada

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Queimada

Italie : 1969
Titre original : –
Réalisation : Gillo Pontecorvo
Scénario : Franco Solinas, Giorgio Arlorio
Interprètes : Marlon Brando, Evaristo Marquez, Renato Salvadori
Éditeur : Rimini Editions
Durée : 1h47
Genre : Action, Drame
Date de sortie en salles : 27 janvier 1971
Date de sortie en DVD : 22 septembre 2021

Au début du XIXe siècle, Sir William Walker débarque à Queimada, une île des Antilles. Officiellement, il est là pour son plaisir. En réalité, il a été envoyé par le gouvernement britannique pour une mission secrète : fomenter une révolte des esclaves qui avantagera les Anglais…

Le film

[4/5]

Après avoir réalisé un des tout premiers films ayant pour thème la guerre d’Algérie, La bataille d’Alger, Lion d’or à Venise en 1966, Gillo Pontecorvo s’est de nouveau tourné vers les luttes anticolonialistes avec Queimada, réalisé en 1969. Un film qui, au départ, devait avoir pour titre Quemada et s’intéresser à une île des Antilles du même nom, supposée être une colonie espagnole de la première moitié du 19ème siècle. En 1969, l’Espagne, toujours franquiste à l’époque, n’avait pas du tout envie qu’un tel sujet soit mis en image et des pressions ont poussé Pontecorvo à passer de l’Espagne au Portugal, et de Quemada, brûlé, incendié, en espagnol, à Queimada, brûlé, incendié, en portugais. Lorsque, pour la première fois, William Walker arrive en bateau en vue de l’île, on lui explique que le nom de l’île vient du fait qu’elle a été brûlée par les portugais pour en prendre possession. On lui dit aussi que les populations autochtones ont été décimées et qu’il a été fait appel à des esclavisés noirs pour constituer les forces de travail nécessaires pour les colons. A-t-il vraiment besoin, William Walker, qu’on lui explique tout cela ? Qui est-il ? Un touriste ? un aventurier ?

En fait, William Walker est un agent britannique du genre cynique, manipulateur et machiavélique, même s’il lui arrive quand même parfois de montrer un soupçon d’humanité. S’il arrive à Queimada, c’est parce que la couronne britannique a eu vent d’un début de soulèvement chez les esclavisés de l’île et que cela peut s’avérer très intéressant pour les intérêts de la dite couronne, en particulier, bien sûr, ses intérêts économiques. Ce que William Walker va rechercher : faire en sorte de remplacer le colonialisme portugais par un régime d’indépendance ou, plutôt, de pseudo indépendance  de l’île, favorable aux intérêts économiques britanniques. C’est en cela qu’une révolte des esclavisés est pain béni quant à la réalisation de son dessein. C’est pour cela que William Walker va très vite nouer une relation avec José Dolores, un esclavisé dont il a pu tester l’envie d’en découdre avec ceux qui l’exploitent et dont il a pressenti la capacité à devenir le leader de cette révolte. Toutefois, William Walker va devoir jouer finement : certes, se faire aider par une révolte des esclavisés est incontournable, mais pas question de les laisser aller jusqu’au bout de leur combat, c’est-à-dire jusqu’à une prise du pouvoir à leur seul bénéfice.

Tourné en pleine guerre du Vietnam, il y a donc plus de 50 ans, Queimada est un film qui est toujours d’une grande actualité dans la mesure où il embrasse et il dénonce toutes les formes qu’a pu revêtir l’impérialisme au cours du temps : le colonialisme, la mise en place d’états fantoches pour satisfaire des intérêts économiques, la mainmise directe de compagnies privées venant remplacer les états dans certaines régions du monde pour conduire leur économie à leur profit. Dans Queimada, on peut retrouver à la fois ce qui s’est passé en Haïti avec Toussaint Louverture, à Cuba avec la révolution castriste, dans la plupart des pays d’Amérique du Sud avec les actions de la CIA face à tout ce qui pouvait ressembler à un désir d’émancipation économique et politique de la part d’un pays. Certains ont reproché au film de ne pas donner suffisamment la parole aux populations racisées, d’être centré sur un représentant de cet impérialisme, sur un blanc qui manipule les populations noires dont il a besoin. Il est vrai que José Dolores, le seul personnage racisé qu’on entend s’exprimer, est peu loquace à côté de William Walker. En plus, au début du film, lorsqu’il s’exprime, c’est pour reprendre à son compte les paroles blessantes le concernant proférées par Walker. En fait, dans la position totalement inégale qu’ont les esclavisés par rapport aux colons ou aux représentants de l’impérialisme, le silence n’est-il pas une façon de s’exprimer, en tout cas une façon de résister ? Et puis, il y a une autre façon de s’exprimer et de résister qui est clairement montrée dans le film : lors du carnaval, les racisés, par leurs danses, montrent que ce sont eux qui sont du côté de la joie de vivre, en opposition aux représentants de l’impérialisme dont le seul souci est d’ordre économique : le profit, toujours le profit, toujours plus de profit.

Par ailleurs, on entend dans Queimada quelques formules qui, après tout, pourraient faire de bons sujets pour le bac philo : « Il vaut mieux savoir où aller et ne pas savoir comment s’y rendre que de savoir comment s’y rendre sans savoir où aller », « Si un homme te donne la liberté, ce n’est pas de la liberté, la liberté, c’est quelque chose que tu dois prendre seul ». William Walker, nom choisi pour l’agent britannique, était le nom d’un aventurier du 19ème siècle, un américain qui tenta de conquérir plusieurs pays d’Amérique latine et qui devint même, très provisoirement, Président du Nicaragua. Ce personnage de William Walker, c’est Marlon Brando qui l’interprète. Agé de 45 ans au moment du tournage, il dégage une impressionnante prestance et un grand art pour jouer le cynisme du personnage. Seul autre comédien professionnel jouant un rôle important à ses côtés, Renato Salvadori interprète le rôle de Teddy Sanchez, un créole blanc mis à la tête de l’état fantoche fabriqué par les britanniques. Le film ayant été tourné à Carthagène, en Colombie, le reste de la distribution était très majoritairement formé de comédiens amateurs locaux, dont Evaristo Marquez, le remarquable interprète de José Dolores, qui, avant de jouer dans le film de Gillo Pontecorvo, était gardien de troupeau.

Le DVD

[3.5/5]

La sortie de Queimada en DVD n’est pas une première. Par contre, c’est la première fois que ce film sort en Blu-ray. C’est également la première fois qu’est proposée la version longue, en haute définition, à côté de la version courte. En effet, ce film a fait l’objet de 2 versions, une version en italien distribuée en Europe et une version raccourcie d’une vingtaine de minutes pour la distribution US, une version en anglais moins politique, moins prorévolutionnaire, et donc plus acceptable de l’autre côté de l’Atlantique. Qu’on fasse le choix du DVD ou celui du Blu-ray, on retrouve donc 2 galettes, l’une avec la version courte, l’autre avec la version longue, dans un coffret abritant également un livret inédit de 24 pages. La qualité de l’image des 2 DVD est tout à fait correcte, même dans les scènes peu éclairées. Le son mono Dolby Audio du DVD comme le son mono DTS-HD du Blu-ray permettent de regarder la version anglaise en version doublée en français ou en version originale sous-titrée alors que la version longue, en italien, n’est visible qu’en version originale sous-titrée.

La présence de 2 galettes a permis à Rimini Editions de proposer plus de 60 minutes de suppléments. Accompagnant la version longue, on trouve « Gillo et moi », un entretien en italien de 23 minutes avec Mario Morra, le monteur de Queimada, entretien au cours duquel il raconte comment il a commencé à travailler avec Gillo Pontecorvo ainsi que les rapports d’amitié qu’il entretenait avec le réalisateur. Une interview de 5 minutes de Gillo Pontecorvo, en provenance des archives de la RTBF, montre un homme qui, en s’exprimant dans un excellent français, raconte pourquoi il ne réalisait qu’un film tous les 5 ans environ et explique que la relation entre un grand comédien américain, habitué à imposer sa façon de jouer, et un réalisateur européen, s’attachant à confectionner un film portant sa marque, ne pouvait qu’être conflictuelle. Le supplément accompagnant la version courte, intitulé « La révolution du capitalisme » et d’une durée de 39 minutes, consiste en une interview en italien de Giorgio Arlorio, co-scénariste de Queimada avec Franco Solinas. Ce supplément s’avère être le plus intéressant des 3, abordant les aspects politiques de Queimada ainsi que ceux de La bataille d’Alger. Toutefois, la vision de ces 3 suppléments laisse un regret : même si Giorgio Arlorio aborde un peu ce sujet, mais très vaguement et de façon un peu confuse, on aurait aimé que nous soit donnée avec beaucoup plus de détails l’histoire de ces 2 versions, le pourquoi, le comment, …

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