Drone
France : 2024
Réalisation : Simon Bouisson
Scénario : Simon Bouisson, Fanny Burdino, Samuel Doux, Gilles Marchand
Acteurs : Marion Barbeau, Eugénie Derouand, Bilel Chegrani
Éditeur : Blaq Out
Genre : Thriller
Durée : 1h46
Date de sortie cinéma : 2 octobre 2024
Date de sortie DVD : 19 février 2025
Une nuit, Émilie, une jeune étudiante, remarque qu’un drone silencieux l’observe à la fenêtre de son appartement. Les jours suivants, il la suit et scrute chacun de ses mouvements. D’abord protecteur, le drone devient inquiétant. Émilie se sent de plus en plus menacée…
Le film
[3/5]
Simon Bouisson s’est fait remarquer en 2020, en créant et réalisant deux séries : Stalk, un thriller psychologique mettant en scène un petit génie de l’informatique piratant les téléphones et ordinateurs d’une bande d’étudiants afin de connaître tous leurs secrets et les manipuler, et 3615 Monique qui explorait sur un ton satirique l’essor du Minitel rose dans les années 1980. Thématiquement, la première mettait en garde le public contre les dangers d’une société ultra connectée où la surveillance n’a plus de limites, et la deuxième évoquait comment la technologie s’invitait, déjà à l’époque, au cœur de la sphère privée, tout en participant toujours un peu plus au concept d’objectification des individus, et en particulier des femmes.
Quelques années plus tard, le premier long-métrage de Simon Bouisson, Drone, vient nous prouver que le cinéaste, passionné de nouvelles technologies, a décidément de la suite dans les idées. Son film met en scène Émilie (Marion Barbeau), une jeune étudiante en architecture fraîchement débarquée de Lille à Paris, et ayant intégré une prestigieuse formation. A l’inverse de ses camarades de classe, qui semblent tous issus de milieux extrêmement aisés, elle doit, pour subvenir à ses besoins, s’adonner le soir à des activités de camgirl, s’exhibant devant son écran pour un petit public de voyeurs et de fétichistes. Sa vie va se voir chamboulée lorsqu’un drone – qui ne correspond à aucun modèle connu – apparaît subitement à sa fenêtre, et commence à épier ses moindres faits et gestes.
A la manière d’un compagnon non sollicité, le drone impose sa présence à Émilie. La jeune femme, forcément habituée au concept de male gaze et d’objectification par écrans interposés (indissociable de son activité de camgirl), semble même dans un premier temps trouver cette présence comme vaguement rassurante, ou du moins bienveillante. Mais jusqu’à quel point la sphère privée peut-elle s’effacer sous l’œil omniprésent de Big Brother ? La question soulevée par l’intrigue de Drone se pose d’autant plus pour l’héroïne que la morale sociale lui impose de garder ses activités privées secrètes. Cette pression sociale s’ajoute de plus au mal-être de « classe » qu’elle ressent en compagnie de ses camarades de classe, pour la plupart caractérisés comme des bourgeois arrogants, à l’image du hautain Olivier (Stefan Crepon), qui aimerait bien l’inscrire à son tableau de chasse.
De son côté, Émilie, extrêmement timide quand elle ne domine pas le jeu de séduction par le biais d’un écran, n’a d’yeux que pour Mina (Eugénie Derouand), une musicienne qu’elle a rencontrée en soirée et qui, selon ses propres mots, construit sa musique selon un modèle hélicoïdal. Habile, le scénario de Drone remettra en avant cette idée non seulement à travers la vision à 360° du drone, mais également, au détour d’une séquence, par le biais de l’évocation du concept de panoptique, un type d’architecture carcérale permettant aux gardiens d’observer tous les prisonniers au cœur même de leurs cellules depuis une tour centrale. Le propos de Simon Bouisson ne pourrait être plus clair : le développement des nouvelles technologies et des écrans connectés à Internet a construit une véritable prison sur la société contemporaine.
De plus, par sa nature de film de cinéma, Drone nous propose une intéressante mise en abîme : par la multiplication des écrans dans l’écran, Simon Bouisson met également le spectateur dans une position de voyeur, et plus particulièrement le spectateur masculin, qui est directement confronté au regard qu’il porte sur les femmes. Plus largement, le film développe également une réflexion sur le concept de camgirl, qui a littéralement explosé sur le Net depuis l’avènement des sites de partage genre Mim ou OnlyFans : dans quelle mesure ces femmes qui vendent leur image contrôlent-elles ce qu’elles vendent à leurs clients ? Par ce viol consenti de leur intimité, ces camgirls ne vendent-elles pas une partie de leur identité, voire même – pour utiliser les grands mots – de leur âme ? Sortez les copies, vous avez quatre heures.
Le DVD
[4/5]
Le DVD de Drone édité par Blaq Out est à l’image des sorties vidéo auxquelles nous a habitué l’éditeur depuis quelques années. Bien aguerri au format, Blaq Out nous propose un impressionnant piqué et un encodage bien maîtrisé. En deux mots, le transfert compose parfaitement avec les limites du support DVD, et ce même si le film se déroule en grande partie de nuit et/ou dans l’obscurité : on note certes une granulation légèrement supérieure durant certaines scènes, mais il s’agit d’une des limites intrinsèques du format, et dans l’ensemble, le DVD de Drone nous offre un spectacle très propre, sans écueil majeur à déplorer, rendant un superbe hommage au travail de Ludovic Zuili sur la photo du film. Niveau son, le film est mixé en Dolby Digital 5.1, avec une nette prépondérance laissée aux voix, et une dynamique assez ample sur les scènes de suspense. Mais l’éditeur a également pensé aux cinéphiles regardant le film sur une simple TV sans système Home Cinéma : le film de Simon Bouisson est également proposé en Dolby Digital 2.0, le mixage stéréo s’avérant plus cohérent si vous n’utilisez pas de système de spatialisation acoustique.
Dans la section suppléments, on se régalera d’une série d’entretiens croisés avec Simon Bouisson, Marion Barbeau et Stefan Crepon (17 minutes), Le cinéaste y reviendra sur ses inspirations, et notamment sur un des concepts évoqués pendant la préparation du film, à savoir de filmer l’intégralité du film par le biais de drones. Il évoquera l’ambiguïté apportée par Marion Barbeau à son personnage ainsi qu’au projet, ainsi que la grâce amenée par sa formation de danseuse. Les deux acteurs reviendront quant à eux sur leurs personnages, ainsi que sur le rapport au drone, et reviendront sur quelques anecdotes de tournage. En fin de sujet, Simon Bouisson nous révèle que son prochain projet de film tournera autour de l’Intelligence Artificielle.