Les valseuses
France : 1974
Titre original : –
Réalisation : Bertrand Blier
Scénario : Bertrand Blier
Acteurs : Gérard Depardieu, Patrick Dewaere, Miou-Miou
Éditeur : Gaumont
Durée : 1h57
Genre : Comédie
Date de sortie cinéma : 20 mars 1974
Date de sortie DVD/BR : 1 juin 2021
Série noire pour Jean-Claude et Pierrot. D’abord, ils découvrent à leurs dépens que les gens n’aiment pas qu’on leur fauche leur voiture. Ensuite, Pierrot, blessé par une balle mal placée, est inquiet pour sa virilité. Il la retrouvera avec Marie-Ange, shampouineuse pas bégueule. Pas de chance : elle est plus frigide que la Terre entière. Pour couronner le tout, les voilà complices d’un meurtre. Y a des jours comme ça !
Le film
[5/5]
Valseuses [valsœ:z] Subst. fém. plur. : Testicules. Synonymes : gonades, roubignoles, roupettes, roustons.
Quoi qu’aient pu en penser les vierges effarouchées qui poussèrent leur cris d’orfraie lors de la sortie du film en 1974, avec Les valseuses, Bertrand Blier avait fait le choix de la transparence, les posant littéralement sur la table. Personne n’a été pris en traitre, et le public ne s’y est pas trompé, réservant au cinéaste le plus grand succès de sa carrière. Avec 5,7 millions d’entrées en France, Les valseuses s’est en effet imposé comme un immense succès populaire, révélant les personnalités de Gérard Depardieu, Patrick Dewaere et Miou-Miou.
Véritable « bombe » au cœur du cinéma français, Les valseuses a surtout permis au public de découvrir la plume de Bertrand Blier, sa tonalité, sa musique, bref son style, souvent imité, jamais égalé. Avec ce deuxième film de fiction après Si j’étais un espion (1967), il s’affranchissait de l’ombre envahissante de son père, libérant la parole et la narration avec une telle audace qu’on ne peut s’empêcher d’y voir le geste d’un artiste capital, qui réussira, quelques années plus tard, à réconcilier la critique et le public autour d’une œuvre dont la cohérence est tout simplement unique dans le paysage cinématographique français.
Car Les valseuses était une révolution – un film au moins aussi important que les premiers de la Nouvelle Vague à la fin des années 50. On salue d’ailleurs bien bas l’intuition de Jeanne Moreau, qui, douze ans après Jules et Jim, prenait part ici à une deuxième remise en cause des codes formels et narratifs du cinéma français. Comme la plupart des œuvres de Bertrand Blier, Les valseuses nous propose une véritable « vision » : celle d’un hexagone représenté comme un no man’s land construit sur les ruines des désillusions de mai 68, et où l’humanité – ou ce qu’il en reste – semble à la dérive, traversant l’existence comme dans un rêve et se laissant dominer par toutes ses pulsions.
La mort et la sexualité se côtoient donc de près dans Les valseuses, le tout étant également largement teinté d’une touche d’absurde, et de beaucoup d’humour. Les principaux protagonistes de sont deux jeunes désœuvrés, des « loubards » comme on le disait à l’époque, fauteurs de troubles passant leur temps à harceler les femmes et à provoquer un système et une société qui sont, pour eux, des synonymes d’exploitation et d’aliénation. Jean-Claude (Gérard Depardieu), sauvage et dominant, est un artiste primitif du chaos. Pierrot (Patrick Dewaere) semble un peu plus sensible, S’il ne fait pas toujours confiance à l’instinct de son ami, il n’hésite en revanche jamais à le suivre. La relation entre les deux hommes est trouble, et dépasse largement le stade du simple schéma dominant / dominé. Un lien puissant les unit ; celui-ci est d’ailleurs peut-être même amoureux, et en tous cas très sensuel / sexuel – ils font l’amour ensemble aux mêmes femmes, ils se lavent ensemble sans la moindre pudeur, et semblent partager bien plus qu’une simple amitié.
Entre les deux, bien sûr, il y a les femmes : Miou-Miou, Jeanne Moreau, Brigitte Fossey, Isabelle Huppert. Chacune représente une étape, une vision du monde. Les films de Bertrand Blier fonctionnent selon un ensemble de règles et de codes très particuliers. Le cinéaste aime ses personnages, même si ces derniers ont beaucoup de mal à s’intégrer au reste de la société ; il les aime mais n’hésite pas non plus à mettre le doigt sur leurs blessures profondes, à les malmener, voire même à les humilier. Tombereaux d’insultes, gifles, dénigrement : les hommes comme les femmes en prennent pour leur grade. Ainsi, les personnages évoluant dans Les valseuses semblent tous autant qu’ils sont voués à l’échec. Ils sont faibles, leurs actes n’étant motivés par leurs instincts primaires ; les personnages féminins quant à eux sont des femmes soumises, ne retrouvant de contrôle sur elles-mêmes et sur les autres que lorsqu’elles font l’amour.
La fine ligne qui sépare la comédie du drame dans Les valseuses – et dans le cinéma de Blier en général – est très ténue. Certaines scènes sont en effet extrêmement drôles, mais ces dernières sont souvent empreintes de malaise, voire même d’un certain désespoir. Et au fur et à mesure que le récit avance, le miracle se produit : alors que le spectateur devient un compagnon de route de ces petites frappes incarnées par Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, il commencera à pardonner l’impardonnable, et même à les trouver franchement sympathiques. Mais contrairement à ce qu’ont pu écrire certains critiques à la sortie du film en 1974, la volonté de Blier n’est ni d’esthétiser, ni de glorifier la violence et/ou la décadence, bien au contraire. Dans le monde de Blier, tout est graveleux, et la notion même de « beauté » n’existe pas. Cependant, on ne peut que s’attacher à ces personnages d’éternels adolescents agités qui semblent uniquement voués au plaisir des sens, et qui trouvent le sens de la vie à travers le sexe, le rire, l’aventure, la complicité. La fuite en avant. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’à ce niveau-là, Les valseuses n’a rien perdu de son impact. Malgré les presque cinquante ans qui nous séparent de sa sortie, le film secoue toujours autant, emmenant le spectateur loin en dehors de sa zone de confort, ce qui est encore plus flagrant d’ailleurs à notre époque, dans le sens où il n’y a plus aucun cinéaste s’exprimant son mépris du bourgeois de manière aussi frontale. La vulgarité est assumée, de même que la misogynie de l’ensemble, tellement franche et exagérée qu’elle semble finalement moins viser les femmes que les féministes.
Caricatural, drôle, provocateur, bête et méchant – Les valseuses est clairement un peu de tout ça. Cependant, grâce à l’écriture unique en son genre de Bertrand Blier et à l’interprétation habitée de son duo d’acteurs principaux, le film développe également une intense et incontournable poésie. Une véritable magie qui incitera le spectateur à acquiescer aux derniers mots du film, lorsqu’il se voit invectivé par les personnages à l’écran. « On est pas bien, là ? » Si. On est bien.
Le Blu-ray
[4/5]
Après avoir fait l’objet de plusieurs éditions DVD depuis 1999, Les valseuses débarque donc ENFIN aujourd’hui au format Blu-ray, sous les couleurs d’Orange Studio. Encore famélique il y a seulement deux ans, l’offre Haute-Définition tournant autour de la filmographie de Bertrand Blier s’est maintenant un peu étoffée : une dizaine de ses films sont aujourd’hui disponibles en France en Blu-ray, contre trois en 2019.
Du point de vue de « l’objet » en lui-même, le Blu-ray des Valseuses est une édition simple, et la conception graphique de la jaquette semble volontairement très similaire aux éditions Blu-ray Découverte de chez Gaumont. Côté Blu-ray, la copie est globalement d’une très belle propreté, malgré quelques légers outrages liés au temps qui demeurent un peu visibles. Cela dit, on préférera toujours quelques imperfections n’ayant pu être gommées numériquement que le lissage abusif que pratiquent, encore aujourd’hui, certains éditeurs, sans même se rendre compte à quel point ils dénaturent parfois les œuvres. Ici, le grain argentique est respecté à la lettre, le piqué est d’une finesse et d’une précision vraiment étonnantes, la profondeur de champ est remarquable. Les détails sont très bons, avec de nombreux gros plans offrant une profondeur merveilleuse et une clarté considérablement améliorée par rapport aux antiques éditions DVD du film. Bref, c’est du très beau boulot, naturellement proposé en 1080p – on est assurément en présence d’un très beau Blu-ray, techniquement très solide. Côté son, c’est la grande classe également : le film est proposé dans un classique mixage DTS-HD Master Audio 2.0, mono d’origine. L’ensemble est assez frontal, mais enthousiasmant. Évidemment, il ne s’agit pas de la dernière démo technique destinée à décrasser votre système audio, mais là n’est pas non plus l’esprit du film… Pas de bonus.
Pour moi, un film qui ne passe juste plus en 2022. La scène de viol qui passe pour drôle et décallée et juste affligeante, de même que le corps de la victime que l’on voit integralement nu à plusieurs reprise et sur de longues scènes, sans aucune réciprocité pour les personnages masculins qu’on a pris soin de ne filmer que de profil. On a fait un sacré bout de chemin depuis Les Valseuses, avec des série comme Normal people qui évitent tout écueil sexiste sans perdre en rien d’expressivité et d’engagement artistique. Dans les valseuses la violence sexuelle est dirigée uniquement contre les femmes. On remerciera au passage la mention des « vierges effarouchées » dans votre intro, car evidement seules des femmes, coincées, ont pu s’offusquer de ce film à sa sortie.
Bonjour Laura, merci pour votre intérêt et votre commentaire.
Pour répondre à vos propos, je dirais simplement qu’un viol est un viol, et que l’abjection d’un tel crime était la même en 1975 qu’en 2022 : le film a fait scandale à sa sortie exactement pour les raisons que vous soulevez aujourd’hui.
La chose qui a changé en cinquante ans, c’est le regard que l’on porte sur l’Art, et à l’ère des réseaux sociaux et du tout consensuel, la poésie de Blier n’a plus droit de cité.
Vous pouvez vous en réjouir : les vierges effarouchées (qui sont tout autant des hommes que des femmes d’ailleurs) semblent bel et bien avoir gagné la partie…