Test Blu-ray : San Babila, un crime inutile

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San Babila, un crime inutile

Italie : 1976
Titre original : San Babila ore 20 – Un delitto inutile
Réalisation : Carlo Lizzani
Scénario : Mino Giarda, Carlo Lizzani, Ugo Pirro
Acteurs : Daniele Asti, Brigitte Skay, Giuliano Cesareo
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h41
Genre : Thriller
Date de sortie DVD/BR : 27 avril 2018

 

 

1975 : les années de plombs. Milan, place San Babila. Un groupe de jeunes néo-fascistes, dont font partie Michele, Franco, Fabrizio et Alfredo, fait régner sa loi, importunant les passants, s’empoignant avec les gauchistes de passage, draguant les filles. Lors d’une journée classique, ce petit groupe d’amis va provoquer une série de drames croissant dans la violence, jusqu’au crime inutile…

 

 

Le film

[4/5]

Sorti en 1976 en Italie (et possiblement distribué sur une partie du territoire français dans la première moitié des années 80 sous le titre Tuer pour tuer), San Babila : Un crime inutile est un film pour le moins singulier, qui dut poser quelques problèmes de conscience à ses producteurs lors de sa sortie dans les salles de cinéma. Ne sachant probablement pas trop comment « vendre » le film de Carlo Lizzani, les producteurs ou les distributeurs ont choisi d’opter pour une affiche bien agressive. Etant donné que le casting du film était quasi-uniquement composé d’inconnus du grand public, cette dernière nous montrait deux pognes serrées sur des flingues (à priori des Walther P38), ceux-ci étant pointés en direction de silhouettes aux formes suggestivement féminines, présentant la particularité de proposer des cibles placées sur les zones les plus sensibles de leur anatomie (poitrine, région pelvienne). Cette affiche, subtil mélange de violence et de provocation, nous ramène directement aux grandes heures du « poliziottesco » ou néo-polar italien, genre très populaire durant la décennie 70. Ce grandiose sous-genre du bis mettait le plus souvent en scène des faits divers sordides dans l’Italie des « années de plomb », et était peuplé de personnages borderline, anti-héros anarchistes et/ou inadaptés.

Mais paradoxalement, San Babila : Un crime inutile n’appartient pas réellement à ce genre de film, dominé par l’action et la violence, et popularisé par des acteurs tels que le regretté Tomás Milián, Luc Merenda, Franco Nero ou Maurizio Merli. Faut-il pour autant crier au scandale ? Ma… No ! Ma quale idea ! Parce qu’à sa manière, le film de Lizzani évoque également la violence latente qui semblait pourrir de l’intérieur la société italienne durant les années de plomb. Tiré d’un fait divers bien réel survenu sur la place San Babila à Milan, San Babila : Un crime inutile s’impose presque naturellement comme une espèce de chainon manquant entre la tradition du néoréalisme des années 40/50 et celle du poliziottesco. Ne serait-ce qu’en lisant le générique du film et en découvrant les deux coscénaristes du film aux côtés de Carlo Lizzani, la nature un peu « batarde » du film se fait immédiatement sentir : on trouve donc les noms de Mino Giarda, chantre du cinéma populaire tendance bis (c’est lui qui se cache derrière le script du formidable Superargo contre Diabolikus) et d’Ugo Pirro, qui s’est quant à lui bien d’avantage fait remarquer au générique de films politiques très engagés (Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, La classe ouvrière va au paradis…). Si les styles des deux scénaristes paraissent à priori incompatibles, ils contribuent au contraire à donner à San Babila : Un crime inutile un cachet réellement unique.

 

 

Ce cachet, c’est celui d’un film contestataire, engagé, qui cache derrière des atours pseudo-documentaires et son attachement tout particulier à refuser toute notion de « spectacle » un discours très sévère à l’encontre des auteurs de ce crime bien réel. Ne serait-ce que dans le choix du titre du film (un délit « inutile »), les auteurs du long-métrage condamnent sans appel cette forme de violence décadente, abjecte, se plaçant au-delà de toute forme d’appartenance politique et ne relevant que de la bestialité pure et simple. San Babila : Un crime inutile est donc l’occasion pour Lizzani, Giarda et Pirro de dénoncer vertement cette jeunesse désœuvrée, paumée et idéologiquement à la masse, n’ayant choisi de s’engager dans le fascisme en réaction par rapport à leur modèle parental qui a perdu à leurs yeux toute notion d’autorité, et avec qui ils entretiennent volontiers des rapports de force bien éloignés de toute idée de lutte des classes ou d’idéologie, et tenant plus du « caprice d’enfant gâté ». Mais le film démontre aussi que cet engagement, au-delà de toute idée politique, permet surtout à ces jeunes en manque de repères clairs (ils ont vécu durant leur enfance les grands chamboulements idéologiques liés à mai 68, à la libération des mœurs et à l’affirmation du féminisme) de se « rassurer » en reprenant par la force une position de supériorité et de domination par rapport à la figure de la « Femme » (avec un grand F).

Tourné caméra à l’épaule, avec une volonté de saisir les événements sur le vif dans toute leur crudité, porté par une séquence d’agression filmée avec sécheresse mais sans complaisance par un Carlo Lizzani soucieux de ne pas en faire trop (ce qui aurait pour conséquence d’amoindrir la portée de son message), San Babila : Un crime inutile s’impose, quarante ans après sa réalisation, comme un très intéressant cliché des préoccupations politiques et sociales de son époque ; malheureusement, le film s’avère encore trop largement oublié de nos jours. On espère que sa mise en lumière par l’équipe du Chat qui fume lui permettra de retrouver la place qu’il mérite dans l’histoire du cinéma italien !

 

 

Le Blu-ray

[4/5]

Comme d’habitude avec Le chat qui fume, San Babila : Un crime inutile débarque dans une édition soignée, qui en impose d’entrée de jeu grâce à sa présentation très classe, dans un beau digipack trois volets agrémenté d’un sur-étui cartonné ; on notera qu’il est légèrement moins épais que les titres habituellement proposés par l’éditeur, mais que le design général est tout aussi élégant qu’à l’accoutumée. Le tirage de cette édition est limité à 1000 exemplaires.

 

 

Côté master Haute Définition, San Babila : Un crime inutile bénéficie d’une impressionnante cure de jouvence. Le grain argentique est préservé, ce qui n’empêche pas la définition et le piqué de se montrer d’une belle précision. Les couleurs sont naturelles, et les contrastes se montrent nets et francs. Le film est présenté au format 1.85 respecté, en 1080p : Un très beau transfert. Côté son, VF et VO italienne sont proposées dans des mixages DTS-HD Master Audio 2.0 et mono d’origine. Le doublage français est livré dans son « jus », et ravira à coup sûr les amateurs de version françaises surannées ; on pourra également noter que ce doublage volontiers ordurier et excessif (voire même carrément outrancier) renforce encore un peu l’idée selon laquelle le film fut, en son temps, vendu à la façon d’un poliziottesco des familles. Les voix sont relativement équilibrées, pas de sensation de voix étouffées ni de souffle n’est à déplorer ; le film n’ayant jamais été exploité en France dans sa version intégrale, le film passera automatiquement à l’italien sur les scènes qui furent écartées du montage destiné à l’hexagone.

Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord un court entretien avec Carlo Lizzani (5 minutes environ), au cœur duquel il revient sans fausse modestie sur l’ensemble sa carrière. Ses propos sont très synthétiques mais très intéressants, surtout si l’on considère que l’on connaît très peu sa filmographie de notre côté du mont Dolent ; la passion que le cinéaste est communicative, et le spectateur aura à coup sûr envie de découvrir ses autres films. On poursuivra ensuite avec un long entretien avec Gilberto Squizzato (plus d’une heure!), assistant-réalisateur de Lizzani, qui reviendra dans le détail sur le contexte du tournage et leur collaboration sur San Babila : Un crime inutile. Assurément, il respectait énormément le cinéaste et abordera de nombreux points de détails qui, mis bout à bout, soulignent l’extrême cohérence du film et le système de pensée très rigoureux du réalisateur.

On terminera avec les traditionnelles bandes-annonces, pour des films disponibles ou à venir chez Le chat qui fume. Cette curiosité est bien sûr disponible sur le site de l’éditeur !

 

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