L’écume des jours
Titre original : –
Réalisation : Charles Belmont
Scénario : Charles Belmont, Philippe Dumarçay, Pierre Pelegri d’après le roman de Boris Vian
Interprètes : Jacques Perrin, Annie Buron, Marie-France Pisier, Sami Frey, Bernard Fresson, Alexandra Stewart
Editeur : L’éclaireur
Durée : 1h41
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie cinéma : 20 mars 1968
Date de sortie DVD : 10 juin 2020
Colin et Chloé vivent un amour fou. Mais la jeune fille est bientôt victime d’une étrange maladie : un nénuphar pousse dans ses poumons, l’empêchant peu à peu de respirer.
Le film
[4/5]
20 mars 1968 : sortie en salles de L’écume des jours, premier long métrage réalisé par Charles Belmont. 2 jours après, le 22 mars 1968 : pour beaucoup, l’occupation de locaux administratifs de la Faculté de Nanterre par 140 étudiants dans la nuit du 22 au 23 mars marque le début des événements dits de mai 1968. Autant dire que le film, malgré sa grande qualité et de bonnes critiques, passe quelque peu à la trappe question succès public. 10 juin 2020, les salles de cinéma sont fermées depuis près de 3 mois mais L’écume des jours a droit à une seconde naissance avec sa première sortie en DVD : savoureux clin d’œil de l’histoire ! D’autant plus si l’on sait que la maladie qui touche le personnage féminin Chloé, aussi bien dans le roman que dans le film, se manifeste, comme le COVID-19, par une forte toux et s’attaque aux poumons.
Souvent considéré comme inadaptable au cinéma, le roman de Boris Vian, écrit en 1946 et publié en 1947, a quand même fait l’objet de 2 adaptations cinématographiques : celle de Charles Belmont en 1968 et celle de Michel Gondry en 2013. Au moment de l’émergence d’une œuvre artistique, on ne dispose pas d’un élément important pour étayer le jugement qu’on peut porter sur cette œuvre : l’épreuve du temps. Avec cette nouvelle naissance, 52 ans après la première, pas de doute, on dispose de cette épreuve du temps et le verdict est sans appel : le film a très bien vieilli. Les choix effectués par Charles Belmont y sont pour beaucoup : du roman de Boris Vian, conte poétique et surréaliste, il n’a pas cherché à faire une adaptation totalement fidèle, il a cherché avant tout à en garder l’esprit. Cela s’est traduit, entre autre, par l’abandon du côté fantastique du roman, et, par conséquent, par le choix de ne pas avoir recours à des effets spéciaux, dont on peut penser que, très probablement, ils seraient apparus bien dépassés 52 ans plus tard. Pas de petite souris grise à moustaches noires dans le film de Charles Belmont : certain.e.s la regretteront mais cela permet au film de nous présenter 6 jeunes gens typés de façon réaliste qui évoluent dans un univers qui lui est poétique et loufoque. Ces personnages sont en train d’entrer dans l’âge adulte, qui avec ses lubies, qui avec ses doutes, mais toujours avec beaucoup de fraîcheur et il y a entre eux des liens amoureux (entre Colin et Chloé, entre Alise et Chick, entre Nicolas et Isis), des liens d’amitié (entre Colin et Chick, entre Colin et Nicolas) et des liens familiaux (entre Nicolas et Alise). Les clins d’œil à la Louisiane sont moins présents puisque ne subsiste, évoquant les bayous, que le nénuphar poussant dans les poumons de Chloé. Les fameux jeux de mot, chers à Boris Vian, ne sont pas oubliés, tels les nombreuses références au philosophe Jean-Sol Partre, ou de Ponteauzanne, le nom de famille d’Isis, ou le pianocktail, l’instrument sur lequel travaille Colin et qui « fabrique » le cocktail qui s’adapte au morceau joué. Quant au jazz, il est bien évidemment toujours présent : inimaginable de faire autrement alors que le prénom Chloé fait référence à un grand standard du jazz, « Chlo-e (Song of the Swamp) », écrit en 1927 et popularisé par Louis Armstrong et Duke Ellington (C’est la version de Duke Ellington que Boris Vian écoutait en écrivant L’écume des jours), alors que le prénom Chick fait référence au batteur Chick Webb. Inimaginable, de toute façon, vus les liens que Boris Vian entretenait avec ce style de musique. Une musique qui, bien sûr, a évolué entre 1947 et 1968, et, encore plus entre 1968 et aujourd’hui. La musique écrite par André Hodeir pour le film, souvent présente, est là pour apporter un soutien sans faille au déroulement de l’histoire et il est très probable qu’elle aurait reçu l’approbation de Boris Vian.