L’île de l’épouvante
Italie : 1970
Titre original : 5 bambole per la luna d’agosto
Réalisation : Mario Bava
Scénario : Mario di Nardo
Acteurs : William Berger, Ira von Fürstenberg, Edwige Fenech
Éditeur : Sidonis Calysta
Durée : 1h21
Genre : Thriller, Giallo
Date de sortie cinéma : 22 novembre 1972
Date de sortie BR/DVD : 26 mai 2022
Le temps d’un week-end, un industriel invite sur une île méditerranéenne plusieurs relations d’affaires, dont un brillant scientifique. Le séjour ne devait être consacré qu’à la détente, mais les affaires reprennent vite le dessus, chacun essayant d’être le premier à signer un contrat avec le chercheur. Le week-end tourne au cauchemar lorsque les invités sont assassinés les uns après les autres. Et l’assassin est forcément l’un d’entre eux…
Le film
[4,5/5]
2022, année Bava ? En tous les cas, les éditeurs vidéo français semblent s’être donnés le mot cette année, puisque parallèlement à la sortie de trois films de Lamberto Bava (La Maison de la Terreur et le diptyque Démons / Démons 2), la carrière du grand Mario Bava est à nouveau placée sous le feu des projecteurs. Après Le Masque du démon, La fille qui en savait trop et Caltiki – Le monstre immortel, qui viennent tout juste de sortie en Blu-ray, Sidonis Calysta nous propose le 26 mai de redécouvrir trois autres films de Mario Bava : Les Vampires (1957), L’île de l’épouvante (1970) et Chiens enragés (1974).
Whodunit tirant sur l’absurde, s’amusant gentiment des codes du Giallo naissant, L’île de l’épouvante a parfois été considéré, dans le passé, comme une œuvre mineure de Mario Bava. La redécouverte du film au format DVD il y a une vingtaine d’années a cependant contribué à largement réhabiliter le film, qui est aujourd’hui quasi-unanimement reconnu comme un « brouillon » de La Baie sanglante, et surtout comme un très étonnant manifeste esthétique établi par Mario Bava, tendant régulièrement vers l’abstraction et dépassant toute définition par trop rigide du genre.
Ainsi, le fait de revoir aujourd’hui L’île de l’épouvante en Haute-Définition et avec plus de cinquante ans de recul permet finalement au film de réapparaître dans toute sa force extraordinaire : désorientant et stupéfiant, hypnotique, abstrait même et presque expérimental. Conçu comme un whodunit classique, inspiré des « Dix petits nègres » d’Agatha Christie, le film se verra littéralement transfiguré par une mise en scène éblouissante, qui s’imposera d’ailleurs non seulement comme un personnage à part entière dans le récit, mais bel et bien surtout comme le personnage principal, doublé d’un sublime moyen utilisé par Mario Bava pour faire avancer le récit à travers une série de stratifications visuelles complexes et fascinantes.
On ira même plus loin, en avançant qu’avec L’île de l’épouvante, Mario Bava nous propose presque une révolution stylistique aussi poussée que celle initiée par Sergio Leone quand, quelques années plus tôt, il s’était attelé à réinterpréter et à actualiser le western. L’île de l’épouvante, c’est donc avant tout une question de style, et Mario Bava nous propose ici un véritable bouleversement de tous les codes alors en vigueur dans le domaine du thriller et du whodunit, tout en agrémentant son spectacle de beaux morceaux de comédie noire, de cinéma quasi-expérimental et auteurisant ou encore de satire anticapitaliste.
L’histoire de L’île de l’épouvante est donc extrêmement simple : dix personnages se retrouvent dans une immense villa sur une île déserte. L’un d’eux est un scientifique qui vient d’inventer une nouvelle résine synthétique, convoitée par le propriétaire de la villa, un riche industriel, ainsi que par ses amis, qui sont eux aussi intéressés par la formule de ladite résine. Mais alors que les manipulations vont bon train pour tenter de convaincre le scientifique de céder son invention, les invités de la villa vont inexplicablement commencer à mourir les uns après les autres…
On pourrait arguer que Bava ne se soucie pas de son histoire, mais ce n’est pas tout à fait le cas. Tout s’articule en réalité de manière extrêmement cohérente, autour d’une formule convoitée par les uns et les autres à la manière d’un MacGuffin Hitchcockien classique, mais qui fonctionne également comme un révélateur du cynisme des différents personnages du récit. Mais dans L’île de l’épouvante, cette quête du MacGuffin devient un jeu stylistique pop où la villa ultra-moderne, les couleurs primaires, le mobilier ou encore les vêtements des personnages féminins contribuent à décrire un monde où rien ne semble plus réel, et où les femmes deviennent des « poupées », de simples objets de consommation dont les corps finiront par reposer au milieu des carcasses de viande dans la chambre froide, enfermées dans une linceul de plastique transparent et à suspendues à des câbles les faisant se balancer comme des marionnettes.
L’île de l’épouvante nous propose donc un jeu avec des corps interchangeables avec des objets, et bien sûr, la caméra elle-même finit par faire partie du discours. Zooms et dézooms en pagaille, travellings vertigineux, jeux de perspective… Tout est conçu par Bava pour faire de son film un manège sadique, doublé d’un sublime exercice de style.
Le Combo Blu-ray + DVD
[4,5/5]
Entamée il y a seulement quelques semaines, la « Collection Mario Bava » de chez Sidonis Calysta compte aujourd’hui plusieurs titres littéralement indispensables pour tous les amateurs de cinéma de genre. Comme d’habitude présentée dans un superbe Combo Blu-ray + DVD + Livret de 24 pages (toujours rédigé par Marc Toullec), cette édition de L’île de l’épouvante prouve une nouvelle fois que l’éditeur français est bel et bien un des acteurs majeurs de l’édition vidéo en France. De plus, le fait de continuer à alimenter cette riche collection est un signe manifeste que Sidonis est de plus bien déterminé à fournir au consommateur des éditions « Collector » qui soient non seulement irréprochables d’un point de vue technique, mais qui s’imposent également comme de « beaux objets » de collection.
Un conseil donc : oubliez votre antique édition DVD du film de Mario Bava, et investissez de toute urgence dans cet époustouflant Blu-ray. Côté master, l’apport HD est indéniable : le film retrouve ses couleurs, sa précision, et affiche une stabilité remarquable. Les contrastes et le niveau de détails sont sensiblement renforcés, le grain cinéma est respecté, même si la définition vacille parfois un peu sur les séquences sombres ou juste avant les plans à effets (fondus…). En deux mots comme en cent, c’est un vrai plaisir de redécouvrir L’île de l’épouvante en Haute-Définition : une merveille. En ce qui concerne le son, nous avons évidemment le choix entre la VO et la VF, toutes deux proposées en DTS-HD Master Audio 2.0 : le doublage français que nous connaissons est évidemment respecté, même si les dialogues prennent souvent le pas sur les ambiances annexes. La version originale propose en revanche une restitution des ambiances, de la musique et les dialogues beaucoup plus fine. Les sous-titres ne posent pas de problème particulier.
Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord une présentation du film par Alice Laguarda (31 minutes). Dans un style très universitaire (pour ne pas dire austère), l’auteure de l’ouvrage « L’ultima maniera. Le Giallo, un cinéma des passions » (Rouge Profond, 2021) reviendra sur L’île de l’épouvante en le qualifiant tout d’abord de Giallo parodique. Elle abordera par la suite les questions de la distanciation, du simulacre, et reviendra sur les nombreux effets visuels du film, dans le but de proposer au spectateur un certain nombre de « grilles de lecture transversales ». Elle évoquera notamment l’aspect métaphysique du film. On continuera ensuite avec une présentation du film par Gérald Duchaussoy et Romain Vandestichele (24 minutes), qui aborderont le film par un prisme nettement plus abordable et passionnant. Ils replaceront le film dans la carrière de Mario Bava, et défendront le fait que L’île de l’épouvante est le film du « passage » des années 60 aux années 70. Ils reviendront également sur la critique de la bourgeoisie au cœur du métrage, évoqueront les inspirations et références, notamment à Fellini, ainsi que le « dialogue cinématographique » que l’on peut dresser entre Fellini et Bava, qui se répondaient par films interposés. On terminera enfin avec une présentation du film par Jean-François Rauger (34 minutes). Le directeur de la Cinémathèque de Paris reviendra donc lui aussi sur L’île de l’épouvante, très sous-estimé mais heureusement réhabilité, et important pour comprendre l’Art de Mario Bava. Ses propos sont intéressants, mais un peu redondants avec les deux autres présentations si vous les avez visionnées juste avant. Il insistera entre autres sur la nature de Giallo « pré-Argento » du film. La traditionnelle bande-annonce terminera le tour des suppléments !