L’étrange incident
États-Unis : 1943
Titre original : The Ox-bow incident
Réalisation : William A. Wellman
Scénario : Lamar Trotti
Acteurs : Henry Fonda, Dana Andrews, Mary Beth Hughes
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h15
Genre : Western
Date de sortie cinéma : 8 septembre 1948
Date de sortie DVD/BR : 22 janvier 2019
1885, Nevada. Un fermier de la région, Kinkaid, aurait été assassiné, et son bétail volé. En l’absence du shérif mais commandée par son adjoint, une troupe de cow-boys, des brutes épaisses, organise une chasse à l’homme pour retrouver l’assassin. Un vieillard, un Mexicain et un jeune homme sont accusés. Quelques citoyens s’élèvent contre cette arrestation aussi illégale qu’arbitraire…
Le film
[5/5]
S’il appartient bel et bien au genre « western », L’étrange incident n’en reprend réellement ni les codes, ni les passages obligés. En optant pour l’adaptation d’un roman de Walter Van Tilburg Clark, peu connu en France mais considéré comme un véritable classique de la littérature américaine outre-Atlantique, William A. Wellman prend en effet bien d’avantage la voie de l’œuvre ouvertement politique, remettant non seulement en cause la légitimité de la peine de mort, mais proposant qui plus est un démontage en règle des mécanismes de la « violence collective ».
Cette thématique passionnante, que l’on retrouverait également, bien des années plus tard, au fil de toute l’œuvre de cinéaste de Mel Gibson, tend à mettre en lumière la façon insidieuse avec laquelle un individu pourtant doué de raison et de valeurs peut rapidement retomber dans « l’animalité » la plus totale au contact de la foule. Si bien sûr la question de la perte de ces valeurs les plus élémentaires est toujours tristement d’actualité aujourd’hui, elle l’était peut-être encore plus en 1943, date de sortie du film dans les salles, alors que l’Europe était littéralement déchirée par la guerre et le nazisme.
L’étrange incident s’attache donc, au fil de son récit et sur sa très courte durée (1h15), à mettre en évidence les rouages psychologiques qui vont pousser un groupe d’individus à en condamner et en exécuter un autre – à tort évidemment. Fascinant, le film va droit au but et ne s’écartera pas de son sujet : on retrouve cette volonté jusque dans les ellipses qui émaillent le récit, concernant notamment le passé des personnages de Carter (Henry Fonda) et Crofts (Harry Morgan), ou la relation qui unissait Carter et Rose (Mary Beth Hughes). De fait, le film de William A. Wellman jouera la carte de l’intensité dramatique et s’écartera des thématiques habituellement abordées par le western ; aidé par la sublime photo d’Arthur C. Miller, il balaiera d’un revers de la main les conventions classiques du genre, en tournant par exemple une poignée de séquences en studio, et en se concentrant sur les sentiments de ses personnages.
Dans sa dernière bobine, Wellman se démarque un peu de l’œuvre littéraire en mettant en scène la lecture, pleine de pathos, de la lettre écrite par le « condamné à mort » à sa femme. Absente du roman originel, cette séquence pleine de force clôt sur une note extrêmement émouvante L’étrange incident, chef d’œuvre absolu, s’avérant toujours aussi immersif et puissant plus de 75 ans après sa sortie en salles.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Film-phare au sein de la riche filmographie de William A. Wellman, L’étrange incident débarque donc sur support Blu-ray sous les couleurs d’ESC Éditions. Le film a visiblement été restauré et bénéficie d’un joli upgrade Haute-Définition. Certes, le master n’est pas tout à fait parfait (les contours manquent un peu de tranchant sur certaines séquences), mais la restauration est bien réelle, nous proposant un rendu propre, stable et net, affichant un joli piqué tout en conservant le grain d’origine. Tout n’est pas tout rose bien sûr : quelques plans marquent de légères baisses de définition, et les contrastes auraient pu être mieux gérés, mais globalement, le boulot a été fait -et bien fait- par les équipes d’ESC pour que nous puissions redécouvrir le film dans les meilleures conditions possibles. Du côté des enceintes, seule la VO anglaise nous est proposée, en DTS-HD Master Audio 2.0, en mono d’origine évidemment. Cette dernière parait vaguement étouffée mais dans l’ensemble, on s’en contentera parfaitement. Les sous-titres ne posent pas de souci particulier ; cependant, on y remarquera des espaces entre les points de suspension, ce qui est assez inhabituel (et pour tout dire un peu curieux).
La section suppléments est étonnamment bien fournie, ne nous proposant plusieurs heures de bonus made in France. On commencera avec un long entretien croisé avec Francois Begaudeau et Frederic Mercier autour du film, confrontant le point de vue très « cinéphile » de Mercier et l’approche plus « abstraite » et très intellectuelle de Bégaudeau, qui confine même par moment à la réflexion philosophique sur le cinéma plutôt qu’à l’analyse filmique. Le choc des cultures en quelque sorte – néanmoins, il en ressort une présentation du film très originale et pleine de fraîcheur. Le reste des suppléments a été mis en boite par les équipes de Rose Night (Christophe Champclaux et Linda Tahir) et nous proposera un contenu intéressant mais un poil plus consensuel. Sous la dénomination « La ballade des pendus », on trouvera en fait trois sujets différents mis bout à bout : trois entretiens avec Frédéric Albert Levy, alias FAL, ancien de la grande époque de Starfix, qui nous propose un long (56 minutes!) mais très intéressant retour sur le film, qu’il remet dans son contexte avant d’analyser sous toutes les coutures. On terminera avec un sujet beaucoup plus anecdotique : un entretien avec Iac, peintre western et romancier, qui reviendra sur la notion de « posse comitatus ».