Le Vampire de Düsseldorf
France, Espagne, Italie : 1965
Réalisation : Robert Hossein
Scénario : Claude Desailly, Georges Tabet, André Tabet, Robert Hossein
Acteurs : Robert Hossein, Marie-France Pisier, Roger Dutoit
Éditeur : Sidonis Calysta
Durée : 1h31
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 7 avril 1965
Date de sortie DVD/BR : 1 février 2022
Allemagne, le début des années 1930. Tandis que les nazis resserrent leur étau sur toute la société, l’ouvrier Peter Kürten semble mener une existence banale. Rien n’indique qu’il pourrait être le tueur de femmes que la presse surnomme « le vampire de Düsseldorf ». Épris d’Anna, une chanteuse de cabaret, c’est pourtant lui ce redoutable prédateur qui séduit ses victimes avant de les assassiner…
Le film
[4/5]
Visiblement fasciné par les facettes les plus sombres de l’âme humaine, Robert Hossein prolongeait avec Le vampire de Düsseldorf en 1965 la réflexion sur la figure du « tueur en série » qu’il avait déjà entamée en tant qu’acteur en incarnant, en 1961, un psychopathe homicide dans La menace de Gérard Oury. Impossible en effet de ne pas dresser de parallèle entre le personnage de Savary, le pharmacien tueur du film de 61, et le portrait de Peter Kürten qu’il nous donnerait à voir quatre ans plus tard : même visage impassible, même démarche désincarnée, même rigidité angoissante… Le Peter Kürten de Robert Hossein est un étranger au genre humain, un personnage mutique, observant son entourage sans mot dire, donnant parfois l’impression de revêtir un masque – un masque social en l’occurrence, destiné à dissimuler sa nature de monstre.
Robert Hossein bien sûr en fait beaucoup, en rajoute dans l’austérité du personnage, taciturne, asocial, ne semblant jamais à sa place nulle-part, se déplaçant par des gestes lents, comme s’il portait le costume de quelqu’un d’autre, une « bestiole en costume d’Edgar » avec quelques années d’avance, si vous préférez. Par le biais de cette interprétation extrêmement théâtrale, aux limites de l’absurde par moments, Robert Hossein tendrait presque à faire basculer Le vampire de Düsseldorf, qu’il affirmait pourtant comme naturaliste et fidèle à la réalité historique, dans le fantastique pur.
Il faut dire aussi qu’avec Robert Hossein derrière la caméra, le fantastique n’est jamais bien loin : ses premiers films en tant que cinéaste (on pense aux Salauds vont en enfer, à Toi le venin ou encore au curieux western Le goût de la violence) s’y rattachaient en effet tous un peu à leur manière, sans jamais néanmoins aborder le genre de front. C’est la même chose avec Le vampire de Düsseldorf : il s’agit avant tout d’un film « réaliste », sans recours au surnaturel ou à un onirisme trop appuyé, même si ses compositions de plans, la photographie d’Alain Levent et l’étrangeté baignant certaines séquences lui donnent une coloration flirtant parfois gentiment avec le cinéma de genre.
Objet cinématographique très sophistiqué, Le vampire de Düsseldorf a bénéficié d’un tournage en Scope, avec le procédé Franscope, principalement utilisé sur les films de la Nouvelle Vague. La photo noir et blanc d’Alain Levent, très contrastée, crée à l’écran de fortes zones d’ombres et de lumières, ce qui tend, certes, à faire reculer le naturalisme de l’entreprise, mais permet de rendre hommage au talent des expressionnistes allemands, et principalement à Fritz Lang et à son M le maudit, qui adaptait déjà le parcours criminel de Peter Kürten. Robert Hossein semble également avoir porté une attention tout particulière à la profondeur de champ : nombreux sont les plans mettant en scène des personnages ou des actions en arrière-plan, isolant souvent le personnage incarné par Robert Hossein. Ce soin apporté à la mise en forme du film n’empêche néanmoins pas le recours à un certain réalisme social, le film retranscrivant de façon assez remarquable l’atmosphère de l’entre-deux guerres en Allemagne, avec la chute de Weimar et la montée en puissance d’Hitler.
C’est d’ailleurs probablement grâce à ce réalisme légèrement teinté de fantastique que Le vampire de Düsseldorf s’impose encore, près de soixante ans après sa sortie, comme aussi réussi et fascinant. Bien entendu, l’intrigue qui nous est proposée ici est assez éloigné de la vérité en ce qui concerne l’abjection des meurtres perpétrés par Peter Kürten, de même que concernant sa vie personnelle : le vrai « Vampire de Düsseldorf » était en effet marié, et n’avait par conséquent pas l’existence solitaire en mode romantique désespéré que le film lui confère. De la même façon, si son existence fut un temps tournée vers le syndicalisme (comme le sous-entend le film au détour d’une séquence), il n’était pas au chômage au moment de son arrestation, mais exerçait le métier de camionneur – c’est d’avoir laissé quelques-unes de ses futures victimes en vie début 1930 qui causerait sa perte.
Le Blu-ray
[4/5]
En attendant la sortie au format Blu-ray de deux grands classiques du fantastique italien signés Mario Bava (Le Masque du démon et La fille qui en savait trop), Sidonis Calysta nous propose donc ce mois-ci de redécouvrir un autre classique, Le vampire de Düsseldorf, également sur support Haute-Définition. Techniquement, l’éditeur connaît son affaire et il y aura bien peu à (re)dire concernant cette édition Blu-ray : la définition est précise, le noir et blanc bien saturé, avec des noirs profonds et des blancs lumineux, et la restauration entreprise par l’éditeur a pris soin de préserver le grain argentique d’origine. Bien sûr, les plans « à effets » (générique, mentions écrites, fondus enchaînés) accusent des effets du temps, mais le reste est d’une propreté et d’une stabilité tout à fait étonnantes. Côté son, la version française est naturellement proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 : le rendu acoustique est aussi stable et propre que parfaitement clair.
Côté suppléments, Sidonis Calysta nous propose tout d’abord une présentation du film par Patrick Brion (9 minutes), qui, comme à son habitude, maniera à la perfection l’Art de broder sur un film sans avoir pris le soin de le revoir au préalable. Il reviendra donc sur la carrière de Robert Hossein en tant qu’acteur et réalisateur, notera les différences entre le film et l’existence réelle de Peter Kürten, et saluera l’ambiance du film et la performance de Marie-France Pisier. On continuera ensuite avec une présentation du film par François Guérif (13 minutes). Ce dernier soulignera également en préambule que l’atmosphère « Historique » du Vampire de Düsseldorf est plus fidèle à la réalité que l’histoire du tueur. Il enchainera ensuite avec un petit retour sur le film, évoquant le format Scope, les relents expressionnistes ou encore l’utilisation habile de la profondeur de champ, qui finissent par donner l’impression que le personnage de Robert Hossein est un « rêveur absent du monde ».
En complément de ces entretiens inédits, Sidonis Calysta recycle également les suppléments du DVD de 2004 édité par Opening. Cela sera l’occasion de se replonger dans un entretien avec Robert Hossein (18 minutes), qui avouera d’entrée de jeu que Le vampire de Düsseldorf est, parmi ceux qu’il a réalisés, son petit préféré. Il évoquera également le soin apporté à la reconstitution historique, ses rapports avec Marie-France Pisier, la musique de son père André Hossein ou encore ses différents choix techniques et narratifs. On continuera ensuite avec un très court entretien avec Marie-France Pisier (2 minutes), qui reviendra sur quelques-uns de ses souvenirs du film, et on terminera enfin avec un entretien avec Marcel Schneider (18 minutes). L’écrivain, auteur d’un ouvrage de référence sur le « vrai » vampire de Düsseldorf (écrit en 1975 en collaboration avec Philippe Brunet) reviendra quant à lui sur les faits ayant inspiré le scénario du film, ainsi que sur les différences entre la personnalité supposée du psychopathe et l’interprétation qu’en proposait Robert Hossein.