Le grand inquisiteur
Royaume-Uni, États-Unis : 1968
Titre original : Witchfinder general
Réalisation : Michael Reeves
Scénario : Tom Baker, Michael Reeves
Acteurs : Vincent Price, Ian Ogilvy, Robert Russell
Éditeur : BQHL Éditions
Durée : 1h26
Genre : Horreur, Historique
Date de sortie cinéma : 10 septembre 1969
Date de sortie DVD/BR : 19 novembre 2020
Angleterre, 1645. Tandis que la guerre fait rage entre les troupes républicaines de Cromwell et l’armée fidèle au roi Charles II, l’inquisiteur Matthew Hopkins et son redoutable assistant sillonnent les routes du pays, convoqués par les notables des villages pour mettre fin à l’activité de celles ou ceux qu’ils considèrent comme des sorcières et suppôts de Satan. Entre la potence et le bûcher, au terme d’abominables tortures, peu échappent à la sanction suprême. S’estimant au-dessus des lois, Hopkins commet l’erreur de s’attaquer à un prêtre et à sa nièce, dont le fiancé, un soldat, fait vœu de vengeance…
Le film
[5/5]
Trop souvent laissé de côté au bénéfice des films de la Hammer, Le grand inquisiteur est un des sommets les plus vertigineux et les plus méconnus du cinéma gothique anglais. Il s’agit également du chef d’œuvre absolu de la courte carrière de Michael Reeves, décédé en 1969 à l’âge de seulement 25 ans. Pour ceux qui l’ignoreraient encore, le film traite des ravages de l’inquisition au Royaume-Uni au XVIIème Siècle, et plus particulièrement de la personnalité de Matthew Hopkins, chasseur de sorcières anglais dont la carrière a prospéré pendant la guerre civile anglaise. Lui et son associé John Stearne sont en effet soupçonnés de l’exécution de plus de 100 sorcières présumées entre 1644 et 1646 – ce triste record signifierait que leurs efforts ont probablement représenté environ 20 % du total estimé des exécutions pour sorcellerie entre le début du XVème et la fin du XVIIIème Siècle. Beau palmarès pour un « inquisiteur » autoproclamé, surtout si l’on considère que ce dernier est probablement décédé avant de fêter son 28ème anniversaire.
Bien évidemment, Vincent Price avait beaucoup plus de 28 ans lors du tournage du film : il en avait 57. Cependant, ce que Le grand inquisiteur perdait en véracité historique, il le gagnait en classe : Vincent Price incarne en effet dans le film un véritable sadique, mais également un salopard d’une rare élégance. Parfaitement dirigé par Michael Reeves, il fait de plus preuve d’une remarquable retenue dans son jeu, très éloigné des personnages grandiloquents qu’il incarnerait dans les années 70 (le fameux Dr Phibes, le Lionheart de Théâtre de sang…). Dans Le grand inquisiteur, sa performance est sérieuse, puissante, et pleine de nuances subtiles. Malgré les réticences de Michael Reeves, qui n’a jamais caché son animosité vis-à-vis du comédien, le fait est qu’il « EST » Matthew Hopkins, et que c’est en partie sa prestation qui rend le film aussi exceptionnel. Comment savoir d’ailleurs si la prestation de Vincent Price n’eut pas été différente si les relations qu’il entretenait avec Reeves sur le plateau avaient été meilleures ? C’est peut-être la tension entre les deux hommes qui a permis à l’acteur de livrer l’une des compositions les plus fascinantes de sa longue carrière.
Mais le talent de Price n’est pas tout : si Le grand inquisiteur s’avère une si flamboyante réussite, c’est que tout y apparaît comme parfaitement à sa place ; chaque effet de mise en scène, chaque travelling, chaque ligne de dialogue y semblent parfaitement dosés, mesurés afin d’obtenir l’effet optimal sur le spectateur. Le scénario est relativement linéaire, mais s’avère d’une habileté remarquable dans les interactions qu’il créé entre les différents personnages, ce qui contribue à insuffler au film un rythme assez bluffant : les rebondissements s’enchaînent sans le moindre temps mort et les 86 minutes du film passent à une vitesse folle. Derrière la caméra, Michael Reeves faisait également preuve d’un talent de formaliste assez génial : outre l’apport évident de John Coquillon à la photo (futur chef opérateur de Sam Peckinpah sur Les chiens de paille, excusez du peu), il semble que Le grand inquisiteur ait également été en quelque sorte « touché par la grâce », et on en veut pour illustration le tout premier plan du film, qui donne à voir au spectateur une « croix » de lumière du soleil se révélant à travers les branches d’un arbre – parfaite entrée en matière si l’on considère le sous-texte religieux qui imprégnera tout le film par la suite. A notre époque, ce genre d’effet serait facilement obtenu par le biais d’effets spéciaux numériques. Mais en 1968, combien de chances avait-on pour parvenir à saisir « CE » moment lors du tournage ?
Mélangeant de façon subtile Eros et Thanatos, Le grand inquisiteur alterne les passages de tortures et de grande violence et les passages plus troublants, mettant en évidence les obsessions du personnage de Vincent Price pour les jeunes filles. Cette subtile alternance dans le comportement du personnage permet à Michael Reeves de pointer du doigt l’hypocrisie de l’inquisition en général – la voix off qui ouvre le film indique d’ailleurs clairement la couleur – tout autant que les atrocités indicibles commises par des opportunistes tels que Matthew Hopkins, ayant choisi la bêtise et la violence pour prospérer. C’est là que se situe d’ailleurs tout le prix du Grand inquisiteur : contrairement à un film tel que La marque du diable (Michael Armstrong, 1970), le film de Michael Reeves ne cherche pas à offrir au spectateur son lot de sensations fortes bon marché, mais vise plutôt à marquer et à faire réfléchir son public par le biais d’une représentation particulièrement réaliste de la nature humaine, et des pratiques horribles ayant réellement eu cours à une époque. Un immense chef d’œuvre.
Le Blu-ray
[4,5/5]
La sortie en Haute-Définition d’un chef d’œuvre est toujours un événement, et c’est à BQHL Éditions que nous devons aujourd’hui le plaisir de (re)découvrir Le grand inquisiteur sur support Blu-ray. Le film s’offre d’ailleurs une belle présentation, puisqu’il s’offre un joli digipack trois volets contenant un livret de 20 pages et surmonté d’un fourreau aux couleurs du film – un superbe effort éditorial pour un film qui le méritait amplement !
Côté Blu-ray, le master encodé en 1080p et format respecté n’est certes pas totalement irréprochable (quelques poussières et autres griffes subsistent), mais le piqué, les couleurs et les contrastes s’en voient très nettement améliorés, et le grain argentique d’origine ne semble pas avoir trop souffert de la restauration. Certains plans sont plus doux que d’autres, mais l’ensemble est bien tenu, c’est tout à fait réussi. Côté son, VF d’origine et VO anglaise sont proposées dans des mixages LPCM Audio 2.0 mono d’origine, la version française s’avérant un peu plus étouffée que sa grande sœur anglaise, avec un léger souffle persistant, mais rien de dramatique là non plus. Du très beau travail technique : revoir le film de Michael Reeves dans ces conditions n’a littéralement pas de prix.
Dans la section suppléments, nous trouverons tout d’abord une présentation du film par Bruno Terrier (27 minutes), vendeur à la boutique parisienne Metaluna et véritable puits de science en ce qui concerne le cinéma gothique anglais. Il reviendra sur la arrière de Michael Reeves au cinéma et retracera la production du film, en la remettant dans son contexte. Les tensions sur le plateau seront abordées, de même que les différences entre le montage européen et américain du film, ce dernier ayant changé la musique et tenté de rattacher (artificiellement) Le grand inquisiteur à l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Passionnant. On continuera ensuite avec un intéressant sujet hérité du DVD de 2005 et consacré à la carrière de Michael Reeves (23 minutes). Les amateurs d’histoire et de macabre pourront également se régaler d’un court documentaire réalisé pour la télévision britannique tournant autour de la sorcellerie au cœur de la vieille Angleterre (23 minutes).
On terminera enfin avec les scènes alternatives destinées à la version internationale du film – les mêmes, mais avec des actrices à poil à la place d’actrices habillées (5 minutes), ainsi qu’avec les versions alternatives des génériques de début et de fin (6 minutes). Last but not least, on terminera avec le livret de 20 pages revenant sur la production du film, signé par l’incontournable Marc Toullec.