João Pedro Rodrigues : l’intégrale – Coffret 4 films
Portugal : 1988-2013
4 longs-métrages + 12 courts-métrages
Réalisateur : João Pedro Rodrigues
Scénario : João Pedro Rodrigues
Acteurs : Ricardo Meneses, Beatriz Torcato, Ana Cristina de Oliveira…
Éditeur : Epicentre Films
Durée : 14h environ
Genre : Drame, Documentaire
Date de sortie DVD : 2 décembre 2014
João Pedro Rodrigues est un réalisateur & scénariste portugais, dont la renommée s’est faite aux yeux du public à la Mostra de Venise en 2000 avec le long-métrage choc O fantasma. Souvent catalogué « cinéaste gay », à cause de ses errances homosexuelles et de ses personnages troubles (transsexuels, travestis, homos refoulés…), Rodrigues a donc créé le choc avec son premier long-métrage, en partie à cause d’une scène de fellation non simulée.
Mais il serait bien réducteur de ne garder que cela du cinéaste portugais, dont le cinéma mélange avec habileté une idée de désir inassouvi / passion destructrice avec une ambiance et une esthétique fantastique qui ne sont pas sans rappeler, à certains moments, autant le cinéma de David Lynch que celui de Fassbinder. Rodrigues est le cinéaste de la métamorphose : homme / animal, homme / femme, la notion de transformation traverse son œuvre.
Les films
[4/5]
O fantasma : Dans les rues et terrains vagues de Lisbonne, la nuit, un jeune éboueur traque un garçon, objet de ses fanstasmes, et devient une sorte de fantôme vêtu en latex, enfermé dans ses désirs…
Pour son premier long métrage après une série de courts remarqués, Rodrigues frappait fort en 2000 avec O fantasma. Récit d’une obsession sexuelle sur fond de décharge publique, le film mettait en scène Sergio, un homme que ses fantasmes homos et sado-maso transformaient littéralement en chien au fil du métrage (les parallèles à l’écran étaient nombreux et vraiment troublants, toujours à la lisière du fantastique pur), jusqu’à une scène finale littéralement sidérante. Volontiers glauque, cette première incursion du réal portugais dans la fange de l’obsession sexuelle trouble, où ordures et latex se rejoignaient dans le grand refoulement urbain contemporain. Fétichiste jusqu’au bout des ongles, O fantasma se délecte de cette misère sexuelle si souvent décrite par Michel Houellebecq, nous présentant un personnage se laissant aller, entre deux activités avec son chien, à des jeux sexuels avec un vieux slip usagé ou les parois d’une douche sale qui le mèneront à l’irréparable. Et si O fantasma a fait scandale à Venise il y a presque quinze ans, c’est bien parce que ce désir trouble menant à de fortes pulsions de possession ne sont pas l’apanage des homosexuels – en cela, le film de João Pedro Rodrigues touchait à l’universalité.
Odete : Un amour apaisé et touchant unit Pedro et Rui, mais voilà qu’un soir leur histoire prend fin brutalement. Pedro meurt dans un accident de voiture, et Rui se retrouve seul et inconsolable. Odete apparaît alors et déclare qu’elle est enceinte du défunt, donnant l’image d’un chagrin à la fois extrême et théâtral. Rui refuse une telle situation et repousse la jeune femme en même temps que l’idée qu’elle pourrait dire la vérité. Pourtant une étrange solution se dessine qui rapproche inexorablement les destins de Rui et d’Odete…
Si Odete (2005) ne traitait plus, à proprement parler, d’homosexualité, il n’en proposait pas moins de découvrir des personnages pour le moins obsessionnels. Avec sa femme enceinte de quatre mois tentant désespérément de ressembler à un homme décédé dans le but d’en séduire un autre, le film dépasse les limites de la chronique sociale et bascule dans une ambiance fantastique, en nous proposant un personnage que le désir rend clairement mortifère, tentant de devenir le fantôme d’un autre. D’une façon vraiment étonnante, ce mélodrame volontiers surréaliste se régale de ses propres excès et provoque, à sa façon très personnelle, une émotion qui rappelle les œuvres les plus inclassables de Fassbinder ou Pasolini.
Mourir comme un homme : Tonia, une transsexuelle vétéran des spectacles de travestis à Lisbonne, voit s’effondrer le monde qui l’entoure : son statut de star est menacé par la concurrence des jeunes artistes. Pressée par son jeune copain Rosário d’assumer l’identité de femme et de se soumettre à l’opération qui la fera changer de sexe, Tonia lutte contre ses convictions religieuses les plus intimes. Pour s’éloigner de tous ses problèmes, elle part à la campagne avec Rosário. Après s’être égarés, ils se retrouvent dans une forêt enchantée, un monde magique où ils rencontrent l’énigmatique Maria Bakker et sa copine Paula. Et cette rencontre va tout faire basculer…
Mourir comme un homme, son troisième long métrage, est un nouveau mélo, narrant le dernier amour d’un travesti pour un jeune toxico. Un mélo que l’on sent d’emblée beaucoup plus mélancolique que ses œuvres précédentes, avec son travesti vieillissant hésitant à changer de sexe pour de bon, un peu fatigué par la vie et les déceptions. Une mélancolie qui prend dans la première moitié du film des aspects de marche funèbre, mais qui révélera tout de même beaucoup de joie, de poésie (comme une félicité à se laisser aller vers la mort) dans sa seconde moitié aux allures de faux western et de vraie tragédie lors d’un final authentiquement émouvant.
La dernière fois que j’ai vu Macao : Trente ans plus tard, je me rends à Macao où je ne suis jamais revenu depuis mon enfance. J’ai reçu un mail à Lisbonne de Candy, une amie dont je n’avais plus de nouvelles depuis longtemps. Elle disait s’être encore aventurée avec les mauvais garçons et me priait de venir à Macao où se passaient des « choses effrayantes ». Fatigué, après des heures de vol, j’approche de Macao à bord du ferry qui me fera remonter dans le temps, jusqu’à la période la plus heureuse de ma vie…
En 2012, João Pedro Rodrigues signe son dernier long-métrage en date, La dernière fois que j’ai vu Macao. Co-signé avec João Rui Guerra da Mata, le film s’impose à la fois comme un documentaire à la première personne sur une ville en constante évolution, et un étrange récit fantastique à tendance minimaliste. La ville de Macao, fantomatique, désertée, est quasiment un personnage à part entière du métrage. Un personnage invisible, comme ses héros qui souvent disparaissent de l’image. Ne subsistent que des voix-off, dont on ignore parfois de qui même il s’agit, si ce n’est que tous semblent à la recherche d’une société secrète, dont les membres se transforment littéralement en animaux (ce qui fait clairement écho à O fantasma), et qui fait peser une menace indicible sur le personnage féminin principal (transsexuel). Au final, La dernière fois que j’ai vu Macao s’impose comme un pur exercice de style, fonctionnant en écho avec le Macao de Josef Von Sternberg (Le paradis des mauvais garçons en VF, 1952), et proposant un curieux film expérimental, naviguant à vue entre docu sérieux et kitsch absurde, tendant parfois vers l’horreur. Inclassable et inattendu.
Le coffret DVD
[5/5]
Avec cette intégrale consacrée à João Pedro Rodrigues, Épicentre Films nous livre un travail éditorial impressionnant et assez extraordinaire. Toute son œuvre est réunie sur la bagatelle de six DVD pleins à craquer : ses quatre longs-métrages, mais également ses dix courts-métrages, dont la plupart restaient inédits en France, représentant vingt-cinq ans de travaux pour le cinéaste portugais. Voila une initiative que l’on ne peut que saluer. Chapeau bas donc à Epicentre donc, d’autant plus que la qualité des masters est globalement excellente : pas de souci majeur de compression, encodage nickel, 16/9 pour la plupart, formats respectés… Du grand Art pour un coffret dont l’intérêt est à la fois artistique et patrimonial, le cinéma portugais étant très mal représenté à travers le monde.
Les dix courts-métrages vont du plus anecdotique au plus brillant ; il s’agit pour l’essentiel de documentaires : on y dénombre Le berger (1988), Voici ma maison (1997), Parabéns! (1997), Voyage à l’Expo (1999 – la suite de Voici ma maison), China, China (2007), Camouflage – Self-Portrait (2008), Aube rouge (2011), Mahjong (2012), Le matin de la Saint-Antoine (2012), Ce qui brûle guérit (2012), Allegoria della prudenza (2013) et enfin Le corps du Roi (2013).
Du côté des suppléments, le coffret reprend et enrichit ceux déjà disponibles sur les éditions précédentes des films de Rodrigues : nous avons donc droit à un riche commentaire audio de son œuvre phare O fantasma, une série d’entretiens menées par Jean-Marc Lalanne, quelques scènes coupées, ainsi que les traditionnelles galeries photos et bandes-annonces. En un mot comme en cent, un panorama on ne peut plus complet et indispensable de l’œuvre du plus important cinéaste portugais contemporain.