Test Blu-ray : L’Inconnu de Shandigor

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L’Inconnu de Shandigor

Suisse : 1967
Titre original : –
Réalisation : Jean-Louis Roy
Scénario : Jean-Louis Roy
Acteurs : Daniel Emilfork, Marie-France Boyer, Jacques Dufilho
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h36
Genre : Espionnage, Fantastique
Date de sortie cinéma : 17 juillet 1968
Date de sortie DVD/BR : 5 mars 2024

Le savant Herbert von Krantz a mis au point un procédé révolutionnaire, l’Annulator, permettant de désamorcer les armes nucléaires. Son invention fait depuis l’objet de convoitise de tous les services secrets et des groupuscules terroristes du monde entier. Le scientifique paranoïaque vit cloîtré dans sa demeure ultra-sécurisée avec sa fille Sylvaine et son assistant Yvan, sur lesquels il exerce une redoutable emprise. Autour d’eux, les espions rôdent et sont prêts à tout pour récupérer les plans de l’Annulator…

Le film

[3,5/5]

Présenté au Festival de Cannes en 1967, L’Inconnu de Shandigor est un film de genre suisse – s’apparentant à un récit d’espionnage – signé Jean-Louis Roy. Le film a la particularité assez notable de mettre en scène l’étrange Daniel Emilfork (1924-2006), un acteur au physique hors norme et au phrasé caractéristique (qu’il appelait son « accent moldo-valaque »), surtout connu pour avoir incarné des rôles de méchant au cinéma ou à la télévision. On se souvient notamment de son interprétation du Kanak dans la série Chéri-Bibi (1974) ainsi que pour celui du savant fou de La Cité des enfants perdus (1995).

L’autre caractéristique notable de L’Inconnu de Shandigor est d’être un film étant devenu quasi-invisible pendant 50 ans, au point que de nombreux cinéphiles le croyaient perdu. Le film de Jean-Louis Roy était inédit en VHS et en DVD, et cette discrétion forcée a tout doucement contribué à créer, puis à entretenir, sa réputation de film culte, de curiosité singulière au sein du cinéma francophone. Pendant de nombreuses années, L’Inconnu de Shandigor a donc cultivé une espèce de « fantasme » cinéphile : il s’agissait d’un film régulièrement cité en exemple, mais que peu de gens avaient vu. La présence au générique de Daniel Emilfork, mais aussi de Serge Gainsbourg, Howard Vernon ou Jacques Dufilho faisaient tout pour maintenir la légende tenace.

C’était donc avec une certaine fébrilité teintée d’impatience que l’on a découvert – ou redécouvert – L’Inconnu de Shandigor, quand le film, qui venait de bénéficier d’une prestigieuse restauration 4K, a été projeté au Festival de Locarno en 2016. La même année, le film a été édité par la Cinémathèque suisse dans un coffret DVD dédié au Groupe 5, un collectif de production qui réunissait cinq réalisateurs genevois (Claude Goretta, Jean-Louis Roy, Michel Soutter, Alain Tanner et Jean-Jacques Lagrange), et que l’on a souvent comparé à la Nouvelle Vague française. Quelques années plus tard, L’Inconnu de Shandigor débarque enfin en France, en Blu-ray et sous les couleurs de Carlotta Films.

Dans les années 50, l’espionnage tel qu’il était envisagé dans les romans de gare, pulps et autres fumetti a littéralement déferlé sur le monde, et le phénomène s’est encore accentué avec le succès international de James Bond contre le Docteur No en 1962. La guerre froide, déjà bien entamée, avait permis aux auteurs de récits d’espionnage d’élaborer des intrigues qui jouaient avec les pires craintes du public de l’époque : guerre et retombées nucléaires, gadgets technologiques mortels, agents doubles se cachant au vu et au su de tout le monde… De véritables brouettes d’espions plus ou moins fantaisistes ont donc rapidement envahi la culture populaire, et dans les années 60, les pastiches, satires et autres parodies du genre se sont multipliées, parallèlement aux sagas d’espionnage plus « sérieuses ». Ainsi, on a vu apparaitre à la télévision de nombreux agents secrets hauts en couleurs, notamment dans des séries à succès telles que Chapeau melon et bottes de cuir (1961-69), Des Agents très spéciaux (1964-68), Max la menace (1965-69) ou Les Espions (1965-68). Et à sa manière très particulière, L’Inconnu de Shandigor se réclame également de cet héritage.

L’Inconnu de Shandigor met donc en scène plusieurs factions d’espions, qui se tirent dans les pattes afin de mettre la main sur un MacGuffin – ici les plans de l’Annulator, un dispositif propre à neutraliser à distance n’importe quelle arme nucléaire. Seulement voilà : l’Annulator est entre les mains de son créateur, l’antisocial Herbert Von Krantz (Daniel Emilfork), qui vit cloîtré dans sa maison ultramoderne avec son assistant Yvan (Marcel Imhoff) et sa fille Sylvaine (Marie-France Boyer). Inlassablement, le savant fou repousse donc les attaques d’espions russes, américains et d’une poignée de mercenaires, incarnés par Howard Vernon, Jacques Dufilho et Serge Gainsbourg, ce dernier se spécialisant visiblement davantage dans la formation d’espions chauves, maîtres absolus dans l’Art du déguisement.

L’intrigue imaginée par Jean-Louis Roy pour L’Inconnu de Shandigor est extrêmement simple et linéaire, mais le nombre important de personnages lui permet d’orchestrer nombreuses digressions, tantôt absurdes, tantôt plus dramatiques. Cela pourra donner au spectateur la vague impression d’assister à une suite de sketches un peu décousus, et ce même si Jean-Louis Roy tente de dynamiser l’ensemble, par le montage et en utilisant des angles très variés, de façon à ce que chaque plan soit frappant d’un point de vue graphique. En résulte donc un film presque kaléidoscopique, au cœur duquel la caméra s’incline en tous sens et se déplace dans des travellings qui nous montrent des personnages évoluant dans des décors désolés, étranges et/ou labyrinthiques. La bizarrerie de l’ensemble est encore renforcée par la photographie de Roger Bimpage, qui nous propose un noir et blanc aux contrastes aussi austères que profonds.

Stylistiquement parlant, L’Inconnu de Shandigor va chercher du côté de l’expressionnisme et de la bande dessinée, et s’offre, au détour de quelques séquences, des détours par le fantastique (la créature dans la piscine), et même par l’humour visuel complètement absurde (le cours de déguisement). Pour autant, et malgré un budget que l’on imagine certainement restreint, Jean-Louis Roy parvient à faire preuve d’un souci esthétique constant. Cela ne fait peut-être pas de L’Inconnu de Shandigor le chef-d’œuvre tant espéré/fantasmé, mais le fait est qu’il s’agit d’une curiosité filmique assez unique et fascinante.

Le Blu-ray

[4/5]

Après avoir disparu des écrans pendant presque cinquante ans, L’Inconnu de Shandigor débarque donc sur support Blu-ray sous les couleurs de Carlotta Films. Le film a bénéficié d’une restauration 4K maniaque et s’impose de fait aujourd’hui comme une véritable merveille en Haute-Définition. Le master était visiblement en très bon état, et la restauration a fait des merveilles, et nous propose aujourd’hui un rendu propre, stable et net, affichant un joli piqué tout en conservant le grain d’origine. Bref, le résultat est absolument bluffant et assez incroyable : le boulot a été fait – et bien fait – pour que nous puissions redécouvrir le film dans les meilleures conditions possibles. Du côté des enceintes, seule la version française nous est proposée, en DTS-HD Master Audio 1.0 et mono d’origine évidemment. Cette dernière parait vaguement étouffée par moments, en raison des curieuses expérimentations de Jean-Louis Roy sur l’image et le son de son film, mais dans l’ensemble, on s’en contentera parfaitement.

Outre la traditionnelle bande-annonce, la section suppléments du Blu-ray de L’Inconnu de Shandigor comporte un numéro de l’émission TV suisse « Cinéma vif » (30 minutes), diffusée sur la RTS en mai 1967. Le réalisateur Jean-Louis Roy, alors âgé de 29 ans, y reviendra sur sa volonté de s’écarter de la tradition documentaire liée au cinéma suisse, sur l’enchaînement de poncifs du film d’espionnage que nous propose le scénario, ou encore sur l’influence de la bande dessinée sur ce dernier. Entre deux moments volés sur le tournage du film (on remarquera sur les claps que le film s’appelait encore à l’époque Atomic Mac), les acteurs Jacques Dufilho, Marie-France Boyer et Daniel Emilfork s’exprimeront sur le film ainsi que sur leur relation avec le jeune cinéaste.

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