Un jeu brutal
France : 1983
Titre original : –
Réalisation : Jean-Claude Brisseau
Scénario : Jean-Claude Brisseau
Acteurs : Bruno Cremer, Emmanuelle Debever, María Luisa García
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h31
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie cinéma : 28 septembre 1983
Date de sortie DVD/BR : 4 septembre 2019
Près d’un grand ensemble, pendant l’été, une jeune fille est assassinée. Le professeur Tessier, biologiste connu pour ses recherches, abandonne celles-ci pour se retirer en province. Au chevet de sa mère, il se voit arracher la promesse de s’occuper de sa fille Isabelle, paralysée des membres inférieurs. Mais les retrouvailles entre le père et la fille sont rudes, Isabelle en voulant à la terre entière pour son infirmité…
Le film
[4,5/5]
Premier long-métrage de cinéma pour Jean-Claude Brisseau, Un jeu brutal est un film d’une très grande richesse, à la fois repoussant et fascinant, jouant des attentes du spectateur en les retournant par moments de façon complète et inattendue. S’il ne se limite pas seulement à cela, la thématique principale du film de Brisseau tourne autour d’une idée de « coming of age », et suit le passage à l’âge adulte de la jeune infirme incarnée à l’écran par Emmanuelle Debever, qui évoluera petit à petit d’un état « d’animal, de bête sauvage » – pour citer la description que fait d’elle le personnage de Bruno Cremer – à celui d’une jeune fille ouverte au monde et à l’univers. Éducation, initiation, héritage, place dans l’univers, interrogations autour de la vie et de la mort, découverte de la sexualité et acceptation de soi : ces questions existentielles apparaîtront les unes après les autres tout au long d’Un jeu brutal, qui développe une idée de l’éducation inconcevable de nos jours, imaginée par un Cremer impérial en père tyrannique, fascinant, tout simplement hypnotique pour le spectateur quand la caméra de Brisseau le suit dans ses virées meurtrières et mystiques.
Nimbé de mystère, de poésie et d’une indéniable beauté picturale, Un jeu brutal alterne donc les scènes d’éducation, toujours insidieusement liées au statut d’infirme de l’héroïne, et les troublantes scènes durant lesquelles Bruno Cremer assassine de jeunes enfants. En 1983, l’affaire Ranucci est encore dans toutes les mémoires (celle du petit Gregory ne traumatisera la France que l’année suivante), et devant la caméra de Brisseau, ce genre de faits divers aussi sordides que sanglants semblent intrinsèquement liés à l’essor de l’habitat urbain, des grandes tours et des grands ensembles qui défigurent les villes et qui s’opposent à la demeure familiale de Lodève, entourée par une nature majestueuse et apaisante. Les pulsions criminelles du personnage de Tessier / Cremer, le spectateur ne pourra les comprendre dans un premier temps, mais ces dernières seront explicitées de façon assez grandiloquente dans une dernière bobine faisant froid dans le dos et versant presque dans le fantastique pur et simple.
Récit d’apprentissage transcendé par un scénario brillant et une mise en images évoquant le mélange inattendu entre la poésie d’un Eric Rohmer et la crudité d’une Catherine Breillat, Un jeu brutal s’impose comme une œuvre brillante, cruelle, jamais manichéenne et réalisée de façon si sèche et spartiate qu’elle en devient finalement assez intemporelle.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Chef d’œuvre oublié du cinéma français, Un jeu brutal débarque aujourd’hui dans une version remasterisée en 2K sous les couleurs de Carlotta Films. L’éditeur nous propose d’ailleurs un Blu-ray à l’image extrêmement satisfaisante : le format 1.37 du film (« carré ») est respecté, de même que le grain d’origine, rendant justice à la belle photo signée Bernard Lutic et à ses cadres soignés, qui en font une sublime fable macabre et poétique. La définition ne pose pas de problème particulier, le piqué est précis et les couleurs naturelles ; en deux mots, c’est du tout bon, la restauration a vraiment porté ses fruits. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 1.0 au niveau un poil fluctuant, mais proposant un confort acoustique inédit.
Et dans la section suppléments, on trouvera un entretien avec Jean-Claude Brisseau qui, s’il n’est certes pas inédit (il était déjà disponible sur le DVD de 2006), s’avère tout à fait passionnant, tant ce dernier revient sur son parcours et sur sa conception de l’Art avec naturel et sans la moindre langue de bois.