Messiah of Evil
États-Unis : 1974
Titre original : –
Réalisation : Willard Huyck, Gloria Katz
Scénario : Willard Huyck, Gloria Katz
Acteurs : Marianna Hill, Michael Greer, Anitra Ford
Éditeur : Le Chat qui fume
Genre : Horreur
Durée : 1h30
Date de sortie cinéma : 13 juin 1979
Date de sortie DVD : 30 juin 2024
Arletty, jeune Californienne, se rend dans la petite bourgade de Point Dune, au bord de l’océan Pacifique, après avoir reçu une lettre (aux propos étranges) de son père, Joseph Long, qu’elle n’a pas revu depuis longtemps. Lorsqu’elle arrive dans sa demeure, Arletty trouve la maison déserte. Elle s’y installe, puis part à la recherche de son père. Elle constate alors que la ville est en proie à des phénomènes bizarres, et fait la connaissance de Thom, accompagné de ses maîtresses, Laura et Toni. Peu après, en fouillant la maison, Arletty trouve le journal intime de son père. Ce qu’il y raconte est effrayant…
Le film
[5/5]
Outre ses qualités cinématographiques à proprement parler, la première particularité qui attirera l’œil du cinéphile contemporain à la découverte de Messiah of Evil, c’est le nom du couple de scénaristes / réalisateurs à la barre. En effet, Willard Huyck et Gloria Katz sont surtout connus aujourd’hui pour avoir écrit le scénario d’Indiana Jones et le Temple maudit, qui, il faut bien l’admettre, s’avère le meilleur film de la saga Indiana Jones, et peut-être bien aussi le meilleur film de Steven Spielberg. Leur nom est également attaché au scénario d’American Graffiti, et il s’avère également qu’ils ont écrit et réalisé, toujours dans le giron de George Lucas, le très étonnant Howard, une nouvelle race de héros en 1986, première adaptation au cinéma des aventures du super-héros Marvel Howard le Canard.
Alors voilà, tout cela leur fait un très beau CV, mais on imagine mal comment Willard Huyck et Gloria Katz ont pu entamer leur carrière avec un film d’horreur. Et pourtant, quel putain de film ! Sorti dans les salles françaises en 1979, sous le titre Le Messie du mal, le film développe rapidement une ambiance très étonnante pour l’époque, enchaînant les séquences bizarres et envisageant sa narration selon une (il)logique de rêve éveillé, ou plutôt de cauchemar, dans le sens où le film cultive au forceps une certaine idée d’Unheimliche Freudien, cette inquiétante étrangeté venant du fait que dès les premières minutes de Messiah of Evil, le spectateur sera emmené au cœur d’un univers à la fois familier et étrange, où la rationalité n’a pas sa place.
Dès les premières minutes du film, le spectateur est confronté à un homme – qui se trouve être le réalisateur Walter Hill – en train de courir pour, on le suppose, échapper à un danger imminent. Essoufflé, il débarque dans le jardin d’une villa, et se retrouve nez à nez avec une jeune femme au visage innocent, qui s’approche de lui de manière apaisée et apaisante – symbole de chaleur maternelle et/ou de repos du guerrier. Et alors que le spectateur se dit que l’homme est sauvé, la jeune femme sort une lame et lui tranche la gorge. Toute la suite de Messiah of Evil sera à l’avenant, secouant volontiers le spectateur, ne lui laissant aucun répit, tout en faisant naître chez lui un sentiment profond d’insécurité, un poids sur la poitrine qui ne le quittera quasiment jamais, de la première à la dernière image du film.
Il est difficile de mettre des mots sur les sentiments que fait naître la mise en scène de Willard Huyck et Gloria Katz chez le spectateur. En avance sur son temps, Messiah of Evil annonce un peu l’ambiance à couper au couteau développée par Dario Argento sur son chef d’œuvre Suspiria en 1977. Pour parler clairement, c’est flippant, et on ressent presque physiquement cette impression diffuse de terreur, mais on ne parvient pas réellement à s’expliquer pourquoi, si ce n’est peut-être à travers le fait que rien ne semble vraiment normal à Point Dume, la petite ville côtière où se déroule l’intrigue, et qui évoque un peu, à sa manière, « Le Cauchemar d’Innsmouth » de H.P. Lovecraft.
Porté par la voix off obsédante de l’héroïne, Arletty (Marianna Hill), Messiah of Evil crée un certain nombre de scènes vraiment bizarres tout au long de sa flottante narration. Il y a cette scène au tout début, durant laquelle l’héroïne s’arrête dans une station-service, et où le pompiste découvre une collection de cadavres à l’arrière du pick-up d’un étrange albinos (Bennie Robertson). On reverra ce personnage un peu plus tard dans le film, quand il prendra en stop la jeune Laura (Anitra Ford), et la terrifiera en croquant dans un rat, alors que d’étranges silhouettes silencieuses sont assises à l’arrière de son véhicule. Et bien sûr, il y a cette scène au cinéma, durant laquelle Toni (Joy Bang) s’assoit pour regarder le film et durant laquelle, peu à peu, d’’étranges personnes viennent s’asseoir autour d’elle, elle étant éclairée normalement / eux dans un halo bleuté, avant qu’ils ne se rapprochent d’elle, les yeux injectés de sang, et que ce qui devait arriver arrive.
On l’a dit et on le répète : le gros point fort de Messiah of Evil, c’est l’atmosphère cauchemardesque que parviennent à créer Willard Huyck et Gloria Katz : le récit n’est pas rationnel, les choses qui se produisent au fil des pérégrinations – essentiellement nocturnes – d’Arletty et sa clique n’ont pas de sens et ne sont pas expliquées. On ne sait pas vraiment si ces silhouettes cannibales sont des morts-vivants ou des espèces de vampires, on ignore la façon dont ils sont revenus à la vie, et on n’a aucune idée de qui est censé être le Messie du mal évoqué par le titre du film. Pour une raison ou une autre, les gens entrent dans des maisons / des bâtiments, sans que l’on sache réellement comment ils y sont entrés, et pourquoi les portes sont toutes verrouillées quand ils veulent en sortir. Un certain mystère entoure le personnage de Thom (Michael Greer) ; ses compagnes sous-entendent qu’il est venu à Point Dume pour une raison précise, mais rien dans cette volonté d’aller vers l’occulte n’est jamais réellement expliquée.
De fait, à travers cette narration onirique, Messiah of Evil se rapproche d’une petite poignée de films tournés à la même époque (à la louche), tels que Le Carnaval des âmes (Herk Harvey, 1962), Let’s Scare Jessica to Death (John D. Hancock, 1971), Le Mort-vivant (Bob Clark, 1974) ou encore Phantasm (Don Coscarelli, 1979), qui adoptent tous cette narration onirique. Mais que cela soit bien clair entre nous : bien qu’il ressemble, par certains aspects, aux films que l’on vient de citer, mais en même temps, il ne leur ressemble pas du tout. Un film absolument unique et indispensable.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Messiah of Evil était sorti au format DVD chez Artus Films en 2010, et 14 ans plus tard, il nous fait sa crise d’ado, réclamant un ravalement de façade intégral. L’upgrade technique s’est fait il y a quelques mois sous les couleurs du Chat qui fume : on est heureux de voir débarquer ce film majeur en Haute-Définition. Une fois n’est pas coutume, le film ne s’offre pas cette fois de Digipack, mais un boîtier transparent de type Scanavo surmonté d’un étui, ce qui permet au talent du graphiste de l’éditeur, Frédéric Domont, de s’exprimer de deux manières différentes (intérieur / extérieur).
Côté Blu-ray, l’éditeur nous propose un master un peu rugueux – à l’image du film – mais exempt de tout problème technique. Des griffes et/ou des taches pourront être repérées ici ou là, mais dans l’ensemble, cette version HD de Messiah of Evil nous offre une très belle image, modeste mais authentique, le grain d’origine semblant avoir été parfaitement respecté. Le piqué est satisfaisant, et les couleurs typiques de la patine 70’s du film. Certains plans pourront paraître légèrement moins bien définis que d’autres, mais on peut supposer que ce petit manque d’homogénéité est imputable non seulement à l’âge du film, mais aussi et surtout à son mode de production très modeste. Côté son, le film est proposé en VO et DTS-HD Master Audio 2.0. Tout comme dans le cas de l’image, cette version sonore ne pose aucun problème particulier, même si elle comporte quelques imperfections liées à l’âge du film et aux conditions de production. L’ensemble est néanmoins remarquablement propre et toujours parfaitement compréhensible, avec des effets efficaces et une musique habilement retranscrite.
Du côté des suppléments, on commencera tout d’abord par un entretien avec le co-scénariste et réalisateur Willard Huyck (38 minutes), ayant la particularité d’être un entretien audio sur fond noir. Le cinéaste y évoquera sa formation cinématographique, sa relation avec Gloria Katz (tant personnelle que professionnelle), la réalisation de Messiah of Evil alors qu’ils faisaient une pause dans l’écriture d’American Graffiti, les difficultés liées au fait d’écrire le scénario pendant le tournage, les acteurs, les séquences non tournées, l’influence de Lovecraft… Il abordera également le reste de sa carrière : le travail de « script doctor » sur le scénario de Star Wars, la réalisation de Howard the Duck, et ce qu’il fait depuis le décès de son épouse. On continuera ensuite avec un documentaire sur Messiah of Evil (57 minutes), au cœur duquel un remarquable panel d’experts américains du cinéma de genre reviendront dans le détail sur de nombreux aspects du film (utilisation du genre, thématiques…), tout en le replaçant dans le contexte du cinéma indépendant américain des années 70 et des mouvements hippies / underground. Enfin, on terminera avec un essai visuel sur le Gothique américain et l’hystérie féminine (22 minutes), réalisé par Kat Ellinger, rédactrice en chef du magazine américain Diabolique, ayant par ailleurs récemment réalisé un long-métrage consacré à Jean Rollin. Dans ce sujet, elle abordera une poignée d’œuvres centrées sur la femme signées Charles Brockden Brown, Charlotte Perkins Gilman et Stephen King, avant d’examiner la façon dont Messiah of Evil reflète ces influences dans un contexte contemporain. Elle évoquera également d’autres films de la même époque, tels que Let’s Scare Jessica to Death (John D. Hancock, 1971) et Images (Robert Altman, 1972). Pour vous procurer cette édition Blu-ray indispensable, rendez-vous sur le site du Chat qui fume !