Test Blu-ray : Videodrome

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Videodrome

Canada : 1983
Titre original : –
Réalisation : David Cronenberg
Scénario : David Cronenberg
Acteurs : James Woods, Sonja Smits, Debbie Harry
Éditeur : Elephant Films
Durée : 1h29
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 16 mai 1984
Date de sortie BR/DVD : 12 avril 2022

Max Renn, le patron d’une petite chaîne érotique sur le câble, capte avec l’aide d’un employé un mystérieux programme-pirate dénommé Videodrome. Confronté à des images et une violence jamais vus à la télévision, Max est partagé entre fascination et répulsion. Il ne sait bientôt plus différencier le rêve du réel…

Le film

[5/5]

Nous proposant une synthèse parfaite de l’ensemble des obsessions de David Cronenberg, et les transcendant d’une façon allant bien au-delà de tout le reste de sa filmographie, Videodrome s’impose sans peine comme « LE » chef d’œuvre du cinéaste canadien. A la fois visionnaire et apocalyptique, le film s’impose de plus comme une véritable « matrice » pour de nombreux de ses films ultérieurs, mais également comme la réflexion la plus aboutie et la plus dérangeante de toute son œuvre. S’il n’est pas à proprement parler un film de science-fiction, Videodrome utilise tout de même quelques mécanismes liés à l’anticipation afin de nous proposer, dans les premières minutes, une contextualisation sociale assez particulière : le film se déroule ainsi dans un monde où la vidéo et la télévision sont partout : non seulement on se réveille et on s’endort avec la TV, mais David Cronenberg pousse le pessimisme jusqu’à substituer le secours « cathodique » au secours catholique – les sans-abris font en effet la queue dans les missions locales non pas pour trouver de la nourriture, mais pour accéder à leur « ration » de télévision.

Puissante parabole sur le pouvoir de l’image, Videodrome nous montre cependant – et de manière ô combien explicite – que l’intégration de la télévision dans la société finit par devenir une intégration de la société dans la télévision. Il n’est dès lors en rien surprenant que l’image la plus célèbre du film soit celle d’un James Woods plongeant sa tête dans une TV frémissante et réagissant comme un organe vivant. De la même façon, puisque le médium devient un prolongement de l’homme, ce dernier finira par « fusionner » avec la télé, comme le montrent les images puissantes et évocatrices qui émaillent le film de Cronenberg : James Woods s’insérant une VHS dans un vagin s’étant formé sur son estomac, une télé explosant et laissant apparaître des viscères, etc.

Le paradoxe du brûlot Videodrome est bien entendu que son propos est aujourd’hui naturellement dispensé au spectateur par le biais de ces écrans qu’il dénonce avec véhémence. Cependant, la charge politique et les inquiétudes sociales sont bien réelles, et leur acuité sera inévitablement saluée par le cinéphile contemporain, pour qui le postulat de départ du film est aujourd’hui devenu une réalité. De plus, la grande force de Videodrome est aussi de nous plonger au cœur d’un univers poisseux et passionnant, flirtant volontiers avec le sadomasochisme. Entièrement centrée sur le personnage de Max Renn (James Woods), la narration du film joue la carte d’une progression dramatique aléatoire, irrégulière, mais toujours profondément immersive et assez fascinante, surtout lorsqu’elle se met à nous plonger dans les hallucinations délirantes du personnage principal ou à suivre ses mutations physiques, dont on ignore souvent si elles sont réelles ou ne sont que le fruit de son imagination. Les nombreuses fulgurances graphiques du film, le fétichisme assumé de David Cronenberg (qui filme les dérives sadomasochistes de Debbie Harry comme une fuite en avant aussi vaine que morbide), la sublime photo de Mark Irwin et l’ambition démesurée de l’ensemble parviennent cependant à Videodrome de maintenir un rythme solide et toujours passionnant, que l’on adhère à son discours désespéré ou que l’on choisisse de se mettre des ornières.

Avec quarante ans de recul par rapport à sa sortie, il est par ailleurs aujourd’hui assez difficile de ne pas voir en Videodrome une extrapolation des travaux du sociologue canadien Marshall McLuhan (1911-1980) dans le domaine de la communication et des médias. McLuhan a démontré que le médium peut avoir, sur le long terme, plus d’importance que le contenu qu’il transmet, dans le sens où il détermine la façon dont sont abordés le monde et la société. A travers ce que sous-tend son chef d’œuvre, David Cronenberg nous livre lui aussi un message prophétique sur le pouvoir destructeur de la télévision. De fait, une grande partie des prédictions de Videodrome se sont réalisées aujourd’hui. Les travaux de McLuhan et le film de Cronenberg anticipaient également, sans le savoir, le futur impact d’Internet et des téléphones portables sur nos esprits. En fusionnant avec Internet, la télévision a considérablement affecté notre mode de vie ces vingt dernières années. La télévision, Internet et les écrans en général transforment facilement les mensonges en vérités, ce qui explique pourquoi on voit de plus en plus apparaître de « publicité politique » – lors des élections de 2022, de nombreux français ont par exemple reçu des appels téléphoniques des candidats à la présidence. Videodrome soulignait le fait que la télévision faisait un lavage de cerveau à nos esprits, on peut aujourd’hui élargir cette idée aux portables, à Internet, aux réseaux sociaux.

De fait, Videodrome est un film sur le pouvoir des images, tout autant que sur les « idées » qui les entourent, celles qui donnent un sens à la torture et à la pornographie qu’on peut y voir, l’environnement qui les a nourries, la culture qui engendre leurs consommateurs. Le plus flippant dans le film de Cronenberg ne se situe pas dans ses scènes les plus graphiques ou horrifiques, ni même dans les hallucinations dérangeantes de Max Renn, mais bel et bien dans la logique qui soutient leur existence. Est-il utile de (re)préciser que nous sommes en présence d’un chef d’œuvre absolu ?

Le coffret Steelbook / 2 Blu-ray + livret

[5/5]

La ressortie de Videodrome au format Blu-ray (Exclusivité Fnac) constitue un véritable événement. Pas en raison du magnifique Steelbook édité par Elephant Films, ni même de la quantité impressionnante de suppléments qui accompagnent le film de David Cronenberg – la principale raison de notre liesse à la découverte de cette nouvelle édition est que Videodrome est ici ENFIN présenté dans sa version intégrale, et non dans sa version R-Rated censurée de plusieurs plans (deux minutes de métrage environ), comme c’était le cas sur la précédente édition Blu-ray, sortie en 2012 sous les couleurs d’Universal Pictures. Car ce qui compte vraiment, c’est le film, non ? Et ENFIN, nous voilà en mesure de revoir le film en VF ou VOST dans sa version Uncut, tel que nous l’avions découvert en vidéo dans les années 80. Indicible joie. Bonheur indescriptible.

Alors bien sûr, on notera par ailleurs que cette nouvelle édition de Videodrome made in Elephant Films est DE PLUS proposée dans un joli Steelbook, que le master est impeccable et que les suppléments sont aussi nombreux que passionnants. Du côté du master, Elephant nous livre comme de coutume une galette Haute Définition superbe et soignée. Le film de Cronenberg a visiblement été restauré, et le résultat est à la hauteur de nos attentes : l’image est débarrassée de toute tache ou poussière, d’une stabilité impeccable et définition et piqué sont littéralement excellents. Ce nouveau transfert respecte à la lettre la photo du film, le grain a été préservé et l’encodage ne nous réserve aucune mauvaise surprise. Côté son, VF et VO nous sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0, et les deux mixages respectent parfaitement la sobriété de l’ensemble. La profondeur et la clarté sont de la partie, les voix, les bruitages et la musique sont bien équilibrés, et on ne remarque ni souffle, ni craquements, ni distorsion numérique quelconque. Du très beau travail technique.

Pour ne rien gâcher, ce nouveau Blu-ray de Videodrome n’est pas avare en suppléments. On commencera tout d’abord avec une poignée de scènes inédites ou alternatives issues de la version TV du film (25 minutes), qui prolongeront un peu le plaisir pour les amoureux du film. On trouvera également une featurette d’époque (8 minutes), qui nous donnera à voir quelques courts entretiens avec James Woods, David Cronenberg, Deborah Harry et Rick Baker (effets spéciaux). On enchainera ensuite avec un entretien avec Karim Hussain (13 minutes), au cœur duquel le directeur photo / cinéaste reviendra sur son obsession pour le film de David Cronenberg. Il se remémorera avoir vu le film en vidéo « une couple d’années » après sa sortie, reviendra sur le travail remarquable de Mark Irwin sur la photo du film, en expliquant notamment qu’il était très difficile dans les années 80 de filmer une télévision allumée. Il se souviendra également avoir acheté aux enchères une petite bobine 16MM lors d’une convention : il s’agissait des images de la bouche de Debbie Harry qui seraient projetées sur l’écran de télévision de Max Renn. Les images de cette bobine sont également disponibles dans cette édition, dans un petit sujet sobrement intitulé « La Bouche » (92 secondes).

Enfin, en complément des bandes-annonces et teasers du film, on trouvera également une présentation du film par Serge Grünberg et Stéphane du Mesnildot (34 minutes). Les entretiens croisés entre les deux critiques reviendront sur plusieurs aspects du film de David Cronenberg, et on saluera la pertinence et l’intelligence des propos de Serge Grünberg, grand spécialiste français du cinéaste, qui malgré une élocution lente, va souvent plus loin et surtout vise beaucoup plus juste que son confrère. Les thématiques évoquées seront, pêle-mêle : le sentiment de paranoïa développé par l’intrigue, l’inspiration allant autant chercher du côté de chez Philip K. Dick que de William S. Burroughs, les considérations philosophiques concernant le règne de l’image et les théories de Marshall McLuhan, la dimension prophétique du discours du film (élargie de nos jours aux réseaux sociaux) ou encore l’idée d’un homme devenant peu à peu un « mutant technologique ».

Mais ce n’est pas tout : en plus du livret de 24 pages par Stéphane du Mesnildot qui reviendra sur la genèse du film, on trouvera également au sein de ce magnifique Steelbook un deuxième Blu-ray, contenant rien de moins que les quatre premiers films de David Cronenberg, restaurés en HD et VOST. Il s’agit de Transfer (1966, 7 minutes), From The Drain (1967, 13 minutes), Stereo (1969, 1h03) et Crimes of the Future (1970, 1h03). On vous prévient d’entrée de jeu qu’il s’agit de quatre films très particuliers et très axés Art et Essai. Si les deux courts ne présentent que peu d’intérêt, les deux longs-métrages en revanche sont très intéressants, notamment parce qu’ils préfigurent par certains aspects l’œuvre à venir du cinéaste, et notamment le film Scanners. En revanche, on est loin, très loin, du « Body Horror » qui deviendrait la marque de fabrique de Cronenberg quelques années plus tard. A découvrir néanmoins !

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