Test Blu-ray : Les chiens

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Les chiens

France : 1979
Titre original : –
Réalisateur : Alain Jessua
Scénario : Alain Jessua, André Ruellan
Acteurs : Gérard Depardieu, Victor Lanoux, Nicole Calfan
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h40
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 7 mars 1979
Date de sortie DVD/BR : 30 juin 2021

Henri Ferret, un jeune médecin, vient s’installer en banlieue parisienne. Très vite, il reçoit la visite de nombreux patients blessés par des morsures de chiens. Des chiens de garde que les habitants ont achetés à un éleveur charismatique afin de se protéger des agressions nocturnes…

Le film

[4/5]

L’œuvre d’Alain Jessua (1932-2017) se limite à neuf longs-métrages, très espacés dans le temps, puisqu’ils ont été tournés sur une période d’un peu plus de trente ans, entre 1964 et 1997. Mal connue, sa filmographie n’a malheureusement jamais réellement bénéficié de l’attention qu’elle méritait, même si, en 2017, la Cinémathèque Française lui avait consacré une rétrospective, présentant son travail de la manière suivante :

« Certains ont parfois critiqué la vraisemblance de ses récits, mais Jessua a toujours été un cinéaste prémonitoire et intuitif dont la majorité des films a abordé des thèmes qui font encore l’actualité aujourd’hui : l’obsession du tout-sécuritaire, l’exploitation des travailleurs immigrés (Les chiens, 1979), la société-spectacle, la mise en scène des criminels (Armaguedon, 1977), la peur de vieillir, l’aspiration à une forme d’éternité qui vampiriserait la jeunesse (Traitement de choc, 1973), ou encore la question importante qui interroge autant Jessua qu’une grande partie de l’humanité : comment être heureux aujourd’hui, qu’est-ce qui peut nous faire atteindre un bonheur total ? (…)

Ses personnages « hors norme », parfois monstrueux, qui se dédoublent souvent, en exprimant tantôt leurs forces, tantôt leurs fragilités, sont toujours regardés et incarnés avec un minimum d’empathie. Ce sont des expérimentateurs, sur eux-mêmes comme sur leur entourage ou sur la société. Ce n’est certainement pas un hasard d’ailleurs si Jessua livrera sa propre version d’un des plus grands mythes fantastiques (Frankenstein 90, 1984). » – Bernard Payen.

Le moins que l’on puisse affirmer d’Alain Jessua est qu’il s’agissait d’un cinéaste singulier, ayant livré au fil des années 70 quelques-unes des œuvres les plus remarquables du cinéma français. C’est également l’avis de Jean-Baptiste Thoret, qui nous propose ce mois-ci de (re)découvrir Les chiens au sein de sa collection de Blu-ray / DVD « Make my day ».

Tourné peu de temps après Armaguedon (1977) et son dézingage en règle des médias de masse, Alain Jessua enchaîne donc avec Les chiens, qui sortirait au printemps 1979. Le film propose au spectateur d’assister à la lente montée de la violence prenant place au cœur d’une agglomération étrangement vide, dépeuplée, « en travaux », évoquant tout à la fois une ville de western ou une espèce de ville fantôme. Le tournage s’est déroulé à Torcy, commune se situant dans la « ville nouvelle » de Marne-la-Vallée, et les lieux de l’action tels qu’ils sont présentés par Jessua nimbent le film d’une aura de mystère, presque fantastique, donnant au public la vague impression que le monde représenté à l’écran n’est pas tout à fait le nôtre.

Tout au long du récit, Les chiens multiplie les signes avant-coureurs de la violence qui ne manquera immanquablement pas de se déchainer au cœur d’un univers présenté en vase clos, tout recours à l’extérieur étant systématiquement étouffé par ceux qui sont désignés comme « les hommes-chiens », dont le rayon d’action semble cependant se limiter au seul périmètre de la ville. Ainsi, quand le personnage du docteur Ferret incarné par Victor Lanoux fuira la ville à l’occasion d’une séquence, ses poursuivants feront demi-tour, comme s’ils ne pouvaient quitter l’enceinte de leur commune. Cette étrangeté confère définitivement au film une atmosphère fantastique, Les chiens nous montrant une population toute entière sous l’emprise d’un maitre-chien érigé en gourou. Quelques individus sous sa coupe suffiront finalement à ce que le mal s’étende à la communauté tout entière, et que tous renoncent finalement à leur humanité et à leur libre arbitre pour devenir des « hommes-chiens ».

Car le sujet du film est bien en fait la déshumanisation : Jessua en dissèque les mécanismes psychologiques, en insistant particulièrement sur le rôle joué par une sexualité refoulée. C’est particulièrement clair à l’occasion d’une scène de dressage revêtant un caractère particulièrement sexuel, et mettant en scène Elisabeth (Nicole Calfan) et Morel (Gérard Depardieu) – littéralement en transe, ils ne font plus qu’un avec la violence déchainée par leurs chiens. Le personnage interprété par Nicole Calfan est d’ailleurs particulièrement intéressant dans le déroulement du récit, car elle représente une figure de « rationalité », qui finira elle aussi par se laisser retourner, au grand dam de Victor Lanoux. Sa trajectoire est plus marquante que celle d’autres personnages du film, qui semblaient à priori du côté de la raison, mais dont on ne connait finalement que peu de choses (l’infirmière, le maire, le pharmacien). Alain Jessua en revanche met Elizabeth au cœur des Chiens : traumatisée par le viol dont elle a été victime, elle refuse dans un premier temps le chien que lui propose Morel. Pourtant, elle finira peu à peu elle aussi par devenir une « femme-chien », et prendra part malgré elle à la mort d’un homme.

« Il n’y a pas de mauvais chiens, juste de mauvais maîtres » déclare Morel, repris en chœur par des habitants réduits à l’état de zombies. Mise en scène de la psychose collective, de la peur et de la violence, Les chiens stigmatise – avec de nombreuses années d’avance – le réflexe sécuritaire insensé conduisant les individus à dresser des chiens d’attaque afin de « se protéger ». De qui, de quoi, on l’ignore, même si le film développe une ambiance de déliquescence sociale au cœur de laquelle tout le monde se méfie de son voisin, surtout si ce dernier est différent – un étranger, un jeune… Bien sûr, suivant l’adage selon lequel « la meilleure défense, c’est l’attaque », les « hommes-chiens » du film de Jessua ne tarderont pas à devenir eux-mêmes les agresseurs dont ils voulaient se défendre… La charge à l’encontre de la classe moyenne française est féroce, surtout si l’on considère que les citoyens emmènent leurs chiens partout avec eux – on pense à cette séquence de conseil municipal littéralement noyé sous les aboiements – alors même qu’un couvre-feu est instauré pour la communauté sénégalaise parquée dans un coin de la ville…

Au final, Les chiens s’impose donc comme un film assez glaçant dans le portrait qu’il dresse de cette petite communauté tellement dominée par la peur qu’elle finit par en perdre son humanité et se voit reléguée au statut de « chiens ». La fin du film, sous ses allures de happy-end de façade, n’en sera d’ailleurs que plus amère : en permettant à Elizabeth de s’enfuir, le personnage incarné par Victor Lanoux n’a-t-il pas donné au mal la possibilité de s’étendre au-delà des limites de la ville ? C’est en tous cas ce que semble signifier le dernier plan d’un film qui, quarante ans après sa sortie, n’a rien perdu ni de sa force, ni de son acuité.

Le Blu-ray

[4,5/5]

Disponible chez StudioCanal à partir du 30 juin 2021, Les chiens s’offre donc un très attendu lifting Haute-Définition sur galette Blu-ray, intégrant à cette occasion la riche collection « Make My Day » initiée par l’éditeur et Jean-Baptiste Thoret, dont il constitue le trente-sixième numéro. Pour célébrer à sa juste valeur la belle (re)découverte que constitue le film d’Alain Jessua, l’éditeur nous le propose dans d’excellentes conditions techniques. Le film est présenté au format 1.66 respecté et en 1080p. La photo du film, signée Étienne Becker (fils de Jacques, frère de Jean), ne se voit pas trahie par un encodage soigné : le grain argentique est respecté, les contrastes sont tranchants, le piqué précis, et le rendu HD est satisfaisant : un excellent travail. Côté son, le film est proposé dans un mixage DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine : le rendu acoustique est clair et ne pose pas le moindre problème.

Rayon suppléments, l’éditeur nous propose la traditionnelle présentation de Jean-Baptiste Thoret (8 minutes), qui introduira les aspects les plus importants du film, tout en élargissant sur la carrière d’Alain Jessua. Cette introduction peut être visionné soit dans la section suppléments, soit avant le film. Elle sera par ailleurs complétée par une présentation du film par Philippe Rouyer (52 minutes), longue et extrêmement complète, et qui abordera quant à elle de multiples aspects du film : tout sera passé en revue, de la préparation au tournage en passant par la richesse thématique ou encore le scénario d’André Ruellan, qui sera par la suite décliné sous forme de roman. Enfin, StudioCanal recycle également les entretiens avec Alain Jessua et Nicole Calfan (25 minutes), hérités de l’édition DVD de 2006. Il s’agit d’une mine d’informations et d’anecdotes passionnantes sur la préparation et le tournage du film : on y apprendra les raisons pour lesquelles Gérard Depardieu a tourné le film, on y reviendra sur les doutes de Victor Lanoux et Jessua se remémorera, hilare, le tournage d’une scène ayant presque fini en drame pour Pierre Vernier. Nicole Calfan de son côté expliquera qu’elle avait décliné un rôle de James Bond Girl pour tourner avec Jessua. Très pudique, elle se souviendra également que le tournage de la scène de dressage montée à la façon d’une scène de sexe lui avait posé quelques problèmes.

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