Total recall
États-Unis : 1990
Titre original : –
Réalisation : Paul Verhoeven
Scénario : Ronald Shusett, Dan O’Bannon, Gary Goldman
Acteurs : Arnold Schwarzenegger, Rachel Ticotin, Sharon Stone
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h54
Genre : Science-fiction
Date de sortie cinéma : 17 octobre 1990
Date de sortie DVD/BR : 1 avril 2021
2048. Hanté par un cauchemar qui l’entraîne chaque nuit sur Mars, Doug Quaid s’adresse à un laboratoire, Recall, qui lui offre de matérialiser son rêve grâce à un puissant hallucinogène. Mais l’expérience dérape : la drogue réveille en lui le souvenir d’un séjour bien réel sur Mars, à l’époque où il était l’agent le plus redouté du cruel Coohagen. Quaid décide de repartir sur Mars…
Le film
[5/5]
Il fut un temps, désormais lointain, où les portes d’Hollywood étaient grandes ouvertes au trublion Paul Verhoeven. Pour notre immense plaisir, le réalisateur néerlandais en a profité un maximum, avant de chercher son bonheur artistique et subversif sur les plateaux de tournage de son continent d’origine. Mais au cours de ces dix années de grâce, essentiellement entre Robocop en 1987 et Starship Troopers en 1997, il a pu créer cinq divertissements hautement jouissifs.
L’épopée martienne Total Recall était le deuxième parmi eux, une adaptation magistralement triviale d’après une nouvelle de Philip K. Dick. Le réalisateur y a réussi le cocktail quasiment parfait entre le besoin viscéral de l’efficacité dont le cinéma américain raffole et un discours beaucoup moins lissé sur le monde dans lequel on vit d’ores et déjà.
Car trente ans après la sortie initiale de l’un des meilleurs films de Arnold Schwarzenegger, on s’approche progressivement de l’époque futuriste qu’il décrit avec un émerveillement à double tranchant. L’année 2048, nous n’y sommes pas encore, mais notre temps, où l’incertitude règne pour cause d’emprise épidémique, pourrait bel et bien ressembler davantage à ce monde de demain qu’à celui d’hier.
Ce qui ne signifie en rien que le neuvième long-métrage de Paul Verhoeven apparaît dépassé. Enfin, si quand même un peu, du côté des costumes de Erica Edell Phillips qui gardent un ancrage sensible dans la mode douteuse des années 1980, tandis que les effets spéciaux sont toujours d’une prouesse bluffante. Non, la qualité durable, voire peut-être intemporelle du film se situe dans son agencement prodigieux d’un délicat équilibre entre le spectacle et la réflexion.
Être quelqu’un, le rêve américain par excellence…
Paul Verhoeven a toujours été un maître dans l’art de la dissection sans merci des repères faussement rassurants de la société américaine. Ainsi, Total Recall commence avec un double mensonge. D’abord, celui du rêve qui voit l’excursion si romantique de Quaid sur Mars se terminer dans la tragédie. Puis, de façon diablement malicieuse, cette autre réalité encore plus traîtresse, celle du quotidien du protagoniste, choyé par son épouse caricaturalement parfaite – Sharon Stone qui a déjà dû y faire fantasmer bon nombre de spectateurs, deux ans avant Basic Instinct – et vivant dans une forme de quiétude aux pieds d’argile. Au plus tard quand on voit le paquet de muscles Schwarzenegger s’activer avec un marteau piqueur, on se doute que quelque chose doit clocher dans ce monde, où un simple ouvrier aurait de quoi se payer un appartement somme toute luxueux.
Comme c’est souvent le cas chez Paul Verhoeven, la mise en abîme s’avère plus vertigineuse qu’anticipé. Un à un, les éléments qui composaient l’idylle de la vie de Quaid se désagrègent. Son collègue n’est que le premier de ses proches à tenter de le tuer. Jusqu’à la fin du film, il n’aura plus un moment de répit, traqué sans cesse par les sbires d’un pouvoir suprême qu’on n’aura aucun mal à associer aux multinationales contemporaines. Et, cerise sur le gâteau, le récit ne lésine point sur les revirements abracadabrants. Il se trouve toujours à deux doigts de l’impossibilité absurde, mais œuvre en même temps méthodiquement à la mise en question de l’identité.
… à moins que ce ne soit un cauchemar
Une fois que le héros constamment malmené – on n’a pas osé les compter, mais ce film contient sans doute le nombre le plus élevé d’attaques physiques contre l’entre-jambe de Schwarzenegger dans toute la filmographie de l’acteur, symbole majeur de l’excès de testostérone – aura accompli sa mission qui équivaut, à peu de choses près, au sauvetage de l’humanité, il n’est pas pour autant prêt à faire définitivement la différence entre le rêve et la réalité. Il pense savoir dès lors qui sont les bons et qui les méchants. Ces derniers se distinguent d’ailleurs par leur côté profondément machiavélique, sous les traits de Michael Ironside et de Ronny Cox. Sauf que la notion du mal est beaucoup plus diffuse ici. Elle va jusqu’à pénétrer subtilement la structure psychologique de l’intrigue.
Ce qui nous ramène à la marque de fabrique du cinéma de Paul Verhoeven : une trivialité assumée sans le moindre complexe. En alternant à un rythme élevé entre la violence passablement gore et les répliques sous forme de boutade, le réalisateur assure un divertissement de haut vol. Un divertissement foncièrement populaire, soyons bien clairs là-dessus. Mais en faisant appel aux références du film de genre dans ce qu’il a de plus instinctif, le tout sur fond de thèmes musicaux martiaux signés Jerry Goldsmith, Verhoeven entreprend son propre grand détournement des codes et des poncifs.
Alors oui, certains rares aspects du film ne fonctionnent plus de nos jours, soumis à des grilles de lecture plus strictes, comme le personnage péniblement caricatural de Benny, le chauffeur de taxi. Et en dehors de ramener Quaid à intervalles réguliers à la réalité avec ses baisers, le rôle interprété avec un capital de séduction irrésistible par Rachel Ticotin ne sert pas à grand-chose et certainement pas à valoriser l’apport féminin aux contes futuristes. Dans l’ensemble, toutefois, cette version-ci de Total Recall continue à nous enthousiasmer ! Contrairement au remake de 2012, Total Recall – Mémoires programmées de Len Wiseman, précisément le type de film pop-corn immédiatement oubliable dont celui-ci est la sublimation hors pair.
Rares sont les cinéastes capables de détourner les gros moyens mis à leur disposition par les studios hollywoodiens afin de tourner des films en parfait désaccord avec le consensus moral en vigueur aux États-Unis. Paul Verhoeven fait encore plus figure d’exception, puisqu’il a remporté cet exploit aussi épineux que périlleux à au moins cinq reprises. Total Recall fait indubitablement partie de cette période de bénédiction cinématographique, grâce à sa dualité imperturbable et à son incroyable agilité narrative. Il s’agit d’un film qui joue simultanément et en toute virtuosité sur le tableau du spectacle tonitruant d’un côté et sur celui d’une science-fiction lucide de l’autre.
Critique de notre rédacteur Tobias Dunschen. Retrouvez-en l’intégralité en cliquant sur ce lien.
Le Blu-ray
[4/5]
Après avoir fait l’objet de deux éditions Blu-ray, en 2010 et en 2013, puis fin 2020 d’un Combo Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray déjà épuisé, Total Recall re-débarque le 1er avril 2021 au format Haute-Définition, toujours chez StudioCanal. Il s’agit d’une réédition en Blu-ray « simple » reprenant le master restauré 4K déjà exploité dans le Combo sorti l’année dernière.
Et dès les premiers plans, on constatera que le boulot de restauration 4K effectué sur le film de Paul Verhoeven a été fait avec grand soin : le bond qualitatif par rapport au Blu-ray de 2013 est vraiment saisissant. Le grain d’origine a été préservé, le piqué est d’une belle précision, et les couleurs bien saturées du film sont respectées à la lettre. En deux mots comme en cent, on est en présence d’un magnifique Blu-ray. Côté son, c’est la classe également : VF et VO sont disponibles dans des mixages DTS-HD Master Audio 5.1 respectant parfaitement le dynamique rendu d’origine, les dialogues sont retranscrits de façon parfaitement claire, et la formidable musique de Jerry Goldsmith retrouve une nouvelle jeunesse.
Au rayon des bonus, StudioCanal nous propose tout d’abord de nous plonger dans un commentaire audio d’Arnold Schwarzenegger et Paul Verhoeven (VOST, enregistré en 2003). L’ensemble est relativement bien mené par les deux compères, amusant et souvent très instructif. On poursuivra ensuite avec un passionnant sujet consacré à la musique de Jerry Goldsmith (« Open your mind », 21 minutes), qui s’accompagnera d’un autre documentaire dédié au développement du film (« Dreamers within the Dream », 8 minutes) et qui nous donnera à voir de sublimes croquis de production et concepts visuels dédiés à l’univers développé par le film (décors, personnages, etc).