8 septembre 1943. Mussolini est destitué et l’Italie signe l’armistice avec les alliés. Le sous-lieutenant Innocenzi et deux de ses hommes tentent de rentrer chez eux. Le voyage sera long et mouvementé, cocasse et bouleversant…
Le film
[4/5]
Pour la plupart des français, la date du 8 septembre 1943 ne représente rien de bien particulier. Par contre, en Italie, elle fait partie de l’histoire, et, dans ce pays, très nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui savent à quoi elle correspond : un peu plus d’un mois après l’arrestation de Mussolini suite à sa mise en minorité par le Grand conseil du fascisme, une allocution radiophonique du Maréchal Pietro Badoglio, le nouveau chef du gouvernement italien, diffusée le 8 septembre 1943, a confirmé qu’un armistice avec les anglo-américains avait été signé le 3 septembre et qu’il entrait aussitôt en vigueur. Partout où les troupes italiennes étaient déployées, cette annonce a généré une « grande pagaille ». En effet, d’un côté, les officiers ont appris cet armistice sans avoir reçu des instructions précises quant à la conduite à tenir, de l’autre, les forces allemandes ont pris le contrôle du territoire italien non encore occupé par les anglo-américains. Résultats : des unités ont choisi de rallier le camp des alliés, d’autres ont été faites prisonnières par les allemands, d’autres, enfin, ont vu leurs membres se disperser, retrouver des habits civils et se débrouiller pour rentrer chez eux.
L’ensemble de ces faits représentait un terreau extraordinaire pour les scénaristes et les réalisateurs de ce qu’on a coutume d’appeler la « comédie à l’italienne », toujours adeptes d’un mélange de drame et de bouffonnerie. C’est ainsi que l’on retrouve le fameux duo de scénaristes connu sous le nom Age et Scarpelli et le non moins fameux réalisateur Luigi Comencini, réunis dans La grande pagaille, un film sorti en 1960 et qui met en scène un quatuor de militaires italiens qui, à la suite de ce 8 septembre 1943, cherchent à rejoindre leur domicile et leur famille en traversant l’Italie de la Vénétie à la région de Naples, le titre original du film étant d’ailleurs Tutti a casa, « Tous à la maison ». Il y a là le sous-lieutenant Alberto Innocenzi, qui de pleutre et fayot envers ses supérieurs comme il apparait au début du film, arrive petit à petit à se forger une conscience ; le soldat Geniere Assunto Ceccarelli, un hypocondriaque cherchant sans cesse à mettre en avant la permission dont il bénéficie et qui aspire à une réforme définitive ; le sergent Quintino Fornaciari, un brave paysan qui n’a pas inventé la poudre ; le soldat Codegato, un jeune homme courageux, ou inconscient, ou les deux à la fois. L’Italie qu’ils traversent étant truffée de militaires allemands et d’autochtones restés partisans du fascisme, mais aussi de maquisards antifascistes, le périple s’avère être pour le quatuor une succession de scènes dramatiques dans lesquelles les scénaristes et le réalisateur ont finement ajouté de la cocasserie et de la dérision. Ils ont injecté de l’émotion également, comme la rencontre avec Silvia Modena, une jeune juive qui, malheureusement pour elle, porte le nom d’une ville, ainsi, et, c’est peut-être le plus important, qu’un message sur la façon dont, dans certaines circonstances, des hommes sans conscience politique bien claire peuvent évoluer, se transformer, peuvent grandir et atteindre une forme de courage qu’ils étaient loin d’avoir au départ. Il parait que Luigi Comencini affirmait que La grande pagaille était le film qu’il préférait parmi toutes ses réalisations. Quand bien même il n’est pas interdit de lui préférer L’argent de la vieille ou L’incompris, il parait difficile de résister au mélange de drame et de farce offert par La grande pagaille.
Dans La grande pagaille, on retrouve quatre des grandes figures de la « comédie à l’italienne » des années 50 et 60 : les scénaristes Agenore Incrocci et Furio Scarpelli, indissociables sous l’appellation Age et Scarpelli, le réalisateur Luigi Comencini et le comédien Alberto Sordi. Ce dernier a souvent été présenté comme l’archétype de l’italien moyen, si tant est qu’un tel individu puisse exister dans un pays aux caractéristiques si variées et aux si nombreuses langues régionales. En tout cas, dans un cinéma italien qui a toujours su se moquer du peuple italien, le plus souvent avec beaucoup d’humour mais aussi, parfois, de façon plus acerbe, Alberto Sordi n’a jamais rechigné à interpréter des personnages pas toujours très reluisants, ce qui, malgré tout, n’a jamais eu d’effet négatif sur sa popularité auprès du public. Dans La grande pagaille, il interprète un sous-lieutenant plein de zèle envers ses supérieurs mais dont le courage n’est pas la qualité première et qui, de rencontre en évènement dramatique va petit à petit acquérir cette force d’âme qui lui manquait : un rôle en or pour Alberto Sordi. A noter qu’il a été question que ce rôle du sous-lieutenant Alberto Innocenzi soit tenu par Vittorio Gassman, autre « énorme » comédien de cet âge d’or du cinéma italien. Aux côtés d’Alberto Sordi, la coproduction italo-française, très fréquente à l’époque, fait qu’on retrouve un comédien français, Serge Reggiani, dans le rôle de Geniere Assunto Ceccarelli. Français, mais né en Italie, pays qu’il a quitté à l’âge de 8 ans. Le rôle du sergent Quintino Fornaciari est tenu par un comédien américain, Martin Balsam, et celui de Codegato par Nino Castelnuovo, qu’on retrouvera 3 ans plus tard interprétant le rôle de Guy dans Les parapluies de Cherbourg. On notera aussi que le rôle du père d’Alberto Innocenzi est tenu par Eduardo De Filippo, grand dramaturge qui fut également réalisateur, scénariste et comédien. Quant au très beau Noir et Blanc de La grande pagaille, on le doit à un très grand Directeur de la photographie italien, Carlo Carlini.
Une fois de plus, voici l’excellent résultat d’un travail très sérieux réalisé par Rimini Editions : un combo 2 DVD + Blu-ray d’un classique du cinéma italien qui, jusqu’à présent, était toujours inédit en vidéo dans notre pays. C’est une copie Haute Définition réalisée par Sony qui a été utilisée, ce qui permet d’avoir un magnifique rendu de l’image en noir et blanc, exempt de défaut même sur le DVD. Le film peut être visionné en version française, en version originale non sous-titrée et en version originale sous-titrée. On peut regretter une petite faiblesse dans le sous-titrage, le débit important du dialogue étant difficile à suivre au niveau de l’écriture. Mais, de cela, Rimini Editions n’est pas responsable ! Une petite remarque : quand on ne connait pas une langue, il peut être intéressant de confronter ce que nous proposent la version française orale et le sous-titrage en français. C’est ainsi que, dans une scène importante, car très émouvante, de La grande pagaille, scène dans laquelle Codegato répond à Silvia Modena qui vient de faire état de son origine juive, on l’entend dire « Nous sommes tous chrétiens » dans la version française et on lit « Nous sommes tous des êtres humains » dans le sous-titrage. Deux réponses très différentes quant à leur signification ! C’est celle qu’on trouve dans la version française qui est fidèle à la version originale !
Les suppléments offerts avec le film sont tellement riches que la place n’était pas suffisante pour les accueillir sur le DVD du film. C’est pourquoi le combo comporte 2 DVD et un seul Blu-ray, capable lui de contenir le film et les suppléments. Le supplément à regarder en priorité est sans doute celui de 7 minutes qui comprend des scènes qu’on trouvait sur la version sortie en salles et qui n’ont pas été retenues dans le fichier HD réalisé par Sony. Ces scènes ont été récupérées sur une ancienne édition italienne du film. Certes, elles ne sont pas totalement indispensables mais elles se révèlent au minimum utiles. Elles permettent en plus de constater la différence énorme en matière de qualité d’image entre celles de la version HD et celles de l’ancienne édition. Il est bon, ensuite, de passer à l’entretien avec René Marx, un entretien d’une durée de 30 minutes dans lequel ce rédacteur en chef adjoint de l’Avant-scène cinéma précise les particularités de Luigi Comencini au sein de la « famille » des grands réalisateurs de la comédie à l’italienne, positionne la situation décrite dans le film dans l’histoire italienne et le film lui-même aux côtés de films contemporains de Mario Monicelli et de Dino Risi et, enfin, nous donne un éclairage pertinent sur les personnages et les comédiens qui les interprètent. Le 3ème supplément a pour titre Drôles, tendres et méchants, et c’est un documentaire TV de 52 minutes, réalisé en 1999 par Jorge Dana et qui retrace l’histoire de la comédie cinématographique italienne depuis Totò jusqu’à Roberto Benigni. Y sont convoqués dans des interviews et des extraits de films Dino Risi, Mario Monicelli, Ettore Scola, Roberto Benigni, Furio Scarpelli, Vincenzo Cerami, Alberto Sordi, Vittorio Gassman et Nino Manfredi. Passionnant !