L’affaire Pasolini
Titre original : La Macchinazione
Réalisation : David Grieco
Scénario : David Grieco, Guido Bulla
Interprètes : Massimo Ranieri, Libero De Rienzo, Matteo Taranto
Editeur : Blaq Out
Durée : 1h48
Genre : Drame, Biopic, Thriller
Date de sortie cinéma : 21 août 2019
Date de sortie DVD : 2 juin 2020
Pendant l’été 1975, Pier Paolo Pasolini termine le montage de son dernier film, « Salò ou les 120 journées de Sodome ». Son œuvre suscite de fortes polémiques et provoque des débats par la radicalité des idées qu’il y exprime. Au mois d’août, le négatif original du film est dérobé et une rançon importante est exigée. Prêt à tout pour récupérer son film, Pasolini va se laisser enfermer dans une terrible machination qui le conduira à sa perte.
Le film
[4/5]
« Le courage intellectuel de la vérité et la pratique politique sont deux choses inconciliables en Italie ». C’est par cette sentence de Pier Paolo Pasolini que commence L’affaire Pasolini, film de David Grieco. Une sentence vieille de près de 50 ans mais qui est encore souvent d’actualité, en Italie comme dans de nombreux autres pays. David Grieco a très bien connu Pasolini, dont il a été un interprète (un tout petit rôle dans Théorème alors qu’il avait 17 ans), puis un assistant (un peu plus !), puis un ami, jusqu’à son assassinat, dans la nuit du 1er au 2 novembre 1975. 45 ans après, la vérité sur cette affaire est loin d’être connue et elle ne sera peut-être jamais. En effet, il y a une thèse officielle, celle qui a été présentée au moment de l’assassinat, et de nombreuses hypothèses qui ont été soulevées par la suite et dont on peut penser que la plupart sont beaucoup plus proches de la vérité. La thèse officielle, c’est celle d’un acte isolé commis par un jeune amant de Pasolini, Giuseppe « Pino » Pelosi, mineur au moment des faits. L’utilisation des tests ADN dans les enquêtes de police ne commencera que 10 ans plus tard et, de plus, Pino Pelosi a reconu les faits. Il a été jugé, il a été condamné à 9 ans et 7 mois de prison, la peine maximale qu’il pouvait encourir en qualité de mineur. Et puis, en 2005, il s’est rétracté, proclamant qu’il était innocent, que les coupables étaient un groupe d’individus qui avait fomenté une machination pour se débarrasser de Pasolini et que, s’il avait avoué les faits et n’avait pas changé sa version jusque là, c’était par peur des représailles sur lui et sur sa famille. Une nouvelle enquête a été lancée en 2010 et Pino Pelosi est mort en 2017 ! Fin de l’histoire ?
Machination : La Macchinazione, c’est justement le titre original du film de David Grieco. Un film dans lequel on retrouve, entre autres, le mystérieux Antonio Pinna, Pino Pelosi et le groupe d’individus que ce dernier a accusés en 2005, dont les frères Borsellino, membres du parti fasciste MSI. Ces derniers avaient bien été arrêtés en 1976, mais ils ne comparurent jamais au procès. Ce film, c’est le Pasolini d’Abel Ferrara, sorti en 2014, qui a poussé David Grieco à le réaliser. En effet, après avoir commencé à travailler sur le scénario du film de Ferrara, il a jeté l’éponge lorsqu’il a pris conscience que le but de ce dernier n’était pas d’approfondir dans son film les causes de l’assassinat. Etant conscient du fait que les autres personnes ayant connu Pasolini étaient presque toutes mortes, David Grieco a alors senti la nécessité de réaliser son propre film, en souvenir de son ami. Un film qu’il place dès le début dans le contexte historique de l’époque, avec les élections régionales du 15 juin 1975 qui ont vu le Parti Communiste Italien enregistrer le tiers des suffrages. Un film dans lequel on peut voir dans une séquence consacrée à une partie de billard un clin d’œil aux pratiques politiques particulièrement utilisées à l’époque : des coups de billard à 3 bandes consistant, en particulier pour l’extrême droite, à pratiquer des auto-agressions pour s’attirer la sympathie de l’opinion publique, à organiser des attentats dont le camp adverse portera le chapeau ou à jouer les victimes en faisant en sorte qu’un de ses locaux soit incendié lors d’une manifestation communiste. Le but ultime de l’extrême droite dans cette « stratégie de la tension » : favoriser l’émergence d’une dictature en Italie. En fait, dans cette période particulièrement trouble de l’histoire italienne, le marxiste hétérodoxe que fut Pasolini, particulièrement remonté contre le capitalisme et la société de consommation, poursuivait un chemin particulièrement risqué, qu’on peut même qualifier de suicidaire dans l’Italie de l’époque, mettant la dernière main à son film Salò ou les 120 Journées de Sodome, inspiré de l’œuvre du marquis de Sade et de la république fasciste fantoche installée dans le nord de l’Italie par les nazis en 1943 ainsi qu’à un livre ayant pour titre « Petrolio », mettant directement en cause Eugenio Cefis, Président de Montedison et ancien président de l’ENI, membre de la fameuse loge P2, dans l’accident d’avion qui causa la mort d’Enrico Mattei. Pour l’écriture de ce livre, Pasolini rechercha l’aide du journaliste et écrivain Giorgio Steimetz, auteur en 1972, du livre « Questo è Cefis », un livre dont les exemplaires obligatoirement déposés aux bibliotèques nationales de Rome et de Florence avaient mystérieusement disparu. Quant à Salò ou les 120 Journées de Sodome, ce sont les bobines du film qui ont été volées, peut-être la première étape du piège aboutissant à l’assassinat de Pasolini.