Le prophète
Italie : 1968
Titre original : Il Profeta
Réalisation : Dino Risi
Scénario : Ruggero Maccari, Dino Risi, Ettore Scola
Acteurs : Vittorio Gassman, Ann-Margret, Oreste Lionello
Éditeur : ESC Éditions
Durée : 1h28
Genre : Comédie
Date de sortie DVD/BR : 21 mars 2017
Pietro Breccia est un homme qui a décidé depuis longtemps d’abandonner la civilisation en devenant ermite en laissant derrière lui l’usure de la vie moderne, le consumérisme immodéré et toutes les futilités de la civilisation de consommation elle-même. Depuis des années, il vit dans la solitude sur le mont Soratte, aux environs de Rome. Un jour, il est débusqué par une équipe de télévision qui, flairant le scoop, décide de faire un documentaire sur le curieux ermitage de cet homme. À partir de ce moment, Breccia en a fini avec sa tranquillité. Malgré lui, il se retrouve étouffé par la société en raison de sa notoriété soudaine et du fait qu’il a dévoilé son identité passée…
Le film
[3,5/5]
Tourné en 1968, période de grandes remises en question sociales à travers toute l’Europe, Le prophète a remporté un franc succès en Italie (3,6 millions d’entrées). Pile dans l’air du temps, le film surfait avec malice sur les bouleversements de la société italienne de l’époque : libération des mœurs, féminisme, explosion de la télévision…
Mais derrière ses allures de sympathique bouffonnerie ne prêtant pas à conséquence, Le prophète permettait à Dino Risi, accompagné de ses deux scénaristes Ruggero Maccari et Ettore Scola, de tirer à boulets rouges et clairement tous azimuts sur les dérives de la société italienne de l’époque : en effet, la critique ne porte pas uniquement sur la société de consommation (le film développe d’ailleurs une jolie démonstration du concept Marxiste d’aliénation du travail), mais également sur les mouvements contestataires qui en dérivent ; par exemple, la communauté de hippies est représentée comme un amas hétérogène de gosses capricieux, d’enfants gâtés issus de la bourgeoisie et rejetant en bloc les valeurs de leurs parents… jusqu’à ce que ces derniers viennent les récupérer en les tirant par l’oreille. Même le personnage de Pietro, héros du film, incarné par Vittorio Gassman, vivant en ermite et en autarcie depuis cinq ans, finira, à force de tentations (alcool, nourriture, femmes…), [ATTENTION SPOILERS] par renoncer à ses idéaux et aux valeurs qu’il prônait durant tout le métrage, pour finalement créer son entreprise et s’enfermer dans le travail, comme un bon mouton du Capital. [FIN DES SPOILERS]
En deux mots comme en cent, tout est passé à la moulinette avec un ton cynique et désabusé, volontiers provocateur, voire même parfois gentiment misogyne. Porté par un duo de comédiens remarquables (Vittorio Gassman et Ann-Margret), court, souvent très drôle et bien rythmé, Le prophète s’avère donc une belle petite réussite.
Le Blu-ray
[3,5/5]
Avant d’aborder la qualité du Blu-ray à proprement parler, saluons donc la remarquable initiative d’ESC Éditions, qui avec cette toute nouvelle collection « Edizione Maestro », va nous livrer en 2017 rien de moins que douze comédies italiennes des années 60/70, toutes inédites en vidéo en France : l’occasion pour les cinéphiles de découvrir que le cinéma populaire rital de l’époque proposait un spectre finalement beaucoup plus large que celui auquel on le réduit souvent, avec d’un côté les « auteurs » reconnus (Fellini, Visconti, Pasolini, Antonioni…) et de l’autre le « bis » ou cinéma d’exploitation (western spaghetti, giallo, poliziottesco…). Les douze films de la collection « Edizione Maestro » se situent pile entre ces deux tendances, et ont souvent rencontré de beaux succès dans les salles obscures.
La sortie de ces Blu-ray / DVD se fera en trois vagues successives : les quatre premiers sont sortis le 28 mars (Le prophète, Brancaleone s’en va-t-aux Croisades, Moi, moi, moi… et les autres et Bluff – Histoire d’escroqueries et d’impostures), puis suivront quatre autres films au mois de juin (Les nuits facétieuses, Canard à l’orange, Les russes ne boiront pas de Coca Cola et Histoire d’aimer). La dernière livraison de l’année 2017 est prévue en septembre, avec quatre films supplémentaires (Il gaucho, Belfagor le magnifique, Sais-tu ce que Staline faisait aux femmes et Tant qu’il y a de la guerre, il y a de l’espoir). On fait donc un Grande Su (la version italienne du « Big Up » !) à ESC Éditions pour cette nouvelle collection.
A notre connaissance, ESC est le premier éditeur au monde à proposer de découvrir Le prophète sur support Blu-ray. Disponible en DVD dans quelques pays d’Europe, souvent diffusé à la télévision, le film de Dino Risi n’était à ce jour visible que dans des copies littéralement atroces et recadrées, aux couleurs baveuses et à la définition très approximative – un petit tour sur n’importe-quel moteur de recherche vous montrera l’étendue des dégâts. Alors bien sûr, les puristes et autres ayatollahs de la Haute-Définition crieront sans doute au scandale, targuant ici ou là que la définition du Blu-ray français est indigne du support, et autres joyeusetés. Néanmoins, compte tenu de la rareté du métrage, on soutiendra donc plutôt ici que le rendu du film est tout à fait honorable. Si l’encodage est certes proposé en 1080i (réduisant la durée du film d’1h32 à 1h28), si le piqué manque certes un peu de précision, et si l’on repère quelques artéfacts pouvant être liés à l’utilisation d’un réducteur de bruit numérique, on est néanmoins en présence, et de loin, de la meilleure copie du film disponible à ce jour (voir les trois captures d’écran disponibles au sein de ce test). Les couleurs sont chaudes et naturelles, la profondeur de champ et l’encodage ont été soignés, et même projeté sur un écran de grande taille, Le prophète demeure une expérience HD recommandable, certes clairement perfectible, mais loin, très loin du massacre numérique constaté sur d’autres films italiens sortis en Blu-ray ces dernières années, comme par exemple le Théorème de Pasolini, disponible depuis 2014 chez Sidonis Calysta, ou encore la poignée de films italiens sortis par l’éditeur allemand Power Station en 2011. Côté son, l’éditeur nous propose un mixage en VO italienne et Dolby Digital 2.0.
Du côté des suppléments, ESC Éditions nous propose, en plus des bandes-annonces des films de la collection « Edizione Maestro », une présentation du film par Stéphane Roux, intitulée Dino Risi chez les hippies. On y apprendra notamment que Le prophète était, pour Vittorio Gassman, le plus mauvais film qu’il ait tourné avec Risi, mais en lisant entre les lignes, on remarquera surtout que l’historien du cinéma semble se consumer d’amour pour l’actrice Ann-Margret.
On vous invite à lire également la critique et le test DVD de notre rédacteur Jean-Jacques Corrio, disponible à cette adresse !