Vigilante
États-Unis : 1982
Titre original : –
Réalisation : William Lustig
Scénario : Richard Vetere
Acteurs : Robert Forster, Fred Williamson, Richard Bright
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h29
Genre : Action
Date de sortie cinéma : 12 janvier 1983
Date de sortie DVD/BR : 3 octobre 2019
Pour s’être interposée dans une station-service contre des voyous qui maltraitaient un vieil homme, Vickie Marino se fait sauvagement agresser à son domicile par la bande de délinquants. Durant l’assaut, son petit garçon est tué et elle-même grièvement blessée. Écœuré par l’incompétence des instances judiciaires, l’impuissance de la police et la corruption qui gangrène la ville de New York, son mari, Eddie Marino, finit par rejoindre un groupe de justiciers pratiquant l’autodéfense…
Le film
[4/5]
Le hasard (?) des sorties vidéo en France a permis aux deux plus importants représentants du « vigilante movie » d’arpenter de nouveau les rues de New York en ce glorieux mois d’octobre 2019, la mâchoire serrée et le flingue à la ceinture. Derrière la figure tutélaire de Paul Kersey, l’architecte badass incarné par Charles Bronson dans Un justicier dans la ville, se profile donc ici le récemment disparu Robert Forster (encore un hasard du calendrier que l’on ne pouvait prévoir) et son gang de nettoyeurs de rues façon puzzle au cœur du Vigilante de William Lustig, grâce au talent et à la passion du Chat qui fume – qui fume tous les loubards bien sûr !
« Loubard », mot désuet et formidable à la fois, qui semble aujourd’hui indissociable de la musique de Renaud ET du vigilante movie : pour les moins de 35 ans qui nous liraient, et qui ne seraient pas familiers avec cette terminologie, le terme loubard désignait au vingtième siècle un jeune voyou des zones urbaines, dont le comportement marginal et asocial était perçu comme une menace par la société et ses individus. Le loubard est donc central au genre et au film de William Lustig, d’autant que le film s’ouvre par ce qu’on prend dans un premier temps comme une invective directe du spectateur, avec un Fred Williamson balançant directement face caméra : « Hey, I don’t know about you guys, but me, I’ve had it up to here. » Le ton est donné : on n’est pas là pour rigoler. S’adressant tout à la fois à sa milice et au public, Williamson fait le constat d’échec de la société américaine dans un monologue devenu culte. « Now, we ain’t got the police, the prosecutors, the courts or the prisons. I mean, it’s over. The books don’t balance. We are a statistic. Now, I’m tellin’ ya, when you can’t go to the corner store and buy a pack of cigarettes after dark… Because you know the punks and scum are out there on the streets when the sun goes down, and our own government can’t protect its own people. » Les voilà donc, les fameux loubards qu’on évoquait un peu plus haut :
« Quand on n’ose plus descendre acheter un paquet de cigarettes le soir parce qu’on sait que la rue appartient aux loubards et aux voyous dès que la nuit tombe, et que les autorités ne peuvent pas nous protéger… » entend-on en VF durant la séquence d’ouverture. Les mots loubard et voyou seront le leitmotiv des dialogues français du film, puisqu’on les emploiera environ à dix reprises. Ce n’est pas tout à fait inintéressant, dans le sens où la plupart des cinéphiles ayant découvert Vigilante dans les années 80 l’ont d’ailleurs probablement vu au moins une fois dans la langue de Molière, et que cette VF compte vraiment ce qui se faisait de mieux à l’époque en termes de casting vocal. Ainsi, Robert Forster sera doublé par Bernard Murat, voix française de Woody Allen et Fred Williamson par le regretté Med Hondo, surtout connu pour ses doublages d’Eddie Murphy et, pour les plus jeunes, de l’âne dans Shrek. Mais ce n’est pas tout : la femme de Robert Forster, incarnée à l’écran par Rutanya Alda, sera doublée par Déatrice Delfe, inoubliable voix de Willie dans Indiana Jones et le temple maudit, tandis que leur fils Scott aura la voix de Demi-Lune dans le même film, qui est également celle de la petite Carol-Anne dans la saga Poltergeist. Les amateurs de versions françaises estampillées 80’s seront également ravis de retrouver les voix de Mario Santini (Beetlejuice), de Jacques Thébault (voix de Roy Scheider dans Les dents de la mer) ou encore d’Hervé Bellon, voix française de Steve Guttenberg, acteur disparu des écrans radars depuis de nombreuses années, mais incontournable du cinéma populaire de l’époque…
Mais revenons au film en lui-même. Presque dix ans après Paul Kersey, Vigilante joue ouvertement la carte de la surenchère par rapport au film de Michael Winner, donnant à voir au spectateur un New York où l’impunité des truands de tous poils est la plus révoltante, un peu à la façon de La nuit des juges (1983). Bien sûr, entre 1974 et 1982, la société a changé, et Lustig ira également volontiers plus loin dans le sordide et les méthodes expéditives destinées à nettoyer le paysage urbain, sans jamais se départir de son sérieux, le film étant quasiment 100% premier degré. C’était d’ailleurs tout à fait dans l’air du temps de l’époque : en effet, avant que Charles Bronson et Michael Winner ne tombent dans l’auto-parodie involontaire avec Le justicier de New York (1985) et ne jettent le discrédit sur le genre, le vigilante movie était une affaire sérieuse. Oui monsieur. William Lustig et son scénariste Richard Vetere semblent donc catégoriques : New York est une grosse pomme pourrie. La violence y a triomphé du droit et de la notion de justice. Pour y remédier, une seule alternative possible : prendre les armes… On ne discutera pas ici de la portée morale ou politique que peut avoir une œuvre de cinéma : chacun voit midi à sa porte, et si certains verront dans Vigilante un vibrant plaidoyer visant à légitimer l’auto-justice, d’autres y verront au contraire une âpre dénonciation des dérives de cet état d’esprit. Facho ou pas facho au fond, on s’en fout, et sans agressivité aucune, si vous pensez réellement qu’une œuvre artistique peut influencer le public et l’inciter à commettre des actes criminels, fermez immédiatement votre navigateur Internet et courez vous faire lobotomiser. Et saluez Nadine Morano.
Les sujets – certes vaguement polémiques – de la réaction à la violence et du passage à l’acte sont donc au centre du film. Mais il ne semble pas non plus que Vigilante cherche réellement à mettre un quelconque débat sur le tapis : William Lustig et Richard Vetere choisissent un postulat de départ – une injustice – en installant et développant la trajectoire tragique d’un personnage meurtri dans un contexte précis : celui des ruines morales de la société américaine des années 80, profondément marquée par la perte de confiance en ses institutions : la débâcle du Viêt-Nam et le scandale du Watergate sont en effet encore dans toutes les mémoires… A partir de là, Vigilante déroule son intrigue de façon on ne peut plus cohérente, point. D’autant que formellement très influencé par le néo-polar italien (poliziottesco) des années 70, William Lustig met de toute façon surtout en avant l’action, qu’il s’agisse de la description des exactions des truands (l’agression de la famille Marino, la mise à mort des deux policiers dans leur voiture de patrouille…) ou dans celles commises dans une optique de « justice » (le meurtre du personnage de Peter Savage). Tout est très esthétisé, avec des ralentis, des cadrages et des axes de prise de vue pensés pour en mettre plein la vue – ce qui fonctionne d’ailleurs tout à fait. Dans cet état d’esprit, Vigilante sacrifie finalement beaucoup au « grand spectacle », avec notamment une course poursuite en voiture finale qui ne sera pas sans évoquer celle de French connection. Idem pour la poursuite entre Nick (Fred Williamson) et Blueboy (Frank Pesce) au milieu du film, qui n’est finalement présente que pour dynamiser un peu le récit, et n’apporte rien à l’histoire en tant que telle.
On notera d’ailleurs que si on excepte une séquence – d’ailleurs assez brillante – les trajectoires des personnages de Robert Forster et de Williamson suivent en réalité des chemins parallèles, mais sans jamais réellement se croiser : la bande de vigilantes traque des dealers et remonteront jusqu’à un ponte de l’industrie trempant forcément un peu dans la mafia, tandis qu’Eddie (Forster) suivra quant à lui une quête beaucoup plus personnelle, et la plupart du temps en solitaire, à la façon d’un bon vieux cowboy de western. Pour ceux que le genre du vigilante movie intéresse (comment pourrait-il en être autrement ?), on recommande chaudement le livre de Fathi Beddiar « Tolérance Zéro : la justice expéditive au cinéma » (Bazaar & Co, 2008).
Le Blu-ray
[5/5]
Voilà maintenant quatre ans que Le chat qui fume s’est lancé dans l’édition de Blu-ray et permet aux cinéphiles les plus déviants de l’hexagone de redécouvrir d’excellents films plus ou moins oubliés, toujours inédits en Haute-Définition, et parfois même inédits tout court, voire introuvables. A l’approche de l’automne, Le chat continue donc de nous gâter avec l’arrivée sur galette HD de Vigilante. Et comme d’habitude, on ne pourra que tirer notre chapeau à l’éditeur, qui nous livre un master assez superbe, très similaire à celui édité par le label Blue Underground aux Etats-Unis (qui se trouve être la boite de… William Lustig). La copie est de toute beauté, avec un grain cinéma respecté aux petits oignons, et des contrastes finement travaillés. On ne déplorera ni rayures ni griffes disgracieuses, et le Blu-ray propose une image d’une stabilité remarquable (avec néanmoins quelques fourmillements discrets sur certaines séquences). Côté son, l’éditeur nous propose une version originale en DTS-HD Master Audio 2.0 mono, sans souffle ni bruits parasites. Les dialogues sont parfaitement clairs, et les sous-titres ne souffrent d’aucun problème particulier. Un son de haute volée. Idem pour la VF dont on parlait un peu plus haut : le résultat est assez bluffant en termes de stabilité, le rendu acoustique est limpide, tonique et bien équilibré. Une belle restitution, également en DTS HD Master Audio 2.0. Du beau travail, rien à redire. On notera également la présence de mixages DTS-HD Master Audio 5.1 mais également d’un DTS-HD Master Audio 7.1 pour la V.O : des remixages à vrai dire assez anecdotiques, mais ponctuellement efficaces, préservant bien heureusement l’essentiel de la frontalité du mixage d’origine, mais permettant par exemple à la musique de Jay Chattaway d’occuper un espace un peu plus importante et immersive, et aux ambiances de rue de se détacher d’avantage des dialogues. Intéressant !
Côté suppléments, l’éditeur nous propose tout d’abord de redécouvrir le film à travers un passionnant commentaire audio assuré par le réalisateur William Lustig et les acteurs Robert Forster, Fred Williamson et Frank Pesce. L’ambiance est visiblement détendue, et les quatre amis partageront avec nostalgie leurs souvenirs du tournage du film. Cela sera l’occasion pour le réalisateur de revenir sur certains détails techniques (son choix du CinemaScope), sur ses influences (notamment celles du néo-polar italien) ou encore sur la prestation du casting en général, et en particulier sur celle de Joe Spinell. Les intervenants évoqueront également le succès fracassant du film au box-office, ce qui sera l’occasion pour l’auditeur de constater que cette bande de lascars-là n’est pas spécialement attachée au cinéma de divertissement représenté par George Lucas et Steven Spielberg : en évoquant L’empire contre-attaque, le deuxième épisode de la saga Star Wars, ils le rebaptisent – involontairement – L’empire… du soleil ! Le commentaire audio est bien entendu intégralement sous-titré.
On continuera ensuite avec un entretien avec Fathi Beddiar (50 minutes), module absolument cohérent puisque comme on le rappelait un peu plus haut, le critique / scénariste – qui développait avec Johnnie To un projet d’adaptation de 5 est le numéro parfait, récemment porté à l’écran par Igort – avait signé en 2008 un livre consacré à la justice expéditive, que l’on vous conseille de lire au plus vite. Fathi Beddiar y reviendra tout d’abord sur le terme « vigilante » en lui-même, la notion de vigilantisme n’ayant pas la même signification en France et outre-Atlantique : si en France elle est assimilée à de « l’autojustice » et représentée dans l’inconscient populaire par l’image de Charles Bronson nettoyant les rues de New York de sa racaille, Beddiar nous explique que le fait de rendre la justice « sommairement et sans autorité légale » était plutôt synonyme de lynchages et d’actes perpétrés par le Ku-Klux-Klan : une « sociopathie déguisée en altruisme » répétera-t-il à de nombreuses reprises, et un terme n’ayant finalement rien de la coloration presque « héroïque » qu’il peut avoir aujourd’hui. Il reviendra également sur le contexte social et politique de New York au moment du tournage, au paradoxe de la police New Yorkaise qui est, pour ceux qui l’ignoreraient, un service « municipal », ne dépendant pas de l’état fédéral mais de la ville en elle-même ou encore sur le phénomène des « Guardian angels ». Enfin, il évoquera les qualités formelles de Vigilante, mais n’oubliera pas non plus d’évoquer ses incohérences scénaristiques, et le côté ouvertement manipulateur du scénario du film. Il terminera en évoquant le fait que le développement de True romance (Tony Scott, 1993) fut un temps assuré par William Lustig, avant qu’il ne soit finalement écarté du projet. On terminera le tour des suppléments de cette riche édition avec une série de teasers et de bandes-annonces internationales (la bande-annonce française vaut vraiment le détour), qui seront accompagnées d’une poignée de bandes-annonces de films déjà sortis ou à venir chez Le chat qui fume. Du beau travail !
Et puisqu’on ne l’a pas évoqué jusqu’ici, on vous rassure : le packaging et la maquette de cette édition de Vigilante sont toujours aussi soignés, avec une édition Combo Blu-ray + DVD limitée à 1000 exemplaires, s’affichant dans un superbe digipack trois volets orné de visuels du film et surmonté d’un fourreau cartonné. Le top en termes de soin éditorial !