Les Crocs du diable
Espagne : 1977
Titre original : El Perro
Réalisation : Antonio Isasi-Isasmendi
Scénario : Antonio Isasi-Isasmendi, Juan Antonio Porto
Acteurs : Jason Miller, Lea Massari, Marisa Paredes
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h54
Genre : Fantastique, Thriller
Date de sortie cinéma : 4 juin 1980
Date de sortie DVD/BR : 17 mai 2022
Quelque part en Amérique latine, un dictateur nommé Leónidas Arévalo fait régner la terreur dans son pays. Comme de nombreux autres opposants politiques, le mathématicien Arístides Ungria croupit derrière les barreaux de la prison de San Justo. Un jour, il profite d’un moment d’inattention pour s’enfuir, avant d’être rattrapé par le gardien Zancho et son redoutable chien. Arístides finit par abattre le militaire mais, avant de mourir, celui-ci ordonne à l’animal de tuer le fugitif. La bête va alors traquer Arístides jusqu’à la capitale pour venger son maître…
Le film
[4/5]
On avait déjà abordé Les Crocs du diable l’année dernière à l’occasion de la sortie en Blu-ray du film Rottweiler réalisé par Brian Yuzna en 2004. En effet, il se trouve que le film de Yuzna est en fait un remake du film édité aujourd’hui par Carlotta Films, reprenant en grande partie les modifications apportées au roman d’origine (« El Perro » d’Alberto Vázquez-Figueroa) par le scénariste Juan Antonio Porto pour le film de 1977. Le roman, paru en 1975 et traduit dans une vingtaine de langues, jouait la carte d’une approche pour le moins minimaliste : un protagoniste appelé « l’homme » (en majuscules dans la narration) y était poursuivi par un chien nommé « chien » (en majuscules dans la narration). Seulement deux personnages anonymes et une intrigue extrêmement simple et linéaire, prenant la forme d’une course-poursuite : c’était probablement un peu court pour Antonio Isasi-Isasmendi et son scénariste Juan Antonio Porto, qui retravailleraient de fait le récit afin de lui offrir une nouvelle structure, et de créer un background à l’histoire qui nous est racontée dans Les Crocs du diable.
Juan Antonio Porto a donc proposé une situation métaphorique, situant l’intrigue dans un pays anonyme d’Amérique du Sud, afin d’évoquer la violence et la répression. De ce fait, le scénario des Crocs du diable s’impose davantage comme une réinterprétation ou une « version libre » que comme une adaptation du roman ». Le scénariste et le réalisateur ont manipulé et modifié une partie du sens du livre, augmenté le nombre de personnages et de situations. Dans l’adaptation cinématographique, l’animal deviendra rapidement un symbole, puisqu’il est identifié à la tyrannie politique. La métaphore chien-oppression est d’autant plus claire que la relation entre le chien et le dictateur est clairement établie dès les premières secondes du film, qui nous expliquent que le surnom du souverain est « le chien ».
Le scénario des Crocs du diable enrichit de ce fait considérablement l’intrigue de base du roman, non seulement en la localisant d’un point de vue géographique, mais également en y ajoutant une poignée d’intrigues secondaires : le héros du film, Arístides (Jason Miller), est maintenant un mathématicien, qui plus est amoureux de Muriel, une femme mariée à l’un des policiers les plus sanguinaires du régime. Plus important encore, le scénario du film est également chargé politiquement et socialement. Pour Antonio Isasi-Isasmendi et Juan Antonio Porto, le fait d’aborder une dictature militaire dans un pays d’Amérique latine fait évidemment référence à des dirigeants tels qu’Augusto Pinochet, Alfredo Stroessner, Anastasio Somoza, Jorge Rafael Videla… et bien sûr par extension à Franco.
Les Crocs du diable a également connu une autre vie sous le titre Le chien, qui fut utilisé pour son exploitation en VHS. Et il y a une logique à cela : le personnage principal du film est bel et bien le chien, un berger allemand en l’occurrence. Le héros « humain », Arístides, est certes le moteur de l’action, mais la mise en scène valorise sans conteste les efforts du chien, son étrange « personnalité », son charisme extrêmement séduisant. Le découpage du film en lui-même met également le film en avant : Antonio Isasi-Isasmendi ne nous proposera ainsi qu’un seul plan subjectif issu du point de vue d’Arístides, tandis qu’on aura droit à une vingtaine de plans vus en adoptant le point de vue du chien.
Un chien beau comme un camion, en somme, et que l’on pourrait d’ailleurs presque comparer au poids lourd au centre du film de Steven Spielberg Duel : increvable, indestructible, il va toujours de l’avant sans que l’on ne puisse jamais réellement tirer au clair ses motivations. Pour autant, il y a également des différences de contexte assez nettes : le camion du film de Spielberg est une machine à tuer aussi indéchiffrable que maléfique, tandis que le chien des Crocs du diable est utilisé comme un symbole de pouvoir (il est caressé et choyé par les tyrans), d’oppression (il aboie et contrôle les prisonniers) et de mort (il est utilisé pour retrouver et capturer les prisonniers en fuite).
On ajoutera d’ailleurs que la peur de la « morsure », centrale au cœur du film, pourra être étendue à une certaine peur de la castration, que l’on retrouve lors de la première séquence des Crocs du diable, qui voit deux fugitifs traqués par le chien – quand ce dernier finira par attaquer un des deux fuyards, la caméra d’Antonio Isasi-Isasmendi est clairement placée entre les jambes du fugitif, juste avant la charge de l’animal. On retrouvera également cette idée au cœur de l’incongrue séquence durant laquelle Arístides affronte le chien alors qu’il est complètement nu (séquence qui sera d’ailleurs reprise dans le Rottweiler de Brian Yuzna).
Le Blu-ray
[4,5/5]
On ne s’attendait pas forcément à voir débarquer Les Crocs du diable au format Blu-ray en France, et on doit cette agréable (re)découverte aux équipes de Carlotta Films. La sortie de ce titre est d’ailleurs un événement en soi, dans le sens où il s’agit d’une exclusivité mondiale – la France est en effet le premier pays à nous proposer le film au format Blu-ray. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que du côté du master Haute Définition, l’éditeur a indéniablement fait ce qu’on attendait de lui : dès les premiers plans, on constatera en effet que le boulot de restauration a été fait avec soin, la qualité visuelle de l’ensemble est vraiment saisissante. Le grain d’origine est bien là, et bien rugueux comme il le faut, le piqué est d’une belle précision, et les couleurs sont naturelles et rendent hommage à la belle photo du film, signée Juan Gelpí. Bref, on est en présence d’un très beau Blu-ray ! Côté son, c’est la classe également : les deux mixages DTS-HD Master Audio 1.0 (VF/VO) se révèlent particulièrement clairs dans la restitution des dialogues et des différentes ambiances. Du beau travail. On notera par ailleurs que l’illustration ornant la jaquette du Blu-ray a été créée par Doaly exclusivement pour cette édition.
Au rayon des bonus, on commencera tout d’abord avec une émission spéciale du « Bistro de l’horreur » (27 minutes), produite et réalisée par l’équipe de Filmo dans le cadre de la diffusion du film. On y écoutera avec plaisir les propos de François Cognard, Mélanie Boissonneau et Christophe Lemaire. On terminera enfin avec un passionnant entretien avec Fabrice du Welz et Fathi Beddiar (35 minutes), consacré au film, et fonctionnant sur le principe de la discussion entre amis.