La ballade des sans-espoirs
Etats-Unis : 1961
Titre original : Too late Blues
Réalisation : John Cassavetes
Scénario : Richard Carr, John Cassavetes
Interprètes : Bobby Darin, Stella Stevens, Everett Chambers
Éditeur : Rimini Editions
Durée : 1h41
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 28 mars 1962
Date de sortie Combo DVD/Blu-ray : 6 juin 2023
Pianiste et compositeur « Ghost » Wakefield dirige un quintette de jazz, qui peine à rencontrer le succès malgré le talent des musiciens. Ceux-ci doivent souvent se contenter de jouer dans des squares déserts ou pour des galas de charité. Lors d’une fête, Ghost rencontre Jess Polanski, une chanteuse accompagnée par Benny, leur imprésario commun. Il décide de composer une chanson pour elle…
Le film
[3.5/5]
La ballade des sans-espoirs ne fait pas partie des films les plus connus du réalisateur John Cassavetes. Dans sa filmographie en tant que réalisateur, il arrive en deuxième position dans le temps, suivant Shadows de deux années. Film tourné avec les moyens du bord, en décors naturels, avec des comédiens inconnus improvisant devant une caméra en mouvement, Shadows n’a pas tardé à procurer une renommée internationale à son réalisateur, au point que Hollywood va décider de lui faire les yeux doux. Cela se traduit par une courte parenthèse dans la carrière de John Cassavetes qui va tourner 2 films dans les studios de la côte ouest, une parenthèse vite refermée avec le retour au cinéma indépendant dès Faces, tourné en 1968 dans la maison occupée par John Cassavetes et par Gena Rowlands, son épouse. La ballade des sans espoirs, produit en 1961 par la Paramount Pictures, est le premier de ces 2 films. Même s’il n’a plus la liberté totale qu’il avait lorsqu’il a tourné Shadows et qu’il recouvrera plus tard, on retrouve dans ce film un certain nombre d’éléments de l’ADN de Cassavetes : le jazz, l’alcool, le comportement des hommes, que ce soit d’une façon générale ou, plus précisément, face aux femmes. Par ailleurs, il serait totalement injuste de se plaindre de la beauté de l’image captée par Lionel Lindon : magnifique lumière, Noir et Blanc somptueux.
Comme dans Shadows, le jazz est donc omniprésent dans La ballade des sans-espoirs. Toutefois, attention, il y a jazz et jazz et le passage du jazz new-yorkais de la fin des années 50 au jazz « west coast » du début des années 60 enchantera peut-être certaines oreilles mais risque aussi d’entrer par une oreille et sortir par l’autre à beaucoup d’autres. Sans être méchant, on se contentera de rappeler que la musique de Shadows a été composée par le grand Charlie Mingus et son saxophoniste Shafi Hadi, que la fin des années 50 et le début des années 60, contemporaines du film, ont vu la parution des disques les plus importants de John Coltrane, « Giant Steps », « My favorite things » et « Olé Coltrane » et que, comparé à ces chefs-d’œuvre, le jazz « west-coast » de David Raksin qu’on entend dans La ballade des sans-espoirs fait vraiment pâle figure. L’alcool ? Une grande partie du film se déroule dans des clubs de jazz et dans des bars, on y boit beaucoup, on y prépare des cocktails « monstrueux » et les personnages sont souvent sous l’emprise de l’alcool. Quant au comportement des hommes, on retrouve chez John « Ghost » Wakefield, le principal personnage masculin, le leader du quintette de jazz, la plupart des caractéristiques des hommes dans les films de Cassavetes : des êtres qui cherchent à se comporter en fonction de ce que, croient-ils, la société attend d’eux, avec, en particulier, ce qu’il faut de virilité, des êtres dont le goût pour le jeu les amène souvent à se conduire comme des gamins.
Il y a très probablement du Cassavetes dans le personnage de « Ghost », en particulier dans son rapport avec son art, un art qu’il ne s’agit surtout pas de « prostituer » en cherchant un succès commercial à tout prix. Sauf que « Ghost » va succomber aux charmes de Jess Polanski, va être désarçonné que ce soit elle qui lui grille la politesse en lui faisant des avances, et va croire avoir perdu la face lorsqu’il va se retrouver à terre, aux pieds de Jess, lors d’une bagarre avec un irlandais irascible dans l’établissement de Nick, le barman grec. Si on pousse le raisonnement un cran plus loin, il n’est pas interdit de voir la figure des majors hollywoodiennes dans le rôle de la comtesse dont « Ghost » va devenir, un temps, le gigolo et, de façon prémonitoire, une fin de film annonçant le retour de Cassavetes, quelques années plus tard, dans le giron du cinéma indépendant. Le rôle de « Ghost » est très bien interprété par le chanteur et comédien Bobby Darin. Très populaire aux Etats-Unis mais peu connu en France malgré la reprise en français, par Dalida, de son tube « Dream lover », Bobby Darin a connu une enfance similaire à celle d’Eric Clapton : élevé par ses grands parents, n’imaginant pas que celle qu’il croyait être sa sœur était en fait sa mère. Sa carrière cinématographique, riche d’une grosse quinzaine de films, lui a permis d’obtenir en 1962, ex aequo avec Warren Beatty, le Golden Globe de la révélation masculine de l’année pour sa prestation dans Le Rendez-vous de Septembre. Quant à Stella Stevens, l’interprète de Jess, elle a obtenu en 1960 le Golden Globe de la révélation féminine de l’année pour sa prestation dans L’habit ne fait pas le moine. Considérée à l’époque comme un clone mineur de Marilyn Monroe, elle s’avère être plus que cela, avec de belles qualités de comédienne, dans La ballade des sans-espoirs. Après avoir tourné dans une multitude de films, Stella Stevens est décédée en février dernier. A leurs côtés, on retrouve un certain nombre de membres de l’entourage de John Cassavetes qui figureront dans d’autres films du réalisateur : Mario Gallo, Val Avery, et, surtout, Seymour Cassel.
Le Blu-ray
[4/5]
Pendant 60 ans, La ballade des sans-espoirs est resté absent des catalogues VHS et des catalogues DVD. C’est donc un beau cadeau que Rimini Editions offre à toutes celles et à tous ceux pour qui John Cassavetes est un réalisateur important en lançant sur le marché ce combo Blu-ray + DVD. D’autant plus que les deux galettes ont comme source un master HD réalisé à partir de la pellicule 35 mm du film et que le résultat obtenu sur le Blu-ray (je n’ai pas visionné le DVD) est tout simplement splendide. Le son 2.0 est disponible en VO et en VF, avec, bien sûr, si on le souhaite, la possibilité de disposer d’un sous-titrage en français.
Pour une fois, nous allons dire quelques mots du supplément intitulé « film annonce ». Il s’agit de la bande annonce du film, probablement américaine, donc en anglais et sans sous-titre. Son intérêt est de montrer l’immense amélioration dans la qualité de l’image obtenue par le remastérisation HD. Sinon, le véritable supplément est un entretien passionnant, d’une durée de 20 minutes, avec Quentin Victory Leydier auteur du livre « Avec John Cassavetes » paru cette année aux éditions Lettmotif : tout ce que vous souhaitez savoir sur la place de La ballade des sans-espoirs dans la filmographie de John Cassavetes.