Les espions
France, Italie : 1957
Titre original : –
Réalisation : Henri-Georges Clouzot
Scénario : Henri-Georges Clouzot, Jérôme Géronimi
Acteurs : Curd Jürgens, Peter Ustinov, O.E. Hasse
Editeur : Coin de mire Cinéma
Durée : 2h06
Genre : Espionnage
Date de sortie cinéma : 11 octobre 1957
Date de sortie DVD/BR : 6 mars 2020
Le docteur Malic est un psychiatre raté. Il n’a que deux malades dans sa clinique délabrée. Il se console en buvant du vin dans le bistrot d’en face. Un soir, un homme l’appelle, il se dit être le Colonel Howard de l’Institut de guerre psychologique des U.S.A. et il lui propose une somme énorme pour héberger un agent qui a besoin de disparaître…
Le film
[4,5/5]
Film assez mal connu de la carrière d’Henri-Georges Clouzot, Les espions garde l’étrange réputation d’un film opaque, à l’intrigue extrêmement complexe, voire même incompréhensible. C’est vrai, le récit imaginé par Clouzot et son coscénariste Jérôme Géronimi (très librement inspiré d’un roman d’Egon Hostovsky) multiplie les faux-semblants, les révélations et les retournements de situation, parfois obscurs. Kafkaïen, alambiqué jusqu’à l’absurde, le film s’amuse à placer le plus d’espions possibles autour et à l’intérieur d’un seul et même endroit, qui se trouve être une grande demeure bourgeoise recyclée en clinique psychiatrique. Et tous ces fous dangereux de se croiser et se recroiser dans les couloirs et les escaliers de cette bâtisse où toutes les portes sont fermées. Pire : derrière chaque porte semble encore pouvoir se cacher une, deux, trois autres portes, donnant chacune sur une autre. Espions à la solde de gouvernements, de sociétés secrètes, de services secrets et/ou de pouvoirs occultes, ils hantent les recoins de cet asile en s’échangeant des noms d’oiseau, en collaborant ou en se trahissant les uns les autres.
Autant dire qu’au bout de vingt minutes de métrage, l’intrigue des Espions devient difficile à résumer. Pour autant, l’Art de Clouzot est toujours aussi limpide, malgré la noirceur de l’ensemble et la volonté de laisser le film, pendant sa plus grande partie du moins, confiné dans un espace clos. Mais rassurez-vous : Les espions n’est pas aussi incompréhensible qu’on a pu le lire ici ou là. Et surtout, même si on ne le lit jamais nulle-part, Les espions est surtout extrêmement drôle. Le spectacle de ces personnages tournant indéfiniment en rond est en effet assez irrésistible, d’autant que Clouzot et son scénariste en rajoutent toujours un peu plus au fur et à mesure que le film avance, poussant le bouchon systématiquement un peu plus loin à chaque séquence, au point que l’on finisse par se dire que chaque personnage, chaque figurant, chaque silhouette étant montrés à l’écran s’avèrent en réalité des espions.
Au milieu de tous ces personnages interlopes, dans cette maison où toutes les apparences semblent à priori trompeuses, il y a le docteur Malic, qui subira les événements pendant grosso modo les deux premiers tiers du film. Manipulé par tous les autres, forcé de prendre des décisions sans jamais ne connaitre ni le contexte, ni les tenants, ni les aboutissants… Tout au plus aura-t-il vaguement la puce à l’oreille à cause de la multitude d’indices et de petites bizarreries qui l’entourent, telle que cette « amicale des ocarinistes de Bagnolet » et de leur petit air musical, que l’on entend toujours au moment où on s’y attend le moins… Menaces voilées, sous-entendus obscurs, l’atmosphère au sein de la clinique est lourde, tout le monde soupçonnant tout le monde. Simples passants et taxis inclus. Méfions-nous des apparences, car tout le monde joue un rôle, des vrais-faux scientifiques aux vrais-faux garçons de café. Certains pourront voir un parallèle entre l’espionnage et le monde du spectacle, dans le sens où tous ces espions ne font finalement, et pour l’essentiel, qu’attendre, à longueur de journée. Comme un acteur attendant son « moment », les trois coups du théâtre ou le clap de cinéma, pour jouer le rôle de sa vie.
Mais malgré ces espions en pagaille, Les espions n’est pas réellement un film d’espionnage, du moins pas du tout dans la forme qu’il prendra dans les années 60 suite au succès de James Bond 007 contre Dr No (1962). C’est au contraire un film fortement empreint de tous les paradoxes de la guerre froide, et donnant à voir un pastiche, un film où tous les curseurs sont poussés dans leurs retranchements au point d’en devenir franchement comiques. On ne cesse en effet de rire pendant Les espions, on se réjouit au spectacle de ces espions ayant une réponse à chaque problème, ayant prévu toute éventualité, même la plus farfelue. Dans « Le masque et la plume » en octobre, Clouzot discuterait d’ailleurs cette idée de pastiche : « Je pense que le côté pastiche est beaucoup plus vrai dans Les diaboliques que dans Les espions. Dans Les espions, j’ai essayé que le monde absurde que je fais vivre à l’écran comporte des moments de comique, et mes amis – tout le monde a beaucoup d’amis dans ce métier – ont dit et répété que ce comique était involontaire. Je les rassure tout de suite : non ! Quand les personnages des Espions font rire, je vous garantis que je savais à quel endroit ils feraient rire, mais c’est uniquement parce que j’avais besoin, d’une part de détente – parce que si on ne fait pas rire le public à un moment donné, si on ne le fait pas rire avec soi, il rit contre vous. »
Si le cinéaste choisit l’exagération, l’histoire du film n’en demeure pas moins passionnante, jusque dans son dénouement qui se fera sous la couleur du cynisme le plus noir. Quarante ans avec David Fincher et The game, Henri-Georges Clouzot mettait donc déjà du complot dans le complot avec Les espions, et avec quel talent exceptionnel ! Il faut dire aussi qu’il était ici servi par une poignée d’acteurs et de seconds-rôles épatants, redoublant tantôt de naturel, tantôt d’étrangeté. On pense à Peter Ustinov et à Curd Jürgens bien sûr, mais également à Gabrielle Dorziat, inquiétante en infirmière sadique, ou à Pierre Larquey, génial en chauffeur de taxi accusé d’être un espion. Tous s’imposent comme des êtres assez humains et sympathiques, même s’ils peuvent faire preuve de cruauté.
Parce qu’il n’a rien à voir avec les grandes œuvres « à suspense » tournées par Clouzot, Les espions risque fort de diviser le public. Cependant, les amoureux d’absurde se régaleront du grand spectacle Kafkaïen et fascinant que constitue le film. Les outrances et traits d’humour y sont si subtilement dosés que le rire arrive finalement pile au moment où l’on s’y attendait le moins. Virtuose et épatant, il ne souffre que d’un regain un peu trop net de sérieux dans sa dernière partie (dans le train) qui, si remarquable soit-elle, tend à faire un peu retomber la portée de l’ensemble.
La collection « La séance »
Cela fait un an et demi maintenant que Coin de mire Cinéma propose avec régularité de véritables classiques français oubliés au cœur de sa riche collection « La séance ». En l’espace de ces quelques mois, le soin maniaque apporté par l’éditeur à sa sélection de films du patrimoine français semble avoir porté ses fruits, et Coin de mire est parvenu à se faire une place de tout premier ordre dans le cœur des cinéphiles français. L’éditeur s’impose en effet comme une véritable référence en termes de qualité de transfert et de suppléments, les titres de la collection se suivent et ne se ressemblent pas, prouvant à ceux qui en douteraient encore la richesse infinie du catalogue hexagonal en matière de cinéma populaire. Comme on regrette d’avoir « loupé » les sorties précédentes – une telle initiative est forcément à soutenir, surtout à une époque où le marché de la vidéo « physique » se réduit comme peau de chagrin d’année en année.
Chaque titre de la collection « La séance » édité par Coin de mire s’affiche donc dans une superbe édition Combo Blu-ray + DVD + Livret prenant la forme d’un Mediabook au design soigné et à la finition maniaque. Chaque coffret Digibook prestige est numéroté et limité à 3.000 exemplaires. Un livret inédit comportant de nombreux documents d’archive est cousu au boîtier. Les coffrets comprennent également la reproduction de 10 photos d’exploitation sur papier glacé (format 12x15cm), glissés dans deux étuis cartonnés aux côtés de la reproduction de l’affiche originale (format 21×29 cm). Chaque nouveau titre de la collection « La séance » s’intègre de plus dans la charte graphique de la collection depuis ses débuts à l’automne 2018 : fond noir, composition d’une nouvelle affiche à partir des photos Noir et Blanc, lettres dorées. Le packaging et le soin apporté aux finitions de ces éditions en font de véritables références en termes de qualité. Chaque coffret Digibook prestige estampillé « La séance » est donc un très bel objet de collection que vous serez fier de voir trôner sur vos étagères.
L’autre originalité de cette collection est de proposer au cinéphile une « séance » de cinéma complète, avec les actualités Pathé de l’époque de la sortie, les publicités d’époque (qu’on appelait encore « réclames ») qui seront bien sûr suivies du film, restauré en Haute-Définition, 2K ou 4K selon les cas. Dans le cas de Les espions, il s’agit d’une restauration 2K réalisée par TF1 Studio à partir du négatif original.
La quatrième vague de la collection « La séance », qui contient déjà 25 titres au total, est disponible depuis le 6 mars, soit quelques jours à peine avant le confinement. Les titres annoncés sur cette vague auront de quoi mettre l’eau à la bouche des cinéphiles, puisqu’on y trouve Les espions (Henri-Georges Clouzot, 1957), La vérité (Henri-Georges Clouzot, 1960), Des pissenlits par la racine (Georges Lautner, 1964), Le monocle rit jaune (Georges Lautner, 1964), La chasse à l’homme (Edouard Molinaro, 1964) et Les jeunes loups (Marcel Carné, 1968). Pour connaître et commander les joyaux issus de cette magnifique collection, on vous invite à vous rendre au plus vite sur le site de l’éditeur.
Le coffret Digibook prestige
[5/5]
Côté master, Coin de mire, à qui nous devons aujourd’hui le plaisir de (re)découvrir Les espions sur support Blu-ray, a livré un travail technique tout simplement exceptionnel. Encodé en 1080p et au format 1.66 :1 respecté, l’image est quasiment irréprochable, affichant un piqué et des contrastes tout simplement extraordinaire, permettant au film de retrouver une nouvelle jeunesse, tout en respectant scrupuleusement le grain argentique d’origine. C’est du grand Art. Côté son, la version française d’origine est naturellement proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 mono, sans le moindre souffle ni la moindre anicroche technique. Des sous-titres à destination du public sourd ou malentendant sont également disponibles.
Dans la section suppléments, et c’est la particularité de l’éditeur, on aura à nouveau l’opportunité de « reconstituer » chez soi une séance de cinéma telle que nos aïeux ont pu la vivre en 1957. Avis aux nostalgiques des séances de ciné de leur enfance… On commencera dans la joie et la bonne humeur avec les Actualités Pathé de la 41ème semaine de l’année 1957 (10 minutes). Au menu cette semaine, un sujet sur les chutes au travail, avec à la clé la présentation d’une usine à la pointe de la modernité afin d’éviter les chutes. On continuera ensuite avec la venue du président Eisenhower aux soldats du sous-marin nucléaire le « Sea wolf », l’inauguration de la première usine de traitement du minerai d’uranium en France, ou encore sur les immigrés Kabyles en France, qui envoint une partie de leur paye à leurs proches restés au pays. Enfin, on terminera avec un véritable « défilé de stars » au Salon de l’Auto à Paris, puisque des pointures du Septième Art telles qu’Eddie Constantine, Louis de Funès, Colette Ricard, les inséparables Roger Pierre et Jean-Marc Thibault ou encore Robert Lamoureux et Annie Girardot donneront tous de leur personne afin d’amuser la galerie. On continuera avec les « réclames », soit une sélection de publicités diffusées dans les salles en 1957 (7 minutes). Comme d’habitude, c’est à la fois désuet et très drôle – un bon témoin des changements des mœurs en l’espace de 60 ans..
Avant de terminer avec une sélection de bandes-annonces de films disponibles au sein de la collection « La séance », l’éditeur Coin de mire nous propose de nous plonger dans un formidable entretien avec Jacques Tardi (18 minutes). Tardi bien sûr, c’est un auteur de bandes dessinées absolument mythique, à qui l’on doit entre autres Les aventures extraordinaires d’Adèle Blanc-Sec, C’était la guerre des tranchées ou encore Le cri du peuple adapté du roman de Jean Vautrin. Il y reviendra avec dynamisme sur sa passion pour le cinéma d’Henri-Georges Clouzot, et en particulier pour Les espions, qu’il aime tout particulièrement. Il reviendra tout particulièrement sur le décor et les aspects les plus visuels du film, mais abordera également les personnages et leur psychologie. Très intéressant et sans temps mort.