Le Secret
France, Italie : 1974
Titre original : –
Réalisation : Robert Enrico
Scénario : Robert Enrico, Pascal Jardin
Acteurs : Jean-Louis Trintignant, Philippe Noiret, Marlène Jobert
Éditeur : StudioCanal
Durée : 1h42
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 28 septembre 1974
Date de sortie DVD/BR : 14 juin 2023
Retenu dans une prison psychiatrique, David Daguerre s’en évade en tuant un gardien, puis trouve asile dans une maison isolée des Cévennes. Il dit être pourchassé pour avoir vu quelque chose qu’il n’aurait jamais dû voir. Thomas, ancien militant politique, se prend d’amitié pour cet homme traqué qui réveille en lui le goût de l’aventure…
Le Film
[4/5]
En France, dès que l’on parle de thriller paranoïaque à connotation politique ou à des films mettant en scène d’odieuses « machinations d’État », on pense volontiers à Costa-Gavras (Z, L’Aveu) ou à Henri Verneuil, qui s’était également illustré dans le genre avec le très intéressant I comme Icare. Pour autant, comme chez nos voisins italiens, d’autres cinéastes s’étaient engouffrés dans la brèche d’un certain cinéma volontiers décrit comme « parano » et développant un discours très critique vis-à-vis des institutions de l’État : c’est le cas de Robert Enrico avec Le Secret, un film malheureusement un peu oublié de nos jours, sorti sur les écrans français en 1974.
Le contexte social des années 70, bercé par les désillusions de la période post-68, fut un terreau propice à l’éclosion de ce genre subversif. La défiance du public vis-à-vis des gouvernements et de leurs accointances avec le grand Capital était de plus régulièrement entretenue par différents scandales politico-judiciaires qui secouaient à l’époque les plus hautes sphères de l’État. Adapté du roman de Francis Ryck « Le Compagnon indésirable » (Série Noire, 1972), Le Secret s’impose donc comme un film parfaitement dans l’air de son temps, dénonçant les dérives de la société des 70’s tout en mettant en scène des personnages en rupture avec la société de consommation.
Là est d’ailleurs une des grandes habiletés du scénario conçu par Robert Enrico et Pascal Jardin pour Le Secret : on ignore certes tout du passé du personnage incarné par Jean-Louis Trintignant, et l’on n’en saura pas beaucoup plus de ce fameux « secret » qu’il dissimule (un peu comme celui de la princesse Wakany, me souffle-t-on à l’oreille). Si le dernier acte du film met un terme aux questions que pouvait éventuellement se poser le spectateur quant à la véracité de la menace qui pesait sur le personnage, Le Secret s’avère également intéressant dans la façon méticuleuse avec laquelle il s’abstient de révéler les raisons ayant poussé le couple Philippe Noiret / Marlène Jobert à quitter Paris pour s’installer à la campagne et y vivre en quasi-autarcie. Quelles sont donc les raisons de ce « retour à la terre » ?
Vous l’aurez compris : Le Secret fait partie de ces films qui soulèvent un certain nombre de questions sans pour autant apporter de réponses au spectateur – à lui donc de « remplir » les trous et autres points de suspension de la narration. Les interactions entre les protagonistes de ce trio de personnages suffiront à créer des passerelles entre David (Jean-Louis Trintignant), qui se désigne lui-même comme une victime du système, et Thomas (Philippe Noiret), qui semble dès le début du film enclin à une certaine paranoïa (« Vous me cherchez ? » sont ainsi les premières paroles qu’il adresse à David, alors que celui-ci traversait juste la forêt). A paranoïaque, paranoïaque et demi, et la réunion de ces deux solitudes souffrant du syndrome de persécution ne pourra, selon toute logique, que mener à un drame.
Interprétés avec beaucoup d’ambiguïté par Jean-Louis Trintignant et Philippe Noiret, ces deux hommes au comportement imprévisible n’en demeurent pas moins parfaitement attachants, alternant entre les moments de franche sympathie et la menace sourde, avec toute la subtilité dont étaient capables ces deux géants du cinéma français. Et entre les deux, il y a bien sûr Marlène Jobert, qui parvient à masquer pendant une grande partie du film son élocution si particulière, et qui permet à Robert Enrico de signer avec Le Secret une bien belle réussite de thriller parano, intrigant de bout en bout, et rythmé par l’époustouflante musique d’Enrico Morricone.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Lancée à la rentrée 2022, la collection « Nos années 70 » éditée par StudioCanal et dirigée par Jérôme Wybon compte déjà une quinzaine de titre en Haute Définition, parmi lesquels on dénombre déjà une poignée d’indispensables succès populaires un peu oubliés ou négligés par la critique. Bref, en l’espace de quelques mois, cette nouvelle collec’ s’est imposée comme absolument incontournable pour les fans de ce cinéma français navigant joyeusement en dehors des sentiers battus – autant dire les vrais connoisseurs en matière d’Art !
Disponible depuis le 14 juin chez vos dealers de culture habituels, Le Secret intègre donc ce mois-ci les rangs de la collection « Nos années 70 ». Techniquement, l’éditeur StudioCanal connaît son boulot et nous le prouve à nouveau, avec un transfert Blu-ray de toute beauté. Couleurs, piqué, contrastes, encodage, respect de la granulation d’origine, tout est fait pour magnifier le travail sur la photo d’Étienne Becker, directeur photo du film. Côté son, le film est proposé en DTS-HD Master Audio 2.0 et s’avère parfaitement clair et équilibré, avec une belle place accordée à la bande originale d’Ennio Morricone. Incontournable !
Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord une présentation du film par Jérôme Wybon (3 minutes), qui replacera le film dans son contexte de tournage d’une façon très synthétique et intéressante. Jérôme Wybon, qui travaille visiblement sans note ni prompteur, se laisse parfois déborder par ses tournures de phrases, quitte à inventer de nouveaux verbes, tels que « se joigner ». On continuera ensuite avec un reportage d’époque sur le tournage du film (5 minutes), qui aura l’avantage de donner la parole à Robert Enrico ainsi qu’aux trois acteurs principaux (Jean-Louis Trintignant / Philippe Noiret / Marlène Jobert), qui s’exprimeront sur le film, l’histoire, les personnages ou, dans le cas de Marlène Jobert, sur le fait d’occuper le poste de productrice. Enfin, on terminera avec une série de cinq scènes coupées (7 minutes), introduites par Jérôme Wybon. Ce dernier nous expliquera les raisons pour lesquelles ces courtes séquences ont été écartées du montage final.