Week-end
France, Italie : 1967
Titre original : –
Réalisation : Jean-Luc Godard
Scénario : Jean-Luc Godard
Acteurs : Mireille Darc, Jean Yanne, Jean-Pierre Kalfon
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h44
Genre : Drame
Date de sortie cinéma : 29 décembre 1967
Date de sortie DVD/BR : 16 octobre 2019
Un couple de petits bourgeois part en week-end dans sa maison de campagne. Sur la route, c’est l’enfer qui commence : embouteillages inimaginables, accidents épouvantables, sirènes d’ambulances. Bloqués au milieu de cette aventure cauchemardesque, ils feront des rencontres déconcertantes…
Le film
[3/5]
Agressif, tonitruant, souvent ouvertement désagréable dans ses côtés les plus expérimentaux, Week-end est un film mal-aimable, balancé tel un glaviot par Jean-Luc Godard à la face du spectateur. Peut-être pas tout à fait détestable, mais en tous cas sacrément mal embouché, ce film sorti en 1967 est à l’image de l’état d’esprit de Godard au moment où il le tourne : au bord de l’implosion. Week-end est le film du trop-plein pour un réalisateur qui semble en avoir marre de tourner des films à destination du public, et désire changer la société autant que le cinéma. Les deux étant intrinsèquement liés selon lui, comme il l’énonce d’ailleurs clairement dans les dialogues du film, à travers les propos de Jean Eustache. Il faut dire aussi que dans les années 60, le cinéaste franco-suisse tournait frénétiquement, sans s’accorder la moindre pause. Sorti en décembre 1964, Une femme mariée que nous évoquions il y a quelques jours (lire notre article), était son huitième long-métrage. Sorti en décembre 1967, soit trois ans plus tard, Week-end est son quinzième long-métrage. Sept films en l’espace de trois ans, auxquels il faudra ajouter quelques participations à des films collectifs, ça aurait de quoi lessiver n’importe-qui. « Fin de cinéma » annonce-t-il d’ailleurs lors du plan final de son film. Et c’est vrai qu’après Week-end, le cinéma de Jean-Luc Godard ne serait plus jamais le même.
Pas nécessairement le film « de trop », mais le film du « trop-plein », comme nous l’évoquions un peu plus haut. Et de ce ras-le-bol découlera une impression d’agressivité mal contrôlée, puisque plus que jamais Godard semble détester, mépriser au plus haut point les personnages de son film. Et comme il n’aime pas les protagonistes de son récit, il opte pour des acteurs qu’il ne porte pas tellement non plus dans son cœur, et venus du cinéma de Georges Lautner / Michel Audiard. Pour l’anecdote, Mireille Darc évoquait sa rencontre avec Godard dans ses mémoires (« Tant que battra mon cœur », XO Éditions, 2005). Ses propos pourront certainement nous éclairer sur l’état d’esprit du cinéaste à l’époque : « La rencontre a lieu. Godard m’adresse à peine la parole, l’air excédé derrière ses grosses lunettes, et cependant oui, il est d’accord, nous allons tourner ensemble. Quoi ? Il ne me le dit pas. Peut-être ne le sait-il pas encore. Quand je lui demande pourquoi il consent à ce sacrifice, il a cette réponse qui me passe l’envie de rire : Parce que vous m’êtes antipathique, parce que je n’aime pas le personnage que vous êtes dans vos films, comme dans la vie, et que le personnage de mon film doit être antipathique. Ah, j’oubliais : vos cheveux sont trop blonds, faites-les châtain clair. Et venez sans maquillage, juste un peu les yeux, et encore… Bon, je vous rappelle ! ». Plus distancié, mais également plus narquois, Jean Yanne déclarera quelques mois après la sortie du film dans le quotidien Paris Jour : « Pour les gens qu’il dirige, Godard est un metteur en scène tout à fait classique. Je ne vois pas de différence, par exemple, entre Jean Girault et lui. C’est au montage que les genres diffèrent: des scènes qui pourraient être drôles avec Girault deviennent méchantes avec Godard. » Une déclaration réjouissante dans le sens où on suppose que le fait d’être comparé au réalisateur de la série du Gendarme de Saint-Tropez n’a pas du beaucoup plaire à Godard…
Véritable jeu de massacre aux accents surréalistes, franchement décousu et souffrant d’énormes problèmes de rythme, Week-end, décrit dans les premiers plans comme un film « trouvé à la ferraille », permet également à Godard de laisser libre cours à son penchant pour les expérimentations formelles, qui illustreront l’idée que se fait le cinéaste de la société de l’époque, en pleine déliquescence, où plus que jamais l’homme est devenu un loup pour l’homme, et où tous les prétextes sont bons pour laisser s’exprimer la violence. Les prises de position politiques sont nombreuses, le capitalisme et la domination économique américaine sont clairement en ligne de mire, le tout étant rythmé par une série de plans-séquences extrêmement longs, ayant pour point commun une utilisation radicale, assourdissante, stridente, du son et de la musique. Autant dire que ce qui paraîtra génial aux uns pourra fortement irriter les autres… Ainsi, Week-end impose donc sa nature de film conçu pour agresser le spectateur plutôt que pour le séduire. Bien sûr, il s’agissait là d’une volonté consciente de la part de Jean-Luc Godard, qui pressentait d’ailleurs l’échec public de son film, et avait même déclaré aux Cahiers du Cinéma avant la sortie : « C’est un film qui déplaira sûrement à la majorité des spectateurs… Parce que c’est méchant, grossier, caricatural, dans l’esprit de certaines bandes dessinées d’avant-guerre. C’est plus méchant que Hara-Kiri, ça rappelle un peu Pim, Pam Poum. C’est plein de sang et d’injures. Comme Les carabiniers, et je pense que pour les mêmes raisons ça ne marchera pas. »
Avec le recul, la radicalité agressive et affichée de Week-end apparaît bien sûr comme très symptomatique de l’époque : sorti fin décembre 1967, le film de Godard annonce dans un sens les événements à venir en mai 68, en posant ouvertement la question : « Quelle place pour le cinéma à l’ère des grands bouleversements sociaux ? »
Le Blu-ray
[4,5/5]
Le Blu-ray de Week-end édité par Gaumont est difficile à prendre en défaut : qu’il s’agisse de la qualité du master ou des suppléments, on est vraiment en présence d’une édition techniquement de haute volée. L’image conserve son rugueux grain d’origine, absolument typique du cinéma des années 60, mais propose une définition et un piqué d’une belle précision. Le format est évidemment respecté, et le master s’avère de très bonne tenue, les couleurs sont particulièrement vives et spectaculaires, et les contrastes affirmés. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 et le mixage semble en tous points fidèle aux intentions de Jean-Luc Godard, avec un son parfois étouffé ou assourdi par la musique. Une expérience intéressante !
Du côté des suppléments, Gaumont continue l’exploration et le recyclage des suppléments issus de son coffret « Jean-Luc Godard – Fiction » sorti en 2010 avec trois entretiens passionnants, naturellement proposés en définition standard. On commencera par une présentation du film par Antoine de Baeque (12 minutes), qui remet assez brillamment Week-end dans son contexte de tournage et explicitera une partie des ambitions de Godard sur son film. On continuera avec un entretien avec Claude Miller (25 minutes), au cœur duquel le regretté réalisateur de La meilleure façon de marcher revient sur ses collaborations avec Jean-Luc Godard en tant qu’assistant, et plus précisément sur ses souvenirs du tournage de Week-end. Il évoque l’absence de scénario, qui n’empêche pas une préparation assez maniaque du film, et le plaisir que prenait Godard à « cabosser » les voitures accidentées servant de décor. Ses propos nous confirment la connivence entre Mireille Darc et Jean Yanne, qui se tenaient les coudes et ont toujours fait preuve d’une docilité relativement sereine malgré les provocations répétées du cinéaste. On terminera enfin avec un entretien avec Patrice Leconte (36 minutes), qui évoque sa découverte de Jean-Luc Godard et d’A bout de souffle, et le souffle de liberté qu’il a apporté au cinéma français. Comme souvent, et même s’il ne connaît pas personnellement le cinéaste, ses propos sont très intéressants, notamment dans ses interrogations concernant la forme que prennent les scénarios de Godard.