Le Masque du démon
Italie : 1960
Titre original : La Maschera del demonio
Réalisation : Mario Bava
Scénario : Ennio De Concini, Mario Serandrei, Mario Bava, Marcello Coscia, Dino De Palma
Acteurs : Barbara Steele, John Richardson, Andrea Checchi
Éditeur : Sidonis Calysta
Durée : 1h28
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 29 mars 1961
Date de sortie DVD/BR : 24 mars 2022
Au 17ème siècle, la sorcière Asa et son amant Igor, accusés de vampirisme, sont mis au supplice mais promettent une vengeance éternelle à leurs tortionnaires. Deux siècles plus tard, la malédiction se réalise : les vampires reviennent à la vie et recommencent à semer la terreur et la mort…
Le film
[5/5]
Directeur photo de renom, Mario Bava est arrivé à la réalisation remplaçant au pied levé Riccardo Freda sur Les Vampires (1957), après que ce dernier ait déserté le plateau suite à une dispute avec les producteurs. Deux ans plus tard, il remplacerait à nouveau Freda aux commandes de Caltiki, le monstre immortel (1959), l’état de santé de celui-ci ne lui ayant pas permis de terminer le tournage. Avec le recul, on voit souvent dans ces deux films les prémices d’un grand cinéaste à venir, mais rien n’aurait réellement pu préparer le public au choc ressenti devant le premier long-métrage « officiel » de Mario Bava, Le Masque du démon.
Flamboyant précurseur de l’horreur gothique italienne, Le Masque du démon s’ouvre sur un prologue impressionnant, qui donnera le ton du film dans sa totalité : fascinant, sadique, cruel et profondément esthétique. La sorcière Asa (Barbara Steele) y est condamnée à mort parce qu’elle a pactisé avec le diable avec l’aide de son amant Igor Javutich (Arturo Dominici). Avant que le « Masque du démon » – un grand masque métallique à l’intérieur garni de pointes – ne lui soit littéralement martelé sur le visage par le bourreau, Asa jette une malédiction sur l’assemblée, et jure de revenir, plus forte que jamais, pour tourmenter et détruire les vivants.
Due secoli dopo, hum, pardon, deux siècles plus tard, le Dr Kruvajan (Andrea Checchi) et son jeune assistant le Dr Gorobec (John Richardson), en voyage à Moscou afin d’assister à une conférence, se retrouvent dans la forêt moldave et découvrent, dans une chambre funéraire abandonnée, le sarcophage d’Asa. Maladroit, Kruvajan se coupe à la main, et son sang coule à l’intérieur du Masque du démon, toujours bien enfoncé sur le visage de la sorcière. Peu après, dans un château voisin, les deux médecins rencontreront la princesse Katja (également interprétée par Barbara Steele), qui se trouve être le portrait craché de son aïeule Asa, et qui vit avec son père le prince Vajda (Ivo Garrani) et son frère Constantin (Enrico Oliveiri). C’est le coup de foudre pour Gorobec, qui tombe immédiatement amoureux de Katja. Mais dans l’ombre, les sombres projets d’Asa se réalisent…
Ranimée par le sang de Kruvajan, la méchante incarnation de Barbara Steele utilise ses pouvoirs afin de ressusciter Javutich, et c’est précisément à ce moment que Le Masque du démon passe de l’excellent au sublime : la scène durant laquelle le mort-vivant sort de sa tombe puis enlève le masque métallique de son visage est l’une des plus atmosphériques de tout le film, et probablement plus largement une des scènes les plus « séminales » de tout le cinéma fantastique, toutes époques et nationalités confondues. On ne mesure pas tout à fait l’influence majeure et incontournable qu’a pu en effet avoir le film de Mario Bava sur le petit monde du cinéma horrifique. Si cette dernière est évidente sur des productions telles que Sleepy Hollow, on peut également ressentir clairement l’impact du film de Bava sur certains films horrifiques majeurs qui seraient réalisés moins de dix ans plus tard – même un film tel que La nuit des morts-vivants de George A. Romero doit une partie de sa personnalité au cinéma de Mario Bava.
Le Masque du démon est une production se situant au carrefour de plusieurs influences : si le film est très librement inspiré du conte fantastique « Vij » de Nicolas Gogol (qui serait également adapté en Russie quelques années plus tard sous le titre Vij ou le diable), Mario Bava s’inspire ouvertement de plusieurs films antérieurs, qui l’on marqués de façon plus ou moins évidente. Ainsi, Le Masque du démon allie donc à l’image l’élégance des films de monstres classiques de la Universal à la facture formelle gothique des films d’horreur produits par la société Hammer Films dans la deuxième moitié des années 1950 : on pense forcément à Frankenstein s’est échappé (1957) et au Cauchemar de Dracula (1958), tous deux signés Terence Fisher. Pour autant, Mario Bava parvient à créer au cœur du Masque du démon une atmosphère morbide assez unique en son genre, renforcée par l’utilisation d’un noir et blanc absolument somptueux, qui permet par ailleurs à Bava de pousser un peu plus loin les curseurs en termes de violence et de sadisme. On notera également que le film développe aussi par moments une petite touche de poésie macabre et surréaliste, qui évoque directement La Belle et la Bête de Jean Cocteau (1946).
Porté par une photo sublime, des décors extraordinaires et la double-prestation légendaire de Barbara Steele, Le Masque du démon déroule donc sa classe extraordinaire tout au long d’une intrigue certes un peu confuse mais parfaitement rythmée et toujours passionnante. Magnifiquement filmé, excessif et baroque, il fait partie de ces films qui ne peuvent littéralement pas s’oublier, et qui hanteront à jamais votre vie de cinéphile.
Le Combo Blu-ray + 2 DVD
[4,5/5]
Après des années d’attente fébrile pour les amoureux du genre fantastique, qui avaient d’ailleurs fini par se faire une raison, Le Masque du démon débarquera donc le 24 mars sur support Blu-ray, et sous les couleurs de Sidonis Calysta, dans une édition qui promet de s’imposer comme la référence française concernant le film de Mario Bava. A l’occasion de la sortie du film en Combo Blu-ray / DVD, l’éditeur en a d’ailleurs profité pour créer la « Collection Mario Bava », qui s’enrichira le même jour de l’excellent La Fille qui en savait trop, que l’on chroniquera le 4 avril en ouverture de notre « Semaine du Giallo ».
Côté master, le transfert Haute-Définition du Masque du démon nous propose une présentation extrêmement solide du film. Le film est bel et bien proposé au format 1.66 respecté et encodé en 1080p, et affiche un niveau de détail satisfaisant, tout en respectant scrupuleusement le grain pellicule d’origine. Le piqué est certes perfectible, de petites rayures et taches apparaissent de temps à autre, et les plans à effets dénotent d’une baisse de définition assez considérable, mais dans l’ensemble, les contrastes pointus accentuent l’impression de profondeur de l’ensemble, tout en soulignant les qualités de la photo noir et blanc de Mario Bava : c’est du beau travail. Les pistes sonores ne sont pas en reste : le mixage audio est proposé en VF/VO et DTS-HD Master Audio 2.0, et les deux pistes s’avèrent relativement claires et équilibrées, même si la version française souffre d’un léger souffle.
Du côté des suppléments, on se réjouira tout d’abord de la présence de la version américaine du film, intitulée Black Sunday (1h23, VOST), qui présente quelques différences avec le montage du film tel que nous le connaissons. Les différences entre les deux montages seront d’ailleurs énumérées de façon claire et brillante dans un entretien avec Bruno Terrier (13 minutes). Cinéphile spécialiste de l’œuvre de Bava, l’excellent Bruno Terrier reviendra sur les nuances existant entre les deux versions du film, de la plus évidente (générique, musique) à la plus subtile. On continuera ensuite avec une présentation du film par Olivier Père (29 minutes), qui reviendra sur le contexte de production du Masque du démon, sur le tournage en six semaines, sur la volonté de Bava de tourner en noir et blanc, ou encore sur l’influence de l’expressionnisme allemand : il prendra pour exemple le fameux plan de la calèche au ralenti, référence explicite au Nosferatu de Friedrich Wilhelm Murnau. Il évoquera également le penchant de Bava pour le sadisme, le morbide, la nécrophilie, l’érotisme. On enchainera ensuite avec une présentation du film par Christophe Gans (41 minutes), qui reviendra sur le contexte de production du film, sur le tournage en sept semaines, sur l’héritage de Terence Fisher et la volonté de Bava de jouer sur les oppositions (raison/superstition, surnaturel/psychanalyse…), ou encore sur l’influence de Jean Cocteau sur le film : il prendra pour exemple le fameux plan de la calèche au ralenti, référence explicite à La Belle et la Bête. Enfin, on terminera le tour des suppléments par une poignée de bandes-annonces, qui s’accompagneront d’un entretien avec Barbara Steele (8 minutes). L’actrice se souviendra notamment de la façon dont elle avait été choisie par Bava pour le double-rôle de Katja / Asa, mais évoquera également le prologue du film et de son style visuel unique.