Time and Tide
Hong Kong : 2000
Titre original : Seunlau ngaklau
Réalisation : Tsui Hark
Scénario : Tsui Hark, Hui Koan
Acteurs : Nicholas Tse, Cathy Chui, Wu Bai
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h53
Genre : Action, Thriller
Date de sortie cinéma : 12 décembre 2001
Date de sortie DVD/BR : 6 mars 2019
A Hong Kong, la brève rencontre entre Tyler, un jeune homme habitué aux dangers de la rue, et Jo, une femme policier infiltrée, ne sera pas sans conséquence : celle-ci tombe enceinte. Afin de gagner de l’argent rapidement, Tyler devient garde du corps. Au service de Hong, le chef d’une puissante triade, il s’associe avec Jack, un ancien mercenaire décidé à entamer une nouvelle vie avec Hui, la fille de Hong, qu’il vient d’épouser et qui attend un enfant de lui. Ensemble, Tyler et Jack parviennent à déjouer une tentative d’assassinat dirigée contre leur employeur, mais leur collaboration va être de courte durée. De complots en guets-apens, d’intérêts opposés en trahisons, ils vont se retrouver opposés et entraînés vers une confrontation mortelle…
Le film
[4,5/5]
S’il n’a certes enregistré qu’un peu plus de 117.000 entrées lors de sa sortie en France en 2001, Time and Tide a toujours bénéficié d’une excellente réputation dans l’hexagone. Porté aux nues par les critiques des Cahiers du Cinéma, des Inrocks, de Télérama ou du Monde, le film de Tsui Hark se posait en représentant incontournable d’un cinéma d’action « intellectuellement correct », fréquentable, à l’inverse des expériences américaines menées par le cinéaste quelques années plus tôt, et mettant en scène Jean-Claude Van Damme. D’un côté, on avait donc les deux films tournés avec Van Damme, Double team et Piège à Hong Kong – considérés comme vils, beaufs et putassiers. De l’autre Time and Tide, ou la classe absolue d’un cinéaste en état de grâce, tornade ébouriffante et déconstruite renvoyant autant à Godard qu’à Alain Resnais. Mouais. Avec une vingtaine d’années de recul, on aurait tendance à penser que la vérité se trouve entre les deux. Si l’on a peut-être un peu vite crié au chef d’œuvre à l’époque de sa sortie, Time and Tide demeure encore aujourd’hui un sacré morceau de péloche ; de leur côté, les deux films de Tsui Hark avec Van Damme restent également d’excellents divertissements, poussant peut-être même le bouchon encore plus loin que Time and Tide en ce qui concerne les expérimentations formelles.
En fait, ce que l’on peut affirmer aujourd’hui avec certitude, c’est que Time and Tide était au bon endroit au bon moment : le film de Tsui Hark a en effet bénéficié en 2001 de l’engouement extatique de la critique et du public autour du cinéma hongkongais, que l’on découvrait largement depuis quelques années à l’époque grâce à l’explosion du marché du DVD en France. D’autres éléments rentraient également en ligne de compte : non seulement Time and Tide était signé Tsui Hark, chef de file de la nouvelle vague de cinéastes d’action en provenance de Hong Kong, mais le film signait son retour sur l’île après deux films américains : autant dire que le long-métrage prenait des allures de véritable « retour aux sources », même s’il n’avait été absent que quelques années. C’était également le premier film de Tsui Hark réalisé sur son île depuis la rétrocession de Hong Kong à la Chine en 1997. Tout cela au final créait une émulation certaine autour du film, à qui l’on a prêté toutes sortes de significations cachées.
En revanche, parmi les fans de longue date du cinéaste, tout autant que parmi les amoureux du film d’action made in Hong Kong des années 80/90, Time and Tide n’a pas toujours forcément fait l’unanimité. Prétentieux, confus, incompréhensible, le film ne trouvait souvent grâce aux yeux des amateurs que durant sa deuxième heure, conçue comme une espèce de chasse à l’homme mettant en scène trois camps bien distincts, et permettant au cinéaste de se « lâcher » totalement en termes de mise en scène, même si certains effets visuels développés par Hark ont un côté indéniablement « cheap » – et ce n’est pas qu’ils ont pris un « coup de vieux » en l’espace de vingt ans : ils étaient déjà affreusement cheap à l’époque de la sortie du film. Néanmoins, et malgré ces quelques réserves, tout le monde s’accorde sur le fait que le cinéaste nous livre durant la deuxième partie de Time and Tide un spectacle littéralement hors du commun, festival de créativité foutraque et d’idées de mise en scène absolument folles.
Le scénario en revanche ne fait pas dans la clarté absolue : la narration est confuse, voire même brouillonne par moments, et le tout est alourdi par moments par une volonté de Tsui Hark de casser les codes du film d’action : on pense notamment aux premières séquences du film, dont il assure lui-même la voix off, et qui jouent la carte de la mise en abîme, puisqu’il y évoque Dieu et la création de l’univers – il signifie clairement et d’entrée de jeu au spectateur que les personnages ne seront que des pions dont il dispose à loisir ; dans les minutes qui suivent, il introduira le premier couple de personnages par le biais d’une stylisation outrée, évoquant volontairement le cinéma de Wong Kar Wai (surtout Les anges déchus et Chungking Express), pour ensuite revenir à un style plus conventionnel. Au rayon des clins d’yeux à ses pairs, on ne peut pas louper non plus la référence explicite à son compatriote et ami John Woo, avec un « mexican standoff » se terminant de façon prématurée et radicale, comme pour gentiment se gausser du style ouvertement lyrique et sentencieux de son camarade. Durant la première heure de métrage, l’ordre des séquences est désordonné, donnant au film un côté très difficilement compréhensible. Néanmoins, on admettra sans peine que la mise en place des personnages et du récit, si alambiquée soit-elle, ne joue finalement qu’un rôle purement fonctionnel, visant à introduire une deuxième partie s’imposant comme un enchaînement quasi-ininterrompu de scènes d’action inventives, se permettant même le recours à un certain romantisme.
Si le fait de revoir le film en 2019, soit 17 ans après la sortie du DVD – une éternité – tendra forcément à le réévaluer dans un sens ou dans l’autre, Time and Tide mérite toujours autant d’être vu et revu. Au même titre que les deux films américains de Tsui Hark, encore trop mal aimés malgré leurs immenses qualités. Et au même titre que tout le reste de sa filmographie d’ailleurs…
Le coffret Blu-ray
[5/5]
Huitième film à paraître chez Carlotta Films dans la collection « Édition Prestige limitée » (après des films tels que Cinq et la peau, Comme un chien enragé ou encore The last movie), le petit chef d’œuvre de Tsui Hark Time and Tide s’offre vraiment un coffret de grande classe. Il s’agit en effet d’une édition limitée à 3000 exemplaires qui s’imposera d’entrée de jeu comme un « bel objet », contenant non seulement le Blu-ray et le DVD du film mais également tout un tas de « goodies » réunis pour l’occasion : le fac-similé du dossier de presse d’époque, un livret exclusif de 28 pages contenant un fac-similé du dossier dédié à Tsui Hark dans Le cinéphage n°13 ainsi qu’un essai inédit rédigé par Arnaud Lanuque intitulé « La renaissance par le chaos », l’affiche du film en 40 par 60 et enfin, 16 reproductions de photos d’exploitation. On a donc entre les mains un véritable et bel objet de collection, auquel l’éditeur rajoutera, bien sûr, quelques suppléments sur le Blu-ray du film.
On tire donc notre chapeau à Carlotta, qui affiche ici sa volonté farouche d’en proposer toujours plus au consommateur. Depuis quelques années, on notera que les frenchies tendent à rivaliser avec des labels prestigieux tels que Criterion aux Etats-Unis : cette émulation – doublée probablement d’une certaine forme de rivalité – entre différents éditeurs français spécialisés dans les éditions de luxe (tels que Wild Side ou Le chat qui fume) joue finalement en faveur du consommateur, et permet aux différents labels de se créer une identité forte, immédiatement reconnaissable, qui s’est vite transformée en véritable gage de qualité.
Du côté du Blu-ray proprement dit, l’image Haute Définition de Time and Tide est d’une parfaite propreté : le bond qualitatif par rapport à l’édition DVD de 2002 est vraiment saisissant. Le grain d’origine a été préservé, le piqué est d’une belle précision, et la photo du film est respectée à la lettre, qu’il s’agisse des couleurs ou des contrastes. Si l’on oublie de très occasionnels scintillements et fourmillements visibles dans quelques plans épars, la qualité de la restauration s’impose tout naturellement d’elle-même. Côté son, VF et VO sont proposées en DTS-HD Master Audio 5.1, toutes deux pleines d’ampleur et faisant honneur à la musique du film : la sensation d’immersion au cœur de l’action est optimale. Tout juste pourra-t-on tiquer en écoutant le doublage français du film qui, s’il bénéficie d’une excellente qualité technique, souffre du manque de naturel des dialogues.
Au rayon des bonus, Carlotta a mis les petits plats dans les grands, et nous offre une édition très complète du film de Tsui Hark. Outre les multiples goodies qui remplissent le coffret, on aura donc également droit à un commentaire audio de Tsui Hark (VOST), qui sera habilement complété par trois intéressants entretiens revenant sur le film. On commencera avec une présentation du film par Karim Debbache, créateur de la web-série Chroma. Pour les cinéphiles d’un certain âge (disons entre 40 et 50 ans), on admettra tout de même que le fait d’écouter Debbache, cinéphile 2.0, a tout de même quelque chose de troublant, dans le sens où il explique en préambule à sa présentation du film avoir découvert le cinéma de Tsui Hark par le biais du coffret DVD « La trilogie du chaos », édité par HK Vidéo en 2004. D’un coup, le temps nous rattrape, et nous donne l’impression d’être un véritable « dinosaure » : ceux pour qui la découverte des films de Tsui Hark est passée par le support VHS (on se souvient par exemple de L’enfer des armes, sorti en vidéo dans les années 80 chez Scherzo) ou Laserdisc (en étant obligés la plupart du temps à l’époque de passer par la case « import » ou carrément de se taper un voyage à Londres juste pour se ramener quelques cassettes vidéo de films asiatiques) me comprendront sûrement. Néanmoins, on ne pourra nier que Karim Debbache est passionné par son sujet, et évoque avec une relative aisance les qualités de Time and Tide. On continuera ensuite avec un entretien avec Julien Carbon et Laurent Courtiaud, scénaristes / réalisateurs français ayant eu l’insigne honneur de travailler avec Tsui Hark, en signant notamment le scénario de Black mask 2. Ils évoquent ici toute la signification du retour de Tsui Hark à Hong Kong, et la façon dont il s’amuse de son surnom du « Tout-puissant » dans les premières minutes du film. Ils aborderont ensuite de façon très intéressante son style et ses méthodes de travail. Enfin, juste avant de clore cette section interactivité sur la traditionnelle bande-annonce (non restaurée), on se plongera dans une captivante et très documentée présentation du film par Charles Tesson, spécialiste du cinéma asiatique, maître de conférence en Histoire et Esthétique et, accessoirement délégué général de la Semaine de la Critique à Cannes. En voilà donc un autre, de dinosaure, qui connaît parfaitement la carrière de Tsui Hark depuis ses débuts dans les années 80. De fait, il est parfaitement à même de replacer Time and Tide dans son contexte historique de tournage, trois ans après la rétrocession de Hong Kong à la Chine, ce qui lui confère une position de film « charnière », jalon entre deux époques du cinéma made in HK. Passionnant !