Test Blu-ray : Le jardin des supplices

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Le jardin des supplices

France : 1976
Titre original : –
Réalisation : Christian Gion
Scénario : Pascal Lainé
Acteurs : Roger Van Hool, Ysabelle Lacamp, Jacqueline Kerry
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h33
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 6 octobre 1976
Date de sortie DVD/BR : 13 août 2020

1926. À la suite de problèmes liés à la drogue, Antoine Durrieu, jeune médecin dévoyé, est contraint de quitter la France et embarque à bord d’un navire en route pour la Chine. Durant la traversée, il fait la connaissance de la belle et trouble Clara Greenhill, fille d’une riche et influente personnalité basée à Canton. Dès son arrivée, Antoine va pénétrer dans un monde au cadre étrangement idyllique vicié par la torture et les meurtres, tandis qu’au dehors couve une révolution populaire…

Le film

[4/5]

Le jardin des supplices est, sans aucun doute, une curiosité – le film de toutes les bizarreries. Un projet qui, avec le recul, nous apparaît comme tellement incongru qu’on ne sait vraiment ici par quel bout le prendre, par quel aspect de sa personnalité l’aborder.

On commencera tout d’abord en soulignant que le film est adapté, ou plutôt « inspiré » pour être tout à fait honnête, du roman éponyme d’Octave Mirbeau. Le jardin des supplices version Mirbeau était déjà un roman très étrange, publié en 1899, à la veille du procès de l’affaire Dreyfus. Il s’agissait d’un ensemble de textes écrits par Mirbeau indépendamment les uns des autres, à des époques différentes de sa vie, avec des personnages différents et évoluant dans des styles différents. Anticlérical, anti-gouvernement, ce livre singulier mélangeait les tons et s’amusait à brouiller les repères littéraires et éthiques du lecteur, parfois en tentant ouvertement de le mettre mal à l’aise.

Plusieurs éléments importants du roman se retrouvent dans le film : la première partie du bouquin concentrée sur la « loi du meurtre » discutée entre intellectuels positivistes sera reprise au détour d’une scène de repas très intéressante et d’un meurtre totalement gratuit commis par un notable sur le paquebot l’emmenant à Canton. Le côté anticlérical est également de la partie, avec un curé fréquentant ouvertement les bordels, et la partie du livre consacrée au « jardin des supplices » en lui-même est également reprise dans le dernier tiers du film, qui verse pour le coup dans le défilé de tortures représentant la décadence de la bourgeoisie européenne, qui ne trouve plus le frisson qu’à travers la rencontre entre Eros et Thanatos, en mêlant le sexe et la mort.

Par ailleurs, Mirbeau dédiait son œuvre « Aux Prêtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, qui éduquent, dirigent, gouvernent les hommes, ces pages de Meurtre et de Sang » – la citation est reprise telle quelle sur la toute dernière image du film. Comme le livre dont il s’inspire, Le jardin des supplices change aussi assez radicalement de tonalité d’une partie à une autre, se « durcissant », se radicalisant au fil des séquences – de bon enfant au début, il se terminera sur un goût amer, âpre, repoussant.

Pour autant, la page Wikipédia consacrée au Jardin des supplices souligne le fait que le film n’est pas à proprement parler l’adaptation du roman d’Octave Mirbeau, mais que le scénario de Pascal Lainé se base plutôt sur une pièce signée Pierre Chaine et André de Lorde, intitulée Le jardin des supplices – Pièce en trois tableaux, créée au Théâtre du Grand-Guignol en 1922 et n’entretenant, de fait, qu’un lointain rapport avec l’œuvre de Mirbeau.

Pour ceux qui l’ignoreraient, le « Grand-Guignol » a en effet fait les beaux jours du théâtre parisien du 20 de la rue Chaptal, principalement durant l’entre-deux guerres. Ce théâtre montmartrois avait la particularité de proposer des représentations de pièces spécialisées dans l’épouvante, et mettant en scène, à grands renforts d’effets spéciaux, des situations macabres, volontairement outrées et sanguinolentes. Un théâtre de l’excès et du mauvais goût en d’autres termes. Et étant donné les outrances proposées par le film, il y a en effet des chances que cette version du Jardin des supplices soit en effet adaptée de la pièce donnée au Théâtre du Grand-Guignol. Cela dit, on pourra aussi s’étonner que le scénariste Pascal Lainé, Prix Goncourt en 1974 pour « La dentellière », n’ait pas pris soin de citer les deux auteurs de la pièce.

Mais ce Jardin des supplices cuvée 1976 est sans aucun doute également le fruit d’autres influences. En haut du dossier de presse d’époque, on pouvait en effet lire que le film se targuait d’illustrer « Toutes les fascinations et les mystères de l’érotisme en Extrême-Orient associés à la jouissance et à la souffrance ». Le film étant très axé sur l’érotisme, il est en effet impossible d’imaginer que le succès extraordinaire rencontré par Emmanuelle en 1974 soit étranger au montage financier du projet. L’érotisme et l’aspect « exotique » des pays d’Asie ne sont d’ailleurs pas non plus sans rappeler le fameux Empire des sens de Nagisa Ōshima, également sorti sur les écrans en 1976.

Le jardin des supplices convoque donc tout à la fois Octave Mirbeau, le théâtre du Grand-Guignol et le cinéma érotique à tendance exotique : un mélange des genres pour le moins surprenant, mais qui semble néanmoins assez fier de sa singularité. Ainsi, dès les premières minutes du film, qui prennent place dans un bordel, les dialogues échangés entre les deux notables que l’on découvre à l’écran annoncent clairement la couleur : la liberté de ton est totale, et la satire s’annonce féroce, mordant, teinté de politique. On ne résiste d’ailleurs pas à la tentation de vous retranscrire les premiers dialogues du film :

– « Il y a une odeur de foutre, ici. Aussi aigre qu’un discours de l’opposition »
– « Vous entendez mesdames, je vous fais l’amour par devant, par derrière, mais toujours à gauche ! J’ai le sperme révolutionnaire »
– « Antoine, tu parles comme tu éjacules : à tort et à travers ! »

Enfin, Le jardin des supplices possède une autre particularité très notable : il ne s’agit en effet pas d’un film signé Jess Franco, Umberto Lenzi ou autre nom prestigieux du cinéma « Bis », mais d’un long-métrage signé… Christian Gion. Grand pourvoyeur de comédies populaires made in France au fil des années 70/80 et même 90, Gion s’est plutôt fait connaître grâce à des films tels que Le pion (1978) avec Henri Guybet, Pétrole ! Pétrole ! (1981) avec Bernard Blier et Jean-Pierre Marielle, Les diplômés du dernier rang (1982) avec Patrick Bruel et Michel Galabru ou encore Le bourreau des cœurs (1983) avec l’inénarrable Aldo Maccione. Autant de films qui, une quarantaine d’années après leurs sorties dans les salles, sont passées du statut de simplement « ringards » à celui, très envié, de « nanars », c’est-à-dire de réjouissant plaisirs coupables aux relents délicieusement surannés.

Le jardin des supplices en revanche n’a rien du nanar. Débutant à la façon d’un film érotique des plus traditionnels, le film se muera par la suite en une espèce de relecture gore et décadente de « La condition humaine », le tout étant admirablement servi par une mise en scène hypnotique, au rythme lent mais passionnant malgré ses ruptures de ton. Habile technicien, Christian Gion joue tout à la fois sur le son ainsi que sur l’image, confrontant par exemple la grandeur des paysages de Canton aux plans ultra-rapprochés de la nature (avec notamment de nombreux plans « macro » sur les fleurs durant la scène de la première découverte du « jardin »).

Il est également intéressant de noter à quel point Le jardin des supplices délaisse volontiers ses personnages, tous parfaitement antipathiques, et abandonne de fait les principes les plus élémentaires d’identification du spectateur. Mais s’il agit de la sorte, c’est pour mieux plonger son public dans l’horreur la plus absolue qui nous sera présentée, froidement et même presque philosophiquement, avec l’intervention du bourreau théoricien de la douleur. Une sacrée curiosité donc !

Le Blu-ray

[5/5]

Le jardin des supplices vient donc d’intégrer le prestigieux catalogue Blu-ray du Chat qui fume. Comme d’habitude avec l’éditeur, il s’agit d’une édition limitée, numérotée à 1000 exemplaires. Le Blu-ray est présenté dans un beau digipack à trois volets, surmonté d’un fourreau cartonné. La composition graphique a été créée exclusivement pour cette édition par le talentueux Frédéric Domont alias Bandini. On s’incline donc bien bas devant la classe absolue de ce bel objet de collection.

Côté Blu-ray, Le chat qui fume nous propose donc une très belle copie, respectueuse du grain d’origine, avec un beau piqué et des couleurs qui en envoient plein les mirettes. La restauration a fait place nette des poussières et autres points blancs, et le résultat s’avère vraiment excellent, même si les contrastes manquent peut-être un peu de mordant. Côté son, le film est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 (mono d’origine), globalement net et sans trop de bavures. Il conviendra néanmoins, par moments, de tendre l’oreille ou de légèrement monter le son pour profiter au maximum du film ; on suppose cependant que le mixage n’y est peut-être pour rien, et que ces petits défauts occasionnels sont dus à la prise de son d’origine.

Du côté des suppléments, Le chat qui fume nous propose de nous plonger dans un très intéressant entretien avec Christian Gion (27 minutes), qui reviendra dans un premier temps sur ses souvenirs liés au film à proprement parler, puis sur le reste de sa carrière. Le jardin des supplices lui a donc été proposé par la productrice Véra Belmont après le succès d’Emmanuelle. Il s’agissait d’un film aux antipodes de la personnalité de Christian Gion, mais le challenge et le fait de sortir de son confort l’intéressaient. L’entretien est mené par Roland-Jean Charna, et il faut avouer qu’on compatit un peu à sa douleur : Gion est finalement assez peu bavard et Charna semble par moments un peu devoir batailler pour lui tirer les vers du nez, que cela soit concernant le casting ou les effets spéciaux. Le cinéaste s’avérera néanmoins un peu plus bavard quand il s’agira, au bout de dix minutes d’entretien environ, d’évoquer le reste de sa carrière. Il se remémorera ses débuts dans la pub, mais malgré ce qu’indique le site de référence IMDb, Gion prétend ne pas avoir réalisé mais uniquement produit la comédie érotique Les couples du Bois de Boulogne (1974). Selon lui, son premier film est donc C’est dur pour tout le monde (1975). Après Le jardin des supplices, il réalise un autre film érotique, One-two-two (1978), et entame par la suite une carrière fructueuse dans la comédie populaire. Il reviendra notamment sur ses deux tournages « difficiles » aux côtés d’Aldo Maccione. On le sentira en revanche vraiment très peu à l’aise quand Charna évoque La grande blonde avec une petite chatte noire, film porno qu’il a produit (il ne s’agit selon lui que d’un film érotique), ou sa rivalité avec Claude Zidi. Les deux films qu’il a réalisés dont il est le moins satisfait sont Le pion (1978) et Le provincial (1990).

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