Litan – La cité des spectres verts
France : 1982
Réalisation : Jean-Pierre Mocky
Scénario : Jean-Claude Romer, Jean-Pierre Mocky, Patrick Granier, Scott Baker, Suzy Baker
Acteurs : Marie-José Nat, Jean-Pierre Mocky, Nino Ferrer
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h27
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 24 février 1982
Date de sortie DVD/BR : 2 mars 2022
Un jeune couple est de passage dans la ville de Litan. Bientôt les morts mystérieuses s’accumulent autour d’eux…
Le film
[3,5/5]
Un peu plus de dix ans après La Cité de l’indicible peur, Jean-Pierre Mocky s’était permis, en 1982, une seconde incartade dans le domaine du cinéma fantastique avec Litan – La Cité des spectres verts, qui obtint le « Grand Prix de la critique » au Festival international du film fantastique d’Avoriaz 1982, dont le jury était présidé par Jeanne Moreau. John Boorman et Brian De Palma, également membres du jury, détestaient Litan – La Cité des spectres verts, qu’ils trouvaient profondément ridicule. Leur attitude dédaigneuse aurait été fustigée par Georges Lautner, un « mec bien ».
D’après Jean-Pierre Mocky, qui n’a pas son pareil pour enjoliver les petites histoires, le mépris développé par John Boorman et Brian De Palma vis-à-vis de son film était en fait à mettre sur le compte d’une certaine jalousie par rapport à sa liberté de cinéaste. En 2003, au micro de Radio Libertaire, il déclarait en effet : « Eux, ils travaillaient dans quelque chose de classique, et Litan – La Cité des spectres verts n’était pas classique, parce qu’il venait de l’Est. C’était le choc entre l’Est et l’Ouest. Ils ont regardé mon film avec une haine… Comme s’ils regrettaient de ne pas faire ça. Ils ne pouvaient pas sacrifier à des lois du genre que je n’ai pas respectées. (…) Ils ont peut-être beaucoup plus de possibilités, mais ils les canalisent pour pouvoir être dans le show-business. Ils se contrôlent terriblement… Donc ils ne peuvent pas avoir la même inspiration que moi. »
A la découverte de Litan – La Cité des spectres verts, la réalité semble beaucoup plus simple, et tient davantage à des conceptions de l’Art cinématographique radicalement opposées : à l’Art millimétré des deux cinéastes américains, qui développent tous deux une remarquable maestria technique, s’oppose ici une vision du fantastique beaucoup plus relâchée, libre, que certains pourraient qualifier de je-m’en-foutiste, voire même d’approximative.
Le scénario de Litan – La Cité des spectres verts est le fruit d’une étroite collaboration entre Jean-Pierre Mocky, Jean-Claude Romer, rédacteur en chef de la revue Midi Minuit Fantastique et Scott Baker, écrivain américain de science-fiction (« L’idiot-roi »). Mais c’est surtout dans son esthétique générale que Litan – La Cité des spectres verts prend le spectateur à revers, avec ses plans tournés en grand angle, sa photo vaporeuse, son imagerie carnavalesque et ses perspectives vertigineuses, qui contribueront rapidement à le plonger dans un climat de rêve éveillé, d’irréalité totale. A ce titre, le jeu outrancier de Marie-José Nat et de Jean-Pierre Mocky et les décors naturels de la ville d’Annonay sont très bien exploités, et renforcent encore l’atmosphère irréelle et angoissante, surprenant et original.
Tout aussi influencé par ses souvenirs d’enfance en Solovénie que par l’œuvre de Georges Franju, Alejandro Jodorowsky ou Jean Rollin (période Le Viol du Vampire / La Vampire nue), Jean-Pierre Mocky navigue constamment entre l’Art et Essai et l’horreur kitsch, entre étranges coutumes locales et mythe de Prométhée, le tout se déroulant sur un rythme onirique et incertain, la faute sans doute à deux personnages centraux décrits comme des rêveurs un peu lents. Pour autant, certains plans et même certaines séquences développent un côté assez « hypnotique » sur le spectateur.
Du côté des acteurs, on notera que Litan – La Cité des spectres verts nous donne à voir le regretté Nino Ferrer dans le rôle d’un savant fou à la Frankenstein, et que l’acteur / musicien avait également composé la bande originale du film. On remarquera aussi une poignée de tronches en biais et de seconds rôles habitués du cinéma de Jean-Pierre Mocky : Jean-Claude Remoleux, Dominique Zardi, Pierre-Marcel Ondher… On reconnaitra également François Toumarkine, futur acteur de la troupe des Deschiens, dans le rôle du chef du gang des « cochons » qui tente de violer Marie-José Nat.
Le Blu-ray
[4/5]
Après avoir déjà édité plusieurs films de Jean-Pierre Mocky en Haute-Définition, ESC Éditions continue sur sa lancée avec le Blu-ray de Litan – La Cité des spectres verts, qui a par ailleurs bénéficié d’une remasterisation 4K assez somptueuse. De ce fait, côté Blu-ray, c’est absolument remarquable : la définition est précise, les couleurs riches et bien saturées, les noirs sont profonds, et la restauration a pris soin de préserver le grain argentique d’origine. Bien sûr, les plans « à effets » (générique, mentions écrites, fondus enchainés) accusent des effets du temps, mais le reste est d’une propreté et d’une stabilité tout à fait extraordinaires. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0, et le mixage nous propose un confort acoustique optimal : propre, équilibré, sans souffle ni crachotements intempestifs. La musique de Nino Ferrer prend une ampleur toute particulière, et le tout s’avère très naturel. Un sans-faute donc.
Du coté des suppléments, on trouvera tout d’abord un entretien avec Gérard Lenne et Jean-Claude Romer (16 minutes). Face caméra, Gérard Lenne appellera donc son ami Jean-Claude Romer, avec qui il avait créé le fameux « Prix Très Spécial », afin d’échanger avec lui quelques souvenirs de la préparation et du tournage de Litan – La Cité des spectres verts. Romer y reviendra sur sa rencontre avec le cinéaste, par l’intermédiaire de Midi Minuit Fantastique, mais également sur les aléas de leur relation, ainsi que sur le film. On notera que l’enregistrement du sujet a eu lieu quelques mois seulement avant la mort Jean-Claude Romer le 8 mai 2021. Mais ce n’est pas tout, puisque ESC Éditions nous propose également de nous plonger dans une poignée d’images d’archives du tournage du film (26 minutes), destinées à la télévision, et sur lesquelles on pourra reconnaitre Agnès Vincent, future membre du CSA. Comme à son habitude, Jean-Pierre Mocky se montrera assez volubile. Les moments volés sur le plateau seront également l’occasion d’assister à une de ses fameuses colères – de celles qui furent par la suite immortalisées en 2000 pour l’émission Strip-Tease. Très intéressant !