Les Intranquilles
France, Belgique, Luxembourg : 2021
Réalisation : Joachim Lafosse
Scénario : Joachim Lafosse, Anne-Lise Morin, Juliette Goudot, François Pirot, Lou Du Pontavice, Chloé Léonil, Pablo Guarise
Acteurs : Damien Bonnard, Leïla Bekhti, Gabriel Merz Chammah
Éditeur : Blaq Out
Durée : 1h54
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 29 septembre 2021
Date de sortie DVD : 1 février 2022
Leïla et Damien s’aiment profondément. Malgré sa fragilité, il tente de poursuivre sa vie avec elle sachant qu’il ne pourra peut-être jamais lui offrir ce qu’elle désire. En effet, Damien est bipolaire : il alterne des phases d’activité délirante et de catatonie qui obligent sa compagne, Leïla, à une vigilance de chaque instant. Le trio aimant qu’il forme avec son fils Amine y survivra-t-il ?
Le film
[4/5]
Se basant sur un sujet fort et difficile, qui s’imposera rapidement comme le « cœur » du film, Les Intranquilles permet à Joachim Lafosse de jouer sur un certain ascétisme, ou du moins sur une économie de lieux et de personnages. Au centre du film, il y a donc Damien (Damien Bonnard), un peintre bipolaire dont la vie s’effiloche peu à peu. A ses côtés, on trouvera Leïla (Leïla Bekhti), ainsi que leur jeune fils Amine (Gabriel Merz Chammah). Et c’est à peu près tout – le récit de ce film triste et douloureux tourne en gros autour de ce petit cocon de personnages, auquel vient se greffer à l’occasion de quelques séquences le père de Damien (Patrick Descamps) ainsi que son galeriste (Alexandre Gavras). Les Intranquilles ne prend pas le soin de réellement développer ses personnages ou leurs relations, mais la hargne désespérée des deux interprètes principaux parvient à en faire un spectacle fascinant et authentique.
Le film de Joachim Lafosse se concentre sur son petit groupe de personnages, soudés et prêts à faire face à la maladie dans un premier temps, puis prenant conscience, au fur et à mesure que le film avance, de l’impossibilité de gérer cet enfer au quotidien. Et finalement, en dépit de la prestation incroyable et dérangeante de Damien Bonnard, qui évoque un peu le côté speed et sans filtre d’un Pio Marmaï en mode (encore plus) déglingué, Les Intranquilles est surtout soutenu par la performance de Leïla Bekhti, dont la relation à la maladie évolue sensiblement au fil du temps.
Au début du film, elle semble demeurer sous le charme de son mari. Fascinée par son talent artistique qu’elle admire, elle a l’air de « supporter » la situation, comme si la psychose de Damien était une face cachée de son Art : sa folie, c’est son génie. Mais au fur et à mesure qu’avance l’intrigue des Intranquilles, elle se détache progressivement de cette impression tenace selon laquelle la bipolarité de Damien est un mal « nécessaire », et se dirige finalement vers davantage de force et de fermeté dans sa relation avec lui. Leïla éprouve un amour profond pour son mari, mais le voir s’en prendre par ricochet à leur fils tend à créer chez elle des limites jusqu’ici insoupçonnées. Ainsi, comme elle le dira clairement à Damien dans le dernier acte du film, elle a besoin de temps et d’espace pour prendre soin d’elle-même – de victime subissant la situation et les crises de plus en plus spectaculaires de son mari, elle décidera de reprendre la situation en main, quitte à devenir la « méchante » aux yeux de son fils. Le déclic a probablement lieu durant l’hospitalisation de Damien : Joachim Lafosse le montre à travers une scène de fête durant laquelle il filme Leïla Bekhti danser, sourire, comme si l’absence de son compagnon signifiait pour elle une sorte de « renaissance ». Une des grandes forces des Intranquilles réside ainsi dans la description de ce personnage complexe et fascinant, aimant profondément son mari mais se voyant contrainte de lui poser des limites, voire de tout simplement lui dire non.
Heureusement, tout n’est pas tout noir dans Les Intranquilles : Joachim Lafosse ne se focalise pas uniquement sur les affres de la maladie, et le film nous propose aussi, dans la description de la vie de famille des personnages, une poignée de petits moments de bonheur et de légèreté. Bien que peu nombreuses, les scènes tendres où l’on voit le couple danser ensemble, chanter dans la voiture – ou encore cette fameuse scène durant laquelle le petit Amine imite les frasques de son père – apportent aux personnages une profondeur supplémentaire, et permet au film d’aller finalement bien au-delà de leur seule expérience de la maladie mentale. Grâce à ces moments de réel et d’humanité, le cinéaste parvient à créer une histoire incroyablement touchante sur ce que nous sommes prêts à sacrifier pour nos proches.
Le tour de force est assez remarquable, dans le sens où Les Intranquilles ne stigmatise de ce fait en aucun cas la maladie mentale, développant au contraire un subtil équilibre entre honnêteté et espoir, sans passer sous silence la réalité des troubles mentaux ni dépeindre systématiquement Damien comme un être brisé ou un fardeau pour son entourage. Pour autant, Damien est tout de même représenté comme aux prises avec un mal qui s’intensifie pendant la majeure partie du film, et le réalisateur Joachim Lafosse n’élude pas les conséquences de la maladie sur sa famille, qui nous sont montrées avec une acuité et une angoisse croissantes. Le spectateur sera ainsi confronté à la maladie de Damien à travers les yeux de Leïla mais aussi à travers ceux de leur fils Amine, ce qui accentue le côté déchirant de l’histoire.
Par ailleurs, Les Intranquilles pose également la question du « traitement » de la bipolarité : le fait d’être abruti de cachets n’est-il pas, en un sens, pire que la maladie en elle-même ? Dans la dernière partie du film en effet, le personnage interprété par Damien Bonnard, si intense auparavant, n’est plus que l’ombre de lui-même : il devient un véritable zombie dans les scènes où il est sous traitement, dormant et traînant dans son atelier sans même avoir la force de lever les pieds : il n’a même plus la force d’exercer son Art. « Oubliez-moi », dit-il à Leïla dans une scène extrêmement émouvante : « Dis à tout le monde que je suis mort. Tu auras moins honte de moi. » Ne proposant au final qu’une très maigre lueur d’espoir dans ses dernières scènes, Les Intranquilles soulève un certain nombre de questions quant aux solutions médicalisées traitant la bipolarité, qui rendent certes les crises moins extrêmes et dangereuses pour les autres, mais plongeant la personne qui est censée s’en sortir dans d’autres abîmes…
Le DVD
[4/5]
En réunissant un peu moins de 150.000 spectateurs dans les salles obscures (sur 167 copies), Les Intranquilles n’a probablement pas rencontré le succès escompté par son distributeur. Malgré ses qualités formelles, le film de Joachim Lafosse ne passera donc logiquement pas par la case Blu-ray pour sa sortie en vidéo, et débarque aujourd’hui uniquement en DVD sous les couleurs de Blaq Out. Et si bien sûr l’image ne tient pas la comparaison avec une diffusion en Haute-Définition, le DVD que nous propose l’éditeur s’en tire néanmoins avec les honneurs : le film est proposé au format Scope respecté, et la définition est exemplaire, sans le moindre problème de compression ou autre pétouille technique. Côté son, le film est naturellement proposé en Dolby Digital 5.1, et bénéficie d’un mixage dynamique et très immersif, particulièrement remarquable durant les séquences en extérieur. On notera également la présence d’un mixage stéréo en Dolby Digital 2.0, qui s’avérera probablement plus clair si vous ne bénéficiez pas de Home Cinema et visionnez le DVD le plus simplement du monde sur votre téléviseur. Pas de suppléments.