Les tueurs de l’Ouest
Espagne, Italie : 1966
Titre original : El precio de un hombre
Réalisation : Eugenio Martín
Scénario : J.D. Prindle, José Gutiérrez Maesso, Eugenio Martín
Acteurs : Richard Wyler, Tomas Milian, Halina Zalewska
Éditeur : Artus Films
Durée : 1h33
Genre : Western
Date de sortie cinéma : 8 janvier 1969
Date de sortie DVD/BR : 4 juin 2019
Chilsom le chasseur de primes traque deux hommes appartenant à la bande de Gomez. La traque va le mener dans le village où est emprisonné Gomez, qui ne tardera pas à s’évader, grâce aux villageois le croyant innocent. Quand ce dernier va régler ses comptes avec l’aide de sa bande de tueurs, le village va se transformer en champ de bataille…
Le film
[5/5]
Il y a des films qui s’imposent comme tellement « fondateurs », tellement « anthologiques » lors de leur sortie qu’ils tendent un peu à éclipser tous les autres évoluant dans le même genre. Avec les années qui nous séparent de sa sortie dans les salles françaises (le 27 août 1969), Il était une fois dans l’Ouest est de ceux-là. Avec le recul, on en viendrait même à oublier que le film de Sergio Leone était déjà la quatrième expérience du maestro italien dans le western que l’on nomme « spaghetti », et qu’il a débarqué sur les écrans français très tardivement, se posant presque comme un « chant du cygne » pour le western européen.
Ainsi, si l’on aurait parfois tendance à évaluer tous les westerns spaghetti tournés dans les années 60 à l’aune de la réussite d’Il était une fois dans l’Ouest (1968) ou du Bon, la brute et le truand (1966), il convient de remettre les choses dans leur contexte : en 1966, année de tournage des Tueurs de l’Ouest, le western européen est certes à son apogée MAIS les deux plus grands westerns de Leone n’existent pas encore. Et quand le film d’Eugenio Martín débarque sur les écrans français trois ans plus tard, le public n’a pas encore eu l’opportunité de découvrir Il était une fois dans l’Ouest. La critique des Tueurs de l’Ouest, signée Pierre Chabert et parue dans le Cinémonde n° 1780 (mars 1969) le rappellera d’ailleurs aux plus distraits :
« Ce film est un produit de l’école italienne du western et son réalisateur, Eugenio Martín, suit allégrement les traces de Sergio Leone : même recherche du cadrage insolite, festival identique de gros plans aboutissant à une stylisation poussée, à une sorte de quintessence du genre. Sans se croire vraiment transportés dans les plaines de l’Ouest américain on se surprend tout de même très souvent à oublier que les prises de vues ont eu lieu en Italie ou en Espagne. D’autant plus que les Américains eux-mêmes ont fini par y planter leurs caméras (dans Shalako par exemple). Comme si les chanteurs de la Scala de Milan se transportaient au Metropolitan Opera de New York pour y créer une œuvre inédite de Donizetti ou de Verdi ! Lorsqu’un genre devient ainsi dégagé des contingences de la géographie, on peut le considérer définitivement au même titre qu’un classique ayant conquis ses lettres de noblesse. C’est pourquoi, en attendant le dernier Sergio Leone Il était une fois dans l’Ouest, dont la distribution réunit les noms de Henry Fonda, Claudia Cardinale et Charles Bronson, nous vous présentons aujourd’hui ces Tueurs de l’Ouest avec Tomas Milian, Richard Wyler et Ella Karin (Halina Zalewska NDLR). Ces noms sont certes moins prestigieux que les susnommés mais Clint Eastwood, pourtant citoyen des États-Unis, n’a-t-il pas fini par trouver la célébrité sur les bords du Tibre et non sur ceux du Potomac ? D’ailleurs les spectateurs français connaissent déjà Tomas Milian, cet acteur cubain révélé il y a quelques années par le film d’Alberto Lattuada, L’imprévu, où il interprétait le rôle d’un kidnapper d’enfant aux côtés de la charmante Jeanne Valérie et de Anouk Aimée. »
Les tueurs de l’Ouest est donc une coproduction italo-espagnole qui, malgré un budget encore relativement modeste, parvient à se hisser parmi les plus belles et les plus intenses réussites du genre. Pourtant, d’une façon extrêmement surprenante, le film d’Eugenio Martín est encore très mal connu en France – inédit en VHS et en DVD, Les tueurs de l’Ouest n’a plus eu l’occasion d’être vu dans l’hexagone depuis sa sortie en 1969… Soit il y a pile 50 ans. Un chef d’œuvre exhumé du passé, dont la (re)découverte tardive pose en fait une vraie question : comment une telle œuvre, mettant qui plus est en scène le très populaire Tomas Milian, a-t-elle pu rester inédite aussi longtemps ?
Mettant en scène le face à face tendu entre Chilson (Richard Wyler) et Gomez (Tomas Milian), le film propose au spectateur une expérience très intéressante du point de vue de l’identification aux personnages. [ATTENTION SPOILERS] En effet, durant sa première moitié, Eugenio Martín et ses coscénaristes choisissent de présenter le personnage incarné par Milian comme un simple citoyen simplement victime d’une erreur judiciaire, et sacrifié sur l’autel des riches et des puissants. Si bien sûr les premières séquences le mettant en scène le montrent comme plutôt enclin à la violence, le public se dira pendant un long moment que ce sont les événements – il est condamné à mort et sur le chemin d’être exécuté – qui le poussent à agir de cette manière. De fait, le personnage du chasseur de primes Chilson apparaît dans un premier temps comme un mercenaire dénué de sentiment de justice, et comme un individu finalement assez antipathique. A mi-parcours cependant, la véritable nature de bête sauvage de Gomez apparaîtra, et les enjeux s’inverseront complètement… Cette métamorphose du personnage est ainsi portée par le jeu subtil et fascinant de Tomas Milian, qui se durcira sensiblement au fil des séquences, jusqu’à l’explosion de violence. Cette ambiguïté, cette ambivalence presque, est d’ailleurs une des constantes du jeu de Tomas Milian, qui marquerait profondément les esprit tout au long des années 60/70 avec des personnages complexes, aux personnalités multiples et inattendues. [FIN DES SPOILERS]
Passionnant jusque dans ses nombreux rebondissements et retournements de situation inattendus, Les tueurs de l’Ouest est également un petit trésor de mise en scène : comme le soulignait Pierre Chabert dans sa critique il y a 50 balais, le film multiplie les angles de prises de vue étonnants et les plans formellement superbes, qui s’avèrent magnifiés par la superbe photographie du film, signée Enzo Barboni, futur « grand » cinéaste spécialisé dans le divertissement populaire : il accompagnerait en effet à l’écran le duo Bud Spencer / Terence Hill à partir de la décennie suivante, pour une dizaine de films mis en scène entre 1970 et 1991. La musique, composée par Stelvio Cipriani, est entêtante, et l’ensemble compose un excellent western à découvrir de toute urgence.
Deux petites anecdotes pour terminer :
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A la découverte, dans les premières minutes, de la modeste hacienda en plein milieu du désert qui servira de décor principal au film, il y a de très fortes chances pour que le regard de l’amateur de western spaghetti s’illumine : il s’agit en effet du même décor que celui utilisé dans La mort était au rendez-vous, le petit chef d’œuvre d’efficacité de Giulio Petroni ! Sauf qu’à nouveau, un simple regard sur le calendrier nous indiquera que Les tueurs de l’Ouest est sorti un an avant le film avec Lee Van Cleef. C’est donc bel et bien Petroni qui a réutilisé ce décor, et non l’inverse.
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Les tueurs de l’Ouest occupe la 18ème position dans le « Top 20 » des westerns spaghetti préférés de Quentin Tarantino, révélé en 2017 par le site de référence du genre The Spaghetti Western Database. Mais Tarantino n’avait pas attendu 2017 pour révéler son amour pour le film, puisque dans le morceau « Ode to Django (The D is silent) » disponible sur la bande originale de Django unchained (2012), RZA utilisait déjà des samples de la bande-annonce américaine des Tueurs de l’Ouest.
Le Combo Blu-ray + DVD
[5/5]
Étant donné l’attente fébrile de la communauté des fans de westerns européens entourant la sortie des Tueurs de l’Ouest, Artus Films a fait les choses en grand afin de livrer au public une édition du film absolument imparable. Cette dernière prendra donc la forme d’un prestigieux digibook Combo Blu-ray + DVD, dénotant une fois de plus du soin apporté par l’éditeur français afin de fournir au consommateur des éditions qui soient également de « beaux objets » de collection. Le design est réussi, et l’ensemble nous propose un livret de 64 pages intitulé « Les westerns de Marvin H. Albert au cinéma » intégré au boîtier, et contenant des textes de Lionel Grenier, Emmanuel Le Gagne et Jérôme Pottier. L’ensemble est intéressant, et contient 14 pages uniquement consacrées au film d’Eugenio Martín.
Côté Blu-ray, le boulot effectué par Artus Films nous permettra de découvrir Les tueurs de l’Ouest dans une copie de toute beauté, globalement respectueuse de la granulation d’origine (même si le grain a probablement été atténué numériquement), avec un piqué précis et des couleurs restituant parfaitement l’ambiance du film. Côté son, nous avons droit à deux mixages LPCM Audio 2.0 (VF/VO) qui nous proposent un rendu propre et net, même si l’on notera deux / trois petits « décrochages » sur la version française.
Côté suppléments, et outre le livret de 64 pages intégré à l’étui, on trouvera une présentation du film par Curd Ridel. Dessinateur et fan de bis, cet habitué des présentations de chez Artus Films se montrera une nouvelle fois aussi passionné et passionnant. Il replacera ainsi le film dans son contexte et reviendra sur la production du film et la prestation époustouflante de Tomas Milian. Enfin, on trouvera également l’habituelle galerie de photos et la traditionnelle bande-annonce du film. Une belle édition pour un film IN-DIS-PEN-SA-BLE.